Le transfert de stress, vous savez ce que c’est ?

11 minutes

Avez-vous déjà été victime du transfert de stress ?

Après des années à faire de mon mieux pour m’en éloigner, je me suis rendue compte hier que je baigne en plein dedans.

Et je me suis énervée.

Je ne m’énerve pas souvent. J’ai été très colérique plus jeune, je ne tiens pas à retomber dans cette folie. Alors je contrôle mes émotions et je laisse peu de choses m’affecter. Ces derniers temps j’ai des crises d’angoisse. Pour la première fois de ma vie, je fais une crise identitaire.

Je me remets à penser à ma vie seule et je me dis que j’aurais tellement aimé la garder. Je me demande si je serai encore MOI après la naissance du petit humain. Sans qu’il ne soit là, sa présence m’étouffe. J’ai l’impression de disparaître sous la charge d’un foyer. Cuisiner. S’occuper d’un bébé. Ne plus avoir une minute à moi. Etre réduite à ça.

J’ai tracé les grandes lignes de cet état dans l’article Befoune oui, mais Befoune qui ? Je ne suis moi que lorsque je suis centrée sur moi. Qui suis-je lorsque d’autres entrent dans la danse ? J’angoisse.

Si seulement ça s’arrêtait là.

J’ai une autre cause de stress. Bien plus grande. Le deuxième enfant. Est-ce que je le veux ? Est-ce que je le ferai ? Avec tous les problèmes de santé auxquels je fais face, aurais-je seulement la force physique et mentale de me relancer dans une aventure pareille ?

Le pire de tout ? Comment gérer 2 enfants en bas âge ? Des couches et des repas à n’en plus finir. Ça me tuerait. Je me voyais fondre de tristesse. Pleurer parfois pour rien. Comment gérer une famille avec des enfants en bas âge ? Je ne me suis rendue compte du problème que lorsque je me suis enfin décidée à ouvrir un livre que m’a offert le papa du petit humain il y a des mois : What No One Tells You : A Guide To Your Emotions From Pregnancy To Motherhood.

Dans ce livre il y a un chapitre intitulé How to become a mother without losing your self. Dans ce chapitre, on parle de Identity transitions, mais aussi de Interpersonal therapy, la partie qui nous intéresse ici. Cette autothérapie s’effectue en 4 phases :

  • Name what’s upsetting you
  • Articulate the identity change
  • Acknowledge your distress and take the time you need to accept your feelings
  • Come up with a plan for how to adapt to your new circumstances

Je savais que j’angoissais, mais je n’avais jamais cherché à mettre un nom sur l’angoisse. Au niveau de l’identité c’était le vrai bordel : j’avais disparu. Au lieu de reconnaître mon problème, je cherchais plutôt à le résoudre sans même l’avoir nommé. 

Le dernier point m’a donné une belle gifle. Come up with a plan. Mon stress était lié au fait de gérer 1 enfant en bas âge toute seule, mais aussi 2 enfants en bas âge toute seule. Comment Come up with a plan d’une situation qui ne me concerne pas ? 

J’aurais certes un petit humain à ma charge, mais je ne serai pas seule. Il aura un papa présent. Il aura une nounou payée pour ses services. Je ne suis pas enceinte de jumeaux et je n’en suis pas encore à l’étape du deuxième enfant. Je ne l’atteindrai même peut-être jamais. Alors pourquoi est-ce que je m’abrutis à penser à un problème qui ne me concerne pas ?

Et là je me suis énervée.

Pourquoi ? Parce que j’ai compris d’où venait mon stress.

Il venait des réseaux sociaux.

Tout simplement.

 


On s’en rend très peu compte, mais ce que nous consommons affecte grandement nos émotions. Au fil des années j’ai appris à filtrer le contenu que je consomme, à affiner ce qui vient à moi. Mais avec la grossesse, j’avais besoin d’aller vers des gens qui s’y connaissent. Bien qu’ayant vécu des grossesses par procuration, tout ceci était tout nouveau pour moi. Alors j’ai liké des comptes Instagram que je pensais être en mesure de m’être utile.

