Les femmes viennent de Pluton et les autres… d’où ils veulent !

9 minutes

Pluton n’est plus une planète.

Si vous passez fréquemment par ici ou si vous me suivez sur Instagram, alors vous savez que j’anime un atelier d’écriture. Vous savez également qu’il m’arrive parfois de faire moi-même les exercices donnés aux participants, et cet article basé sur la réalité selon laquelle feelings are not facts en est la preuve.

Cette semaine les participants sont supposés lire un article qui n’a absolument rien à voir avec leurs centres d’intérêts et se l’approprier. L’article est intitulé Pluton n’est plus une planète et est paru dans le Figaro le 15 octobre 2007.

Découverte en 1930, Pluton est devenue la neuvième planète du système solaire. Elle n’avait rien demandé, elle était juste là à vivre sa vie jusqu’au jour où l’astronome Clyde Tombaugh en a fait une star. Pendant près de 80 ans Pluton a vécu parmi les célébrités de notre système solaire. Le plus beau dans l’histoire était sa particularité, sa différence par rapport aux autres : elle est faite de glace. Les autres éléments du système solaire sont soit rocheux (ceux plus proches du soleil), soit gazeux (ceux plus éloignés).

Je n’ose imaginer les célébrations suite à la découverte de cette merveille. Une planète faite de glace, toute petite et toute mignonne. Le champagne a dû couler à flots ! Existait-il déjà ? Oui, il a été créé dans les années 1700. Lui au moins a conservé son statut.


Je lis en ce moment le livre Beauté fatale : les nouveaux visages d’une aliénation féminine écrit par Mona Chollet. Je l’ai connue il n’y a pas longtemps de cela grâce à son livre Sorcières : la puissance invaincue des femmes. J’ai été éblouie par l’ouvrage et j’en ai parlé dans cet article. Chaque paragraphe de chacun de ces livres est une révélation.

Beauté fatale n’est pas une ode à la beauté, loin de là. L’auteur met en relief tous les travers des codes de beauté fortement appuyés par l’industrie des médias et de la mode. Mona Chollet revient au fil des chapitres sur les tendances et les canons à travers les époques, mais aussi à travers les communautés. En gros ? Que signifie être belle, qui décide de qui l’est et qu’advient-il de celles qui ne le sont pas ? La beauté n’est pas éphémère uniquement à cause du vieillissement. Elle dépend de l’air du temps.

L’une des choses qui me frappe à la lecture du livre est le mal être de ces femmes qui rêvent d’être belles et qui, comme des girouettes, sont portées par les vents des tendances qui changent tous les mois et auxquelles elles ne correspondent quasiment jamais. Les plus chanceuses auront le vent en poupe le temps d’une saison ou d’une collection.

Elles pourront alors souffler et se reposer parce qu’elles auront entre leurs mains le saint graal (la couleur de leurs cheveux, la forme de leur bouche ou la lourdeur ou non de leur poitrine) mais, elles le savent, il faudra très bientôt se remettre à courir : elles ne resteront pas « belles » bien longtemps. La prochaine parution de Vogue ou de Marie Claire les guidera vers la nouvelle voie à suivre (cheveux plus courts, moins noirs, plus rouges, seins plus ronds, moins ronds, jamais plats…)

Comme ça a été le cas avec Pluton, des gens se sont levés un matin et ont pointé du doigt un certain type de femmes. « Elles sont belles celles-là, soyez comme elles ! » Puis, quelque temps plus tard, ils ont décidé qu’au final non… « Les critères ne sont plus les mêmes. Place aux fesses comme ci et à une cambrure comme ça. »

Oui, ces choses-là se décident. Des gens se sont retrouvés dans une salle et ont décidé que les différences de Pluton, qui la rendaient pourtant si sexy, ne pouvaient plus faire d’elle une planète. Rien n’avait pourtant changé. Pluton est restée fidèle à elle-même de 1930 à 2007. Son orbite qui ne semblait pas poser de problème lorsque le champagne coulait à flots a commencé à être questionnée. Tout comme son voisinage. Ses matières. Sa distance par rapport au soleil. Sa dynamique par rapport à Neptune…

Pour qu’elle ne se sente pas trop honteuse, le mot planète n’a pas été complètement effacé bien qu’un mot disgracieux lui ait été collé : naine. Pluton est à présent une planète naine. Elle n’est plus du même calibre qu’Uranus ou Saturne. Ça c’était avant. Oui, tes fesses, tes seins et tes lèvres n’ont plus le vent en poupe, mais tu restes une femme. Une femme certes laide, mais une femme quand même.


Je reste fascinée par l’histoire des traits caractéristiques des femmes noires, notamment leurs cheveux, leurs lèvres, leurs seins, leurs hanches et leurs fesses. Lorsqu’elles ont été découvertes (non, elles-mêmes ne savaient pas qu’elles existaient, du coup on les a découvertes), les hommes blancs ont été tellement étonnés et dégoûtés par leurs « grosses fesses » qu’elles étaient présentées dans des zoos. La Sud-Africaine Sara Baartman a été (re)baptisée Venus Hottentot et a été exhibée à Londres comme une otarie jongleuse en raison de ses fesses.

