Befoune, oui, mais Befoune qui ?

9 minutes

L’une de mes plus grandes peurs est de cesser d’exister.

Ne nous méprenons pas, je ne parle pas de mort.

Je parle d’existence.

S’il y a une chose pour laquelle je me suis battue, c’est l’affirmation de ma personnalité. Après des décennies à n’être rien d’autre que le miroir des attentes des autres, qu’ils soient de ma famille ou de mon cercle plus ou moins proches, j’ai pris la peine de cimenter les bases de la personne que je veux être.

La personne que je veux être.

Ça peut sembler débile, quand on sait que nous sommes le produit de notre environnement, mais aussi de notre personnalité. Je l’ai été. Je n’ai pas aimé l’expérience, alors je me suis redéfinie selon mes propres attentes de mon passage sur terre, et cette redéfinition peut se résumer en quelques questions : que suis-je prête à accepter ? Qu’est-ce qui va à l’encontre de ce que je juge moral, juste et utile ? Qu’est-ce que je veux pour moi ? Où est-ce que je souhaite aller ? Qu’est-ce que je souhaite réaliser ? Quel est le style de vie que je veux mener ?

Si vous relisez ces questions, vous vous rendrez compte que je suis seule actrice de mon destin. L’attentisme n’existe pas dans ce schéma de pensée. Les résultats que je souhaite obtenir ne dépendent que de mes actions. Si je ne fais pas ce qu’il y a à faire, alors rien ne sera fait.

C’est en cela que je définis mon existence.

Perdre ce pouvoir sur ma personne c’est me perdre. 

Je ne crois plus aujourd’hui qu’il faille dépendre de ses origines, de son niveau social ou des personnes qui  nous entourent. Le soi est seul maître à bord. *

J’ai moins peur de mourir que de perdre le contrôle de ma vie.

Ça en est au point où j’ai longuement réfléchi à la question du suicide si jamais je devenais invalide, que j’étais atteinte de la maladie d’Alzheimer, de Parkinson ou de toute autre affection débilitante.


Il y a quelques jours, je me suis rendue à l’hôpital pour une hospitalisation. J’étais accompagnée du papa du petit humain. Nous avons rempli la fiche de renseignements, mon nom a été inscrit tout comme le sien. 

A ma grande surprise, lorsque mon dossier a été transmis aux médecins et infirmières, mon nom avait tout simplement été effacé. Lorsqu’il ne l’était pas sur certains documents, il se retrouvait en bout de ligne, parfois mal écrit. Oui, j’ai eu droit à du Bifou. Mais ne nous attardons pas sur l’orthographe.

Je n’existais plus. 

Qu’il s’agisse des perfusions, des médicaments, des repas, ou des interpellations, mon nom n’était pas celui utilisé. Je suis passée de Befoune à Madame le papa du petit humain. Sans transition. Sans prévenir. Au point où une infirmière s’est adressée à moi sans que je ne fasse le lien entre son discours et ma personne. Mon nom n’avait pas été prononcé, et j’ai appris à me mêler de mes affaires. Alors je ne l’écoutais pas. 

Mon nom a été effacé.

De nombreuses femmes doivent avoir vécu cela, mais ce n’est pas le sujet. Rester allongée des heures durant m’a permis de réfléchir à ce que représente pour moi mon nom.

Befoune, oui, mais Befoune qui ?


Lorsque je me suis lancée dans l’activisme politique 2 phénomènes se sont produits, phénomènes sur lesquels je ne sais pas exactement si j’ai eu le contrôle ou pas : mon prénom a disparu, et la prononciation de mon nom a changé. Commençons par le nom. Le changement de prononciation ne m’a posé aucun problème, au contraire. Il me permettait d’être dissociée de ma famille. Le rapprochement ne pouvait être fait, alors mes proches ne pouvaient porter le poids de mes actes, raison pour laquelle j’ai parfois fait dans les extrêmes.

Le bonheur et surtout la liberté que procurent l’absence d’attache…

Mon prénom a disparu parce que beaucoup ont pensé que mon nom était un pseudonyme. Il semblait « original ». Les autres ont cessé de l’utiliser pour cette raison. J’ai cessé de l’utiliser car je me suis rendue compte que d’une manière ou d’une autre, il affaiblissait mes propos. Anne Marie Befoune était moins prise au sérieux que Befoune. Alors Anne Marie Befoune a été mise de côté. 

Je ne me suis jamais vraiment posée la question de savoir pourquoi l’une était plus faible que l’autre jusqu’à ce que je me retrouve dans un aéroport en plein Lomé. Aphtal est venu vers moi tout sourire, et m’a appelée par mon nom, Befoune. Daouda Coulibaly lui a demandé où était Befoune. Il a tendu la main vers moi et Daouda, tout surpris, s’est exclamé « Mais je pensais que Befoune était un homme ! »

J’ai commencé à faire plus attention à ce qui se disait de moi après cette exclamation. Peu de gens savaient que Befoune est une femme. Peu de gens connaissaient son pays d’origine. Peu de gens connaissaient son parcours. Befoune était plus un concept qu’une personne, ce qui donnait plus de force à ses propos.

Je n’ai jamais voulu être quoi que ce soit d’autre que moi. Befoune y est arrivée. 


