Entre sclérose et abîme : comment gérer la douleur ?

8 minutes

Doit-on faire mal parce qu’on a mal ?

Une personne que je connais a perdu sa sœur.

Lorsqu’une personne de mon entourage perd une personne, je ne lui écris pas. Je n’appelle pas. Je ne fais pas signe de vie. J’estime que les gens n’ont pas besoin que je leur fasse savoir que j’ai la primeur de l’information. Ils ont plutôt besoin de se retrouver entourés de leurs proches, de se recentrer sur l’essentiel, et c’est un processus difficile à vivre. Je ne veux pas être une interférence. Je réapparais généralement quelques semaines après.

Aujourd’hui a été le jour de ma réapparition dans la vie de la personne dont j’ai parlé au début, celle qui a perdu sa sœur. Après lui avoir dit que j’avais appris la nouvelle et que j’étais désolée pour elle, je lui ai demandé comment elle allait. La réponse a été très méchante. Vraiment méchante. « C’est une question qui n’a aucun sens dans ma situation actuelle. Mais bon. Je vois que ce sont les hormones. »

Si vous êtes informés des derniers événements, vous savez que ma grossesse est un sujet très sensible, grossesse dont cette personne a appris l’existence exactement une demie heure avant de me balancer cette réponse au visage. Je n’ai pas voulu en faire tout un plat, alors j’ai simplement répondu « Ta réponse est insultante. Du coup je me retire et te souhaite beaucoup de courage. » Je vous l’ai dit dans le dernier article, Vers un moi autre que moi…, je n’ai plus ni la force physique, ni la force mentale de bavardailler.

Doit-on pardonner à une personne de nous faire mal parce qu’elle a mal ?

J’avoue qu’il faut beaucoup de recul pour ne pas en vouloir au monde lorsqu’on se retrouve dans certaines situations, mais je ne me laisserai pas servir de punchingball parce que la personne en face estime que la seule manière d’accepter sa situation c’est de me blesser. J’en parle longuement dans l’article Famille et communication : Shut Up! Je n’ai rien fait à cette personne pour que ma sollicitude, aussi réelle qu’elle ait été, soit réduite à des caprices de femme enceinte, expression utilisée uniquement par les simples d’esprit. Vous l’avez déjà utilisée ? Alors vous en êtes un.


Lorsque j’ai appris ma grossesse, je me suis effondrée. Littéralement. Quelques jours après j’ai reçu l’appel d’une amie qui, sans que je ne le sache, souhaitait évaluer la situation. Après notre discussion elle m’a dit ceci : « Je suis contente que tu ne détestes pas cet enfant et que tu ne penses pas que tout est sa faute. » Quelques jours avant, le père du petit humain m’a demandé d’un air sérieux « Comment est-il possible que malgré ton ressenti actuel tu ne m’en veuilles pas et tu ne me repousses pas ? »

Ces deux réactions m’ont étonnée. Vraiment. La situation est telle qu’elle est et je la déteste. Elle est difficile à vivre tant que physiquement que moralement, et jusqu’ici je n’ai pas encore trouvé le bon côté de la chose. Malgré cela, mon objectif ultime n’est pas de trouver un ou des coupables. Je me morfonds, mais je ne cherche pas sur qui déverser ma colère, ma rage, ma frustration. Personne n’est fautif dans cette histoire. C’est arrivé, tout simplement. Ça fait mal, ça chamboule tout, je ne vois pas le bout du tunnel, et incriminer des gens n’y changerait rien. Au contraire, je leur ferai du mal, sans aucune garantie que ça me fera du bien à moi. La vérité est que même si le plaisir sur le coup peut être bon à ressentir, la culpabilité prend le dessus tôt ou tard et on se sent fautif et honteux. Je n’ai pas besoin de ça.

J’ai appris avec l’âge et le temps à effacer les interférences de mon ressenti. Ce n’est pas parce que j’ai mal après une rupture que je souhaite le retour de l’ex. C’est fini, et je me laisse le temps d’avoir mal pour passer à autre chose de manière saine. Ce n’est pas parce qu’un locataire inattendu, exigeant et mauvais payeur s’est installé dans mon corps que je vais le haïr. Je me morfondrai parce que c’est difficile à vivre, mais en parallèle je planifierai absolument tout, de la couleur de ses draps à l’école où il ira.

Oui, c’est planifié.


Autant je sais ne pas blâmer les autres des faits dans ma vie, autant je ne sais pas ne pas me faire mal lorsqu’ils surviennent. J’ai eu une longue réflexion aujourd’hui sur mon comportement envers moi-même depuis le début de tout ceci. Je dois avouer que je ne suis pas très fière de moi.

Il est vrai que je suis physiquement affaiblie, ce qui me fait avoir très peu de contrôle sur les activités que je mène ou que je suis susceptible de mener. Je ne peux rien prévoir, car je ne sais comment je me sentirai une minute, une heure ou un jour après avoir pris la moindre décision. Mais est-ce que ça justifie le fait que je me laisse sombrer au point de ressentir mon cerveau se scléroser ?

Quand je vais mal je ne blâme personne, je me laisse aller. Je me regarde sombrer, et c’est le cas ces derniers mois. J’ai essayé de mettre le future self au contrôle comme je l’ai expliqué dans Ma vérité : je n’y serais pas arrivée sans vous, mais le present self ne se laisse pas faire. A certains moments (plus souvent que je ne l’avais prévu) il refuse d’entendre raison et n’en fais qu’à sa tête.

Cette année je n’avais rien prévu d’autre que lire et écrire. Il était également question pour moi de me former en business management. L’année a commencé sur les chapeaux de roue, mais là…. je ne fous absolument rien. Je n’arrive pas à écrire parce que je ne lis pas. Mon cerveau n’est nourri de rien d’inspirant. J’ai regardé sans m’arrêter les deux premières saisons de Star Trek Discovery, puis tous les épisodes de la série Turn Up Charlie. Je lis à peine. Je passe mes journées sur YouTube à regarder des documentaires sur la manière dont les gens vivent leur vie à travers le monde, certainement pour oublier la mienne.

Je tombe plus bas chaque jour.

Le plus beau dans tout ceci est que je suis la seule à pouvoir me sortir de cette situation. Personne d’autre que moi ne le peut. Pourtant je ne fais aucun pas dans ce sens, ou quand j’en fais 2, je m’empresse d’en faire 4 en arrière le jour suivant.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, j’ai cessé de m’auto-flageller. Comme la rupture dont j’ai parlé précédemment, je me laisse le temps de mal vivre pour pouvoir reprendre le chemin sainement quand l’heure viendra. C’est difficile, mais c’est comme ça. J’ai essayé de combattre cet état et je n’y suis pas arrivée. Si j’y mets plus d’efforts, j’enfouirai toutes mes sensations et elles remonteront à la surface quand je m’y attendrai le moins. A ce moment-là elles seront dévastatrices. Ça me déprime d’être une loque humaine, mais j’ai la sensation que c’est ce dont j’ai besoin en ce moment. Ou alors c’est mon cerveau sclérosé qui me force à le penser pour que je ne le gêne pas dans son processus de dégradation. Ça aussi, c’est possible.

Je me sens dans un entre-deux, une situation que la légende de la