Nombre l’ont été. Je cure du bon contenu sur Instagram. Mais d’un autre côté je suis exposée à un phénomène dégoûtant : celui des Afro-Américaines qui, pour valoriser un Pouvoir Noir, présentent la maternité comme quelque chose de terriblement lourd mais qu’elles portent fièrement : avoir 3 enfants âgés de moins de 3 ans, donner le sein à un de ses bébés alors qu’on est sur une table d’accouchement, prétendre ne plus avoir pris de douche seule depuis 8 ans parce qu’on a 4 enfants qui demandent notre attention tout le temps, jongler entre cuisine, mari et bébés sans se fatiguer…

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A force de la voir, je me suis identifiée à une réalité qui ne me concerne pas. Ces femmes n’ont pas toujours les moyens de s’offrir les services d’une aide à domicile, elles sont parfois obligées de cesser toute activité professionnelle pour jongler entre les tâches ménagères. Elles ont parfois fait le choix d’avoir autant d’enfants en bas âge. Je ne suis pas dans ce cas mais je me suis retrouvée stressée par cette situation parce qu’elle m’est présentée à longueur de journée. La photo sur Instagram partagée m’a littéralement dégoûtée. Je vous prie de lire la légende.

Toutes ces femmes m’ont communiqué leur stress, un stress qui n’est pas le mien.


Sans nous en rendre compte, nous sommes exposés au transfert de stress de manière quotidienne. Je me souviens, dans mon entourage j’avais une personne hyper stressée  qui me transférait son stress tout le temps, surtout quand j’avais quelque chose d’important à faire. Tu dois voyager ? Ton vol est à 8 h ? Tu ferais mieux de quitter la maison à 4 h du matin parce que le chemin sera super embouteillé. Si tu ne le fais pas tu rateras ton vol ! Et me voilà à l’aéroport à 4 h 20 alors que l’embarquement n’a même pas encore commencé tout simplement parce que LA ROUTE ETAIT DEGAGEE !

Tu voyages ? Ne prends que  3 tenues sinon les gens vont penser que tu viens faire un défilé de mode et vont te considérer comme une personne sans cervelle. Et voilà que je me renverse de la sauce dessus et que je ne peux pas me changer ! Pourquoi ? Parce que quelqu’un m’a fait vivre sa réalité, mais surtout parce qu’elle m’a fait vivre ses peurs et que je me les suis appropriées.

Vous êtes-vous déjà demandé combien de freins, de blocages vous vous êtes imposés à cause d’un commentaire qu’a fait une personne, un article que vous avez lu ou une série que vous avez regardée ? 


Le pire en ce qui concerne le transfert de stress est qu’il nous détourne de nos vrais problèmes. 

Prenons pour exemple le néo-colonialisme et le racisme. Oui, je sais, ça va un peu loin, mais par souci d’explication claire sachez que je peux aller encore plus loin ! Donc je disais… Nombre de pays africains souffrent du néo-colonialisme, sauf que la masse, plus intéressée par ce qui se passe ailleurs, pense souffrir de racisme. C’est pourquoi on aura en plein Douala des T-shirts #BlackLivesMatter portés fièrement par des gens qui vous expliqueront que les Blancs détestent les Noirs et ça doit changer.

C’est certainement vrai dans une certaine mesure. Sauf que la privatisation de nos entreprises n’a rien à voir avec le racisme. Il en va de même pour le pillage de nos ressources. Je le dis très souvent lorsqu’on veut m’embarquer dans des discussions de Blancs contre Noirs, je n’ai jamais souffert de racisme. Je suis Noire, vivant parmi les Noirs. La xénophobie peut exister dans ce contexte, mais pas le racisme. Un Noir qui fait passer un Blanc devant moi n’est pas raciste. Il est asservi. C’est très différent.

Pourtant nombre d’entre nous ne perçoivent plus ces différences. Ils se sont appropriés les causes étrangères, « les problèmes des autres » au point où ils ont oublié les leurs ou les ont assimilés à quelque chose qui ne les concerne ni de près ni de loin. Le contenu consommé au quotidien peut bloquer la réflexion ou la perception de sa véritable situation. J’en ai fait les frais.


Il est facile d’être exposé au transfert de stress, tout comme il est facile d’exposer les autres à son stress.

Chacun d’entre nous porte des peurs et des phobies, alors les conseils prodigués portent l’empreinte de ces peurs. Ne te lance pas dans l’entrepreneuriat, tu ne réussiras jamais (parce qu’à notre niveau on a bien trop peur de le faire) ! Ne te marie pas, les hommes c’est tous des goujats (parce que notre mec nous bat et qu’on a décidé que dans notre réalité, tous les hommes sont pareils) ! 

