Famille et communication : shut up !

11 minutes

Il est difficile d’établir des limites lorsqu’il s’agit de la famille.

L’avez-vous remarqué ?

Ces derniers jours plus que jamais, je suis sensible aux mots, à la façon dont je parle et à la façon dont on me parle. J’ai observé la manière dont je m’exprime dans un environnement familial, et je me suis rendue compte que notre manière de communiquer est blessante. Elle me blesse parce que je m’en suis détachée, sauf que je continue parfois d’encaisser.

Je ne l’avais pas réalisé. Je pensais y être arrivée, mais je me rends compte que non. Je me tais. Je me dis que ce n’est pas grave. Je me dis que certains membres de ma famille vivent une grande souffrance qui se manifeste par des mots méchants, par le fait de tourner l’autre en dérision pour éviter de faire face à ce qui est dérisoire : eux-mêmes, leur intérieur. Je me dis qu’ils n’ont pas accès au même contenu que moi qu’il s’agisse de livres, de podcasts ou de blogs, alors ils n’ont pas forcément la possibilité de voir les choses comme je les vois, moi.

Ne nous méprenons pas. Je ne dis pas ici que ma famille me malmène ou me maltraite. Loin de là. Je dis que les codes de communication que nous avons adoptés depuis petits, des codes dont nous avons peut-être hérité, ne sont pas forcément les bons. Nous nous faisons mal parfois, et lorsque nous sommes le récepteur de mots durs, nous nous disons que si nous avons mal c’est peut-être parce que nous ne sommes pas assez forts, c’est parce que nous ne comprenons pas leur humour, c’est parce que nous devrions nous entraîner à mieux comprendre leurs mots car ils ne peuvent pas vouloir nous faire du mal, ils nous aiment.

Plus que les amis, la famille obtient très souvent un passe. Elle peut tout faire, car mettre des barrières ce serait… criminel. C’est la famille. On ne choisit pas sa famille. On l’accepte telle qu’elle est et on remercie le ciel d’en avoir une.

Je me suis rendue compte des problèmes de communication au sein de ma famille lorsque j’ai commencé à écouter le podcast The Overwhelmed Brain de Paul Colaianni. Je l’écoute depuis bien trop d’années pour vous diriger vers des épisodes précis. Je préfère vous dire ce que j’ai appris de lui, et si vous êtes intéressés, alors vous irez découvrir son travail par vous-mêmes. Si c’est le cas, n’hésitez surtout pas à partager avec moi ce que vous pensez de ses épisodes de podcast, ce que vous avez découverts en les écoutant et ce qu’ils vous inspirent.

Grâce au podcast j’ai pu mettre des mots sur des comportements qui me font mal. C’est l’une des choses les plus difficiles. Pouvoir identifier la source du mal. Une fois que le mot est trouvé, il est possible de vivre pleinement la sensation, de cesser de l’enfouir parce qu’elle ne devrait pas exister vu qu’elle n’avait pas de source identifiable. Grâce au podcast, je me suis rendue compte que mon complexe d’infériorité me venait de ma famille, qui a pour principal moyen de communication la moquerie. Rire de tout, tourner en dérision des efforts parce qu’ils sortent de l’ordinaire.

Lorsque j’ai commencé à faire du fitness, j’étais au plus bas. Le premier commentaire que j’ai entendu a été « Tu te fatigues pour rien, tu n’auras aucun résultat », accompagné d’un éclat de rire. J’ai eu très mal sur le moment, et j’ai voulu tout arrêter. Mais je me suis dit que je le faisais pour moi et si j’étais autant blessée, c’était tout simplement parce que je n’étais pas assez forte. Sauf que ce commentaire a laissé une très grande cicatrice. Je ne faisais du fitness qu’à 5h du matin, quand tout le monde était endormi. Vous savez à présent d’où me vient ma routine matinale. Aujourd’hui je le fais la porte fermée à double tour. Parce que, que je le veuille ou non, je suis marquée par cette moquerie.

Ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. Mais le plus intéressant est que j’ai moi aussi adopté ce mode de communication étant donné que j’ai baigné dedans dans ma famille, mais aussi dans des cercles plus larges. Je vous l’ai dit plus d’une fois, j’ai été une peste lorsque j’étais plus jeune. Je me moquais des gens à les faire pleurer. Ils n’étaient tout simplement pas assez forts pour comprendre l’humour. S’associer avec des gens, qu’il s’agisse de membres de ma famille ou d’amis, pour se moquer des autres est l’une des pires choses que j’ai eu à faire dans ma vie.

Mais ne digressons pas plus encore. Revenons à The Overwhelmed Brain.