Musée de Londres

Elle est décédée en 1815, mais son squelette et ses organes reproducteurs ont été exposés à Paris jusqu’en 1947.

Le mot Nappy remonte aux années 1800. Il fait référence à 2 choses : l’horrible texture du coton dont la cueillette et le raffinement étaient exécutés par les esclaves noirs, mais aussi le contenu de la couche des bébés lorsqu’ils ont fait caca. Cette pâte grumeleuse a semblé rappeler ces choses qui me sortent du cuir chevelu.

Les lèvres des Noirs ont toujours été moquées. Je me souviens qu’enfant je lisais beaucoup les bandes dessinées Zembla et Blek le Rock, et les lèvres des personnages noirs étaient énormes. J’en riais parce que je ne me suis jamais sentie concernée. Mes lèvres ne ressemblaient pas à ça, et celles des personnes de mon entourage non plus. Ce n’est que bien plus tard que j’ai compris que nos lèvres étaient représentées ainsi en opposition au fin trait entre le nez et le menton des Blancs.

Tous ces attributs sont jugés horribles, peu gracieux et donc pas du tout féminin. Comme on l’a vu avec Pluton, il suffit d’une décision pour que vos particularités fassent de vous des parias. Dans le cas de la beauté on est allé plus loin. Ces attributs sont horribles, mais uniquement chez la femme noire. Angelina Jolie n’a pas de grosses lèvres. Elles sont pulpeuses. Jennifer Lopez n’a pas de grosses fesses. Elle est sexy. Les perruques afro des mannequins blancs sur les podiums ne sont pas moches, elles sont funky.

Pour être acceptée, la femme noire doit se débarrasser de ce qui fait de son physique ce qu’il est. Elle doit accepter que ces éléments qui la rendent laide soient des facteurs clé de la beauté de celles qui ne sont pas de sa race. La femme noire doit adopter l’idéal physique blanc (le mannequin filiforme au visage austère) qui n’a pas pour vocation d’être admiré pour ce qu’il est, mais pour la manière dont il met autre chose en valeur (les fringues, le maquillage, les coiffures) et rejeter les attraits qui lui sont naturels et que d’autres sont prêtes à acheter cher : des lèvres pulpeuses, une belle cambrure, et j’en passe.

Le naturel est rejeté au profit de l’artificiel. Comment ne pas perdre la tête ?


Dans la mythologie romaine Mars est le dieu de la guerre, Vénus la déesse de l’amour et Pluton le dieu des enfers. Selon la croyance populaire les hommes viendraient de Mars et les femmes de Vénus. Si les décideurs (encore ceux-là !) s’étaient focalisés non pas sur ce qu’ils souhaitent qu’une femme représente mais sur ce qu’ils lui font subir au quotidien, elle viendrait certainement de Pluton.

Pluton est un enfer assez particulier. La majorité vous dira que l’enfer est fait de feu, alors Pluton n’est pas qualifié pour en être un. Qu’il s’agisse de canons de beauté, de parentalité ou de vie professionnelle, cette même majorité vous dira que la femme n’est pas asservie, elle est protégée. Pour ces gens il ne faut pas se fier à ce qu’on voit, mais à ce qui nous est dit. La femme vient de Vénus, Pluton n’est pas un enfer et elle n’a absolument rien à voir avec cette planète.


J’aime les jeux d’association car ils nous permettent de voir bien plus loin que ce qui nous est présenté. Qu’il soit blogueur ou grand écrivain, celui qui écrit a le devoir de ne pas contribuer à l’abrutissement des masses. C’est pour cette raison que j’exige des participants à l’atelier qu’ils évitent de partager avec leur audience des évidences. Ils n’ont pas pour but de les divertir, ils ne sont pas des amuseurs publics.

Chacun de leurs textes doit susciter une réflexion utile chez leur lecteur et pour y arriver ils doivent s’habituer à observer et réfléchir à ce qui les entoure. Ils doivent vivre dans un questionnement perpétuel et associer « l’inassociable » pour provoquer un sursaut dans le corps et dans le cerveau de leur audience.

Je vais de ce clic lire leurs textes pour me délecter des associations que la déchéance de Pluton a fait naître dans leur cerveau.

Photo : Retha Ferguson


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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5 comments
  1. Je suis abasourdie. Et c’est le cas à chacune de mes lectures. Je suis fascinée par la manière dont tu développes et présente tes idées, par la manière dont tu associes l’inassociable. Chacun de tes écrits font naître de grands tumultes en moi. Grace à toi, j’apprends un peu plus à ne pas me contenter de consommer mais à chercher à comprendre les dynamiques de chaque chose, de chaque action
    Merci infiniment ! Vivement ma participation à ton prochain atelier.

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