Il en va de même pour les ouï dires. Certaines personnes les érigent en réalité et prodiguent des conseils sur cette base. Ne côtoie pas tel ou tel, il n’est pas sympa. Pourtant la phrase exacte est J’ai entendu dire qu’il n’est pas sympa, ce qui donne une nouvelle dimension à l’affirmation. Plutôt que n’y va pas, l’autre peut comprendre par rapport à ce qui se dit, vas-y à tes risques et périls, mais, qui sait, quelque chose de beau peut en sortir !

Ceci me rappelle une histoire aussi triste que drôle. Il y a des années je côtoyais régulièrement une personne, L. Je venais d’arriver dans le pays et elle m’aiguillait un petit peu, partageait avec moi les do’s and dont’s du biotope. Parmi les dont’s, il ne fallait pas côtoyer la blogueuse In The Eyes of Leyopar. Elle n’était pas sympa, elle était hautaine, limite méchante. En gros ? A éviter à tout prix !

Une fois j’ai rencontré Leyo alors que j’étais avec L. Elle m’a souri étant donné qu’on se connaissait sur le net. La communauté des blogueurs n’est pas si grande que ça. Je dois vous avouer que je me suis dépêchée de me barrer. Pendant près de 3 ans je l’ai évitée comme la peste. Elle est invitée au dîner que tu organises ? Désolée, je ne suis pas disponible. Elle sera à ton événement ? Au final je pense que je n’y ferai qu’un saut, mais très tard. Cette aversion a été exacerbée par le fait que je m’étais brûlé les ailes de nombreuses fois dans ce nouvel environnement.

Aujourd’hui Leyo est un véritable pilier pour moi. Je ne me souviens pas comment je l’ai « rencontrée » au final, mais ce que je sais est qu’elle a été là chaque fois que j’allais mal. C’est elle qui m’a giflée et m’a orientée vers la recherche de travail. Elle a refait mon CV, refait mon profil LinkedIn. Elle est la première à avoir offert un cadeau au petit humain alors que je ne voulais même pas en entendre parler. Elle est celle qui me faisait à manger quand je voulais quelque chose de spécifique. 

3 ans de perdu pour un transfert de stress. Je ne sais quelle a été l’expérience de L. ou même si cette expérience se base sur des faits vécus. Ce que je sais par contre est que pendant 3 ans j’ai battu froid à une personne merveilleuse pour rien du tout.

Tout ceci parce que j’ai accepté de porter le stress et la réalité de quelqu’un d’autre.

 

Photo : Rafael Barros


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8 comments
  1. “Il est facile d’être exposé au transfert de stress, tout comme il est facile d’exposer les autres à son stress.”
    La gifle retentissante de ma journée (Merci Befoune). Il est aussi facile de pouvoir accepter le stress des autres sur nous. Encore plus quand les personnes sont proches et que nous tenons à elles. Le stress concernant la carrière, le poids, la morphologie, …
    L’avancée des autres professionellement qui nous stress, parce que nous estimons qu’ils nous devance. Le stress des gros titres sur LinkedIn, des belles formes sur Insta…
    Rester concentré sur l’essentiel, sur soi, (j’ai envie de dire aussi sur les personnes qui comptent, mais que faire quand elles sont source de stress pour soi?)

    Soooo Thx Befoune

    1. “j’ai envie de dire aussi sur les personnes qui comptent, mais que faire quand elles sont source de stress pour soi?”

      J’ai subi cela et je dois avouer que ça a été source de réflexion. Comment leur dire que certains de leurs commentaires ou conseils ne sont pas intéressants, pire, sont néfastes pour nous. Comment leur dire d’arrêter de nous communiquer leurs appréhensions sans blesser ? C’est difficile, et je dois t’avouer qu’il m’arrive encore de me taire et de me dire intérieurement “Ce n’est pas ma réalité, ce n’est pas ma réalité, ce n’est pas ma réalité”. Se créer un espace sain, surtout en cette ère de réseaux sociaux, n’est pas chose aisée.

  2. Je me dois de te dire un énorme merci pour cet article. Tu as raison sur toute la ligne.
    Moi problème, c’est la peur de déplaire aux personnes qui me sont chères et donc sans m’en rendre compte , j’absorbe leur stress au quotidien et cela me pourrit la vie.
    Maintenant j’ai compris et je sais ce qu’il me reste à faire.

  3. Ohhh Befoune!!! Tu es un peu la grande sœur que je me suis choisie, même si on ne se connait pas.
    Tu as tellement les mots qu’il faut, je ne sais toujours pas comment sortir de ce stress par contre. De temps à autre j’essaie de prendre du recul, pour éviter de me laisser engloutir. Je suppose qu’avec le temps j’aurai une meilleure technique!!!

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