La plus belle découverte a été celle du comportement passive-aggressive. Je n’en avais jamais entendu parler, mais j’avais déjà été blessée, et même marquée, par des personnes très proches qui en ont usé. Comme je l’ai dit au début, étant donné que je ne pouvais nommer la chose, j’ai pensé que le problème venait de moi. Pourtant ce n’était pas vrai. J’avais des raisons d’être blessée.

Etre passive-aggressive c’est user des phrases à double sens sans qu’on ne puisse vraiment dire si l’animosité qui semble être contenue dans les mots existe vraiment ou si elle n’est que le fruit de notre imagination. Rien n’est direct, tout est dans la subtilité. Parfois la personne ne vous parle pas directement, mais s’arrange pour que vous l’entendiez. Prenons le cas de la phrase très célèbre des parents « Une maison où personne n’est jamais là pour aider ! » Vous êtes 10 dans la maison, qui est personne ? De quelle aide s’agit-il exactement ? Tout le monde se sent visé, pourtant personne n’est directement indexé. Tout le monde, même ceux qui prennent le temps de balayer la cour tous les matins. Où ceux qui font la vaisselle tous les soirs.

Le plus difficile avec ce type de comportement est qu’on ne peut y répondre parce que soit rien n’a été vraiment ou clairement dit, soit personne n’a été directement indexé. J’ai pris un exemple très léger, mais il y en a d’autres plus durs, comme les frères qui lancent à la volée « Il y a des gens ici qui pensent qu’ils sont meilleurs que les autres ! » Vous imaginez le questionnement dans la tête de chacun ? Qu’ai-je encore fait ? A quel moment j’ai laissé penser que… ? Mais pourquoi toujours moi ?

La torture mentale est grande face à une attitude passive-aggressive. J’en suis venue à la conclusion que c’est une forme de violence domestique. Tout comme le silent treatment, ce « Tout va bien » alors qu’il est clairement visible que tout va mal, que la personne est vexée par quelque chose, qu’elle ne vous parle que par onomatopées, et qu’elle agit comme si vous n’existiez pas. C’est de la torture mentale qui laisse des séquelles graves. J’ai des séquelles graves, et je ne m’en suis rendue compte qu’à travers le podcast de Paul Colaianni.

Dans ces cas, les problèmes ne peuvent être réglés car ils ne sont pas clairement énoncés et semblent même ne pas exister. Alors le ressentiment s’accumule, tout comme la culpabilité. Le ressentiment parce que la personne en face nous fait mal, très mal, et la culpabilité parce qu’on en arrive à se demander si tout ce cinéma n’est pas le fruit de notre imagination. On s’en veut d’en vouloir à une personne qui n’a rien fait.

Il en va de même pour les compliments à double sens. « Tu tiens toujours ton joli petit blog ? » L’insistance sur le mot petit qui, dans une phrase qui contient tout de même l’adjectif mélioratif joli, réduit votre travail à… rien du tout. Puis, le sourire aux lèvres, le cousin, la cousine, le frère, la sœur, ou l’ami proche continue en disant « C’est bien de s’occuper ainsi, c’est pour vous qui avez du temps libre ! ». Que sous-entendrait ceci ? Que je suis oisive au point où pour meubler le temps, je consacre quelques heures perdues à gratter du papier ? Je me suis souvent posé ces questions parce que j’ai souvent été blessée par ces déclarations.

Dans son podcast, Paul Colaianni dédie une section de ses épisodes au courrier des auditeurs. Cette plainte revient très souvent : « Tel membre de ma famille a une attitude blessante au quotidien, mais semble le faire par amour. Je ne sais comment le lui dire, je veux parfois couper tout lien, mais c’est un membre de ma famille, je n’en ai pas le droit. » De nombreuses famille vivent ce drame, et jusqu’ici je n’arrive pas à comprendre ce qui motive cette façon de s’exprimer. Si je retourne en arrière et que je me remets en contexte, j’agissais ainsi parce que c’était la norme, mais aussi pour rendre les coups. Tu t’es moqué de moi hier, je me moque de toi aujourd’hui.

Cette attitude me revient souvent lorsque je suis aux côtés d’une personne que j’ai côtoyée avant de décider de faire tout ce travail sur moi-même. L’année dernière, une personne que je connais depuis mes 20 ans (l’époque de la peste en puissance) a commencé elle aussi à faire un travail sur elle, et l’activité sportive en faisait partie. Elle m’en a parlé et j’en ai rigolé. Elle m’a reprise en me demandant pourquoi j’étais méchante envers elle. Je dois avouer que sur le coup je n’ai pas compris de quoi il était question. Nous nous étions toujours parlées comme ça elle et moi… sauf que j’ai commencé à la reprendre à l’époque où j’ai décidé de changer, par contre je perpétuais l’attitude. En gros j’étais l’agresseur qui refuse de se faire agresser. Pire encore, je reproduisais exactement ce que j’ai subi quelques années plus tôt et qui m’a marquée de manière indélébile.

La question de cette personne m’a donnée une belle claque. L’enfer c’est les autres, comme l’a dit Sartre. Le miroir n’est jamais tourné vers soi, alors on ne se voit pas. L’une des choses que j’ai le plus appréciée chez Paul Colaianni est le fait qu’il revient très souvent sur son passé d’agresseur. Il a été longtemps marié à une femme qui subissait des violences morales de sa part, mais il ne s’en rendait pas compte. Il lui lançait des paroles méchantes avec des sourires, il était passive-aggressive et usait du silent treatment. Ce n’est que lorsqu’elle l’a quitté après des années de souffrance qu’il s’est rendu compte de ce qui se passait vraiment au sein de leur ménage.

C’est rafraîchissant d’écouter une personne parler aussi librement des abus dont elle a été victime, mais également des abus qu’elle a fait subir. Ça permet de comprendre qu’on n’est pas à l’abri, quel que soit le côté de la barrière où on se trouve. Depuis que cet ami m’a demandé pourquoi j’étais méchante avec lui, je fais doublement attention lorsqu’une personne partage avec moi ses projets et ses avancées. Mon intention n’était pas de lui faire mal. Je me suis exprimée ainsi par réflexe je dirais, sans y penser. De la méchanceté gratuite, tout simplement.

Je fais plus attention à ce que je dis, mais également à la manière dont on me parle. Ce sujet est le sujet du jour parce que je me suis rendue compte que des personnes très proches ont encore des passes. Je les laisse faire, je me laisse blesser et je leur trouve des excuses. J’ai posé la question dans mes stories sur Instagram samedi matin. J’ai demandé aux gens s’ils avaient dans leur entourage des gens qui faisaient des choses méchantes sans sembler s’en rendre compte, et ce qui selon eux est à l’origine de cette attitude.

Beaucoup m’ont répondu, et trois mots sont souvent revenus : souffrance, aigreur et méchanceté. Je pense que la méchanceté dans ce cas naît de la souffrance et de l’aigreur. Sauf que je ne veux plus être un punchingball. Je ne veux plus être celle qu’on frappe pour se sentir mieux. Je ne veux plus donner de passe. Je ne veux plus faire mal et je ne veux plus qu’on me fasse de mal. Que chacun vive ses souffrances et les exprime d’une manière plus saine.

Photo : Raw Pixel


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20 comments
  1. Thank you for your comments about the show. Very happy to read that you were able to label what was happening so that you could get out of the vicious cycle of toxic behavior and dysfunction that can be so debilitating sometimes.

    Great article! I’m so glad you are putting your light into the world.

    I appreciate you.

    1. I am very happy you took the time to drop a comment. Thank you for your amazing job, you helped me way more than you can imagine. In each and every aspect of my life. Thank you.

  2. Quand j’entrais en école de communication, un de nos enseignants s’efforçait à vouloir nous montrer l’importance de la communication interne pour une entreprise. (comparable ici à l’intérieur de l’individu, sa conscience, sa morale,etc). Et il disait que, la communication Externe, était la communication interne exportée. Donc, si une entreprise a du mal a mettre en place une bonne stratégie de communication interne, elle aura des répercussions sur la communication externe. Dans le cas présent, lorsqu’une personne souffre en interne, en son sein; elle aura tendance à l’exprimer à l’extérieur. Et en fonction du degré de souffrance, les manifestations sont différentes : dire des méchancetés aux autres, critiquer, blesser, etc. Pour ma part, quand quelqu’un exprime une méchanceté gratuitement je me dis qu’il souffre énormément intérieurement. Voilà ma contribution et compréhension. VK

    1. Je pense aussi que c’est un mal-être, Vanessa. Je le pense vraiment, n’empêche que ça reste blessant. Qu’aurais-tu fait toi, si tu avais une personne pareille dans ton entourage ?

  3. J’aime beaucoup cet article A-M. Je sais combien cela peut être difficile de se faire comprendre des autres et de supporter leur remarques negatives lorsqu’on commence un cheminement personnel et un travail sur soi qu’ils n’ont pas eux commencé. Pour moi cela a été important de me rappeler à chaque fois d’être bienveillante avec mes proches tout en imposant mes limites. Ca prend du temps de trouver un nouvel équilibre mais ceux qui t’aiment vraiment finissent toujours par t’accepter tel que tu te présentes si cela est fait avec amour et bienveillance.

    1. C’est quelque chose que j’ai toujours beaucoup admiré chez toi : tout en douceur, tu sais imposer tes limites pour conserver un espace sain. Au départ je me disais que c’était un peu dur d’agir de cette façon envers les autres, mais aujourd’hui je comprends l’importance de cette attitude. Je me suis beaucoup inspirée de toi lorsque j’ai commencé à réfléchir aux limites.

  4. Tellement vrai cette théorie de passive agressive… C’est encore pire quand tu es la plus jeune. La on se moque beaucoup plus ouvertement de toi et aucune possibilité pour répliquer par peur d’être traduit en justice familiale pour manque de respect. Mais on se rends compte que ça fait mal seulement quand c’est toi la victime. J’avoue que ça procure un plaisir immense quand on se moque aussi librement d’un proche.

    1. “Ca fait mal seulement quand c’est toi la victime.” J’aime cette phrase, elle est tellement vraie. Le plaisir est grand quand on est le méchant, et le mal-être et les séquelles sont immenses quand on est la victime.

  5. S’il ya une chose que j’ai fini par apprendre c’est que les autres ne sont pas nous malheureusement. Autant on peut mettre de la bienveillance dans nos interactions avec notre entourage ou nos proches autant ils n’ont aucune obligation de le faire. Les limites à mettre pour ne pas être ou ne plus être blessée c’est de savoir qui est qui. On l’apprend par les chocs malheureusement mais il faut passer par là. Par exemple je sais à qui je partage mes écrits ou mes projets créatifs, je sais qui j’inviterai pour une expo ou même en parlerai, je sais à qui je parlerai de ma nouvelle lubie artistique ou autre, à qui je parlerai de ma nouvelle coupe de cheveux etc… ça ne signifie pas qu’on ne sera plus atteint mais au moins on part avec un acquis : on sait déjà un peu qui est qui.
    Autre chose aussi pour terminer, c’est essentiel de se remettre en question constamment. J’ai beaucoup été victime de bodyshaming dans mon adolescence et dans le début de la vingtaine par des amis et proches. Sans le savoir, je l’ai aussi fait à 2 proches par ignorance et mimétisme des canons de beauté que je pensais être applicables à tous. La lecture et l’introspection m’ont radicalement changé et j’espère ne plus jamais être du côté des personnes toxiques.

    1. “Autant on peut mettre de la bienveillance dans nos interactions avec notre entourage ou nos proches autant ils n’ont aucune obligation de le faire.” J’aimerais tellement que tu écrives un article à ce sujet, Téclaire.

    2. J’essaie de faire ce tri moi aussi. A qui dire quoi ? Avec qui partager quoi ? Les réactions en face sont parfois violentes.

      Je suis vraiment désolée pour le body shaming dont tu as été victime, et je suis plus qu’heureuse que tu aies réussi à traverser tout ça. Nombre d’entre nous ont été agressés, mais sont aussi inconsciemment devenus des agresseurs. La remise en questions permanente est effectivement l’une des solutions pour briser la boucle.

  6. Ce que je lis là est tellement vrai! Je risque de faire un article en commentaire. Merci pour ce post Anne Marie. Personnellement j’en ai été victime pendant des années mais depuis que je m’en suis rendue compte j’ai tout simplement coupé les plombs avec ces personnes parce qu’elles ne changeront pas. Je vis franchement mieux.

    1. Je suis très intéressée par le concept des limites et des barrières lorsqu’il s’agit des relations. Lorsque les limites ne suffisent plus, de réelles barrières s”imposent. Je te comprends parfaitement Awanabi.

  7. Ce qui est encore plus intéressant que l’article, ce sont les discussions que tu crées. Sur le sujet, moi j’.ai appris à ne plus faire subir aux autres ., Le jour où j’ai appris à dire ” aujourd’hui, je ne me sens pas bien. Je vais faire des efforts mais j’ai besoin d’être seule”. L’une de mes plus grandes claques a été en 2015, ma petite sœur qui m’expliquait comment j’avais réussi à la faire se sentir stupide et que je passais mon temps à lui rejeter toutes mes peines. J’étais en larmes et je me suis promis de ne plus jamais être dans le camp des agresseurs. Depuis que je suis devenue maman, c’est encore plus dur parce que c’est parfois tellement facile de ne pas prendre sur soi pour son enfant, mais je bataille. Merci d’avoir ouvert le débat

    1. Je dois avouer que tu ouvres un autre pan de la réflexion : la communication avec son enfant. Je n’y ai pas encore pensé. Je devrais.

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