Je ne me suis jamais considérée comme étant une femme jusqu’à ce que je sois enceinte. Je n’ai jamais connu les limites de mon sexe jusqu’à ce que je me retrouve alitée parce qu’un petit humain grandit en moi. Je n’ai jamais été malade. Je n’ai jamais été hospitalisée jusqu’à l’épisode raconté précédemment. Je n’ai jamais eu besoin d’aide pour prendre soin de moi, alors je n’ai jamais évalué l’ampleur de mon indépendance. Plus encore, je n’ai jamais su ce qu’elle représente pour moi.

Ma féminité s’est révélée à moi de manière très brutale. Le fait que je ne me couvre d’aucun artifice ou que je me fasse épiler les sourcils une fois tous les 7 mois n’y a rien changé. J’ai encore du mal à l’écrire, j’ai encore plus de mal à l’accepter, mais je suis une femme selon les lois de la nature. Pourtant je n’arrive toujours pas à me voir comme tel.

Lorsque je me regarde dans le miroir, mon cerveau n’associe pas mon corps à mon ventre qui prend du volume. Aujourd’hui plus qu’avant ça  reste quelque chose de sympa à voir, mais mon cerveau n’a pas traité l’information selon laquelle ce ventre, ces seins tout gros et ces cuisses qui perdent en muscle sont à moi. Non. Je regarde sans m’attarder dessus, je fais ce que j’ai à faire et je me barre. 

Je me souviens d’une fois où je vaquais tranquillement à mes occupations, toute joyeuse, jusqu’à ce que mes yeux tombent sur un miroir et que je m’exclame « Oh je suis enceinte ! »

Je ne suis pas moi.


Depuis quelques mois maintenant, je ne suis plus seule. Nous sommes 3. Le petit humain, son papa et moi. 

Je me suis réveillée un matin avec dans la tête une question qui me hantait : suis-je heureuse ?

J’ai partagé ce questionnement avec le papa du petit humain qui m’a demandé tout calmement où était le réel problème. La contrainte me déprime. Pourrai-je prendre soin de 2 autres personnes que moi sur une base plus perpétuelle que quotidienne ? 

Je suis une personne affreusement entière. Je ne cours pas 2 lièvres à la fois, et je ne sais pas faire semblant. Si je prends soin de quelqu’un je le fais entièrement. Vais-je perdre mon Moi pour leur bien être à tous les 2 ? Comment vais-je gérer cette situation ? 

Cette question me terrorise tellement que mon cerveau a fait ce qu’il sait faire de mieux : il est passé en mode pilotage automatique. Mais je ne peux rester ainsi longtemps, une réponse doit être trouvée. Comment trouver l’équilibre entre moi et les autres ? Comment ne pas disparaître au profit d’un bien être qui n’est pas le mien ?

 


Aujourd’hui je suis passée de Befoune à  C. Befoune.

Une autre mutation pour une autre vie. 

Je ne me reconnais plus en Befoune tout court.

J’ai appris à mettre de l’eau dans mon vin. J’ai appris à nuancer mes propos. J’ai appris à prendre un vrai recul avant de me prononcer. Et, surtout, j’ai d’autres batailles à mener. L’activisme politique reste utile, mais je vous l’ai dit, je ne sais pas courir 2 lièvres à la fois. Je ne peux partager que ce qui a de la valeur pour moi et, pour le moment, je suis ce qui a le plus de valeur à mes yeux. Mon parcours d’humain (sans le e) a la priorité tant pour moi que pour le petit humain.

Je continue de me battre pour le changement, mais d’une manière plus légère, et à mon sens plus utile. Plutôt que de critiquer négativement les faits d’un gouvernement en place, j’inviterai ceux qui prennent la peine de m’écouter à s’éduquer à travers un livre, un film, une série ou un podcast afin qu’ils puissent se faire eux-mêmes leur avis sur les actions de ce gouvernement. 

Plutôt que de me focaliser sur les noirceurs du monde, j’appelle de temps en temps à nourrir la réflexion à travers un compte Instagram ou un article au contenu intéressant. Je me focalise sur l’acquisition de connaissances et le questionnement tant pour moi que pour les autres. Je n’ai plus la force de crier ou de réclamer. A présent je chuchote. Ceux qui pensent avoir besoin de savoir ce que je dis tendront l’oreille.


Befoune, oui, mais Befoune qui ?

Tout dépend, je pense, à ce à quoi je fais face dans la vie.

Aujourd’hui c’est C. Befoune, tout simplement.

 

Photo : Maurice Thantan


Digressions n’a aucun compte sur les réseaux sociaux, une situation qui n’est pas près de changer. Pour vous tenir informés des activités ici, abonnez-vous au blog, tout simplement. 

Je suis disponible par mail à l’adresse mesdigressions@gmail.com et sur Instagram à @c_befoune.

5 comments
  1. Perdras tu ton toi à leur profit? Je pense que non, mais juste un réajustement des priorités. Comme avec elle Citoyenne, le besoin de se concentrer sur autre chose, l’envie d’utiliser de nouveaux canaux pour s’exprimer, pour prendre son pied dans sa vie.
    Le petit d’homme et son Pere jouerons un rôle bien défini, t’aiderons à découvrir un autre toi, un toi qui saura être ce mix de C.Befoune et de “Mother Befoune”.

    Trouver son bonheur dans le sourire et le Petit calin d’autrui, penses tu que tu reussiras à le trouver? la reponse je pense determinera la Prochaine Befoune, Befoune V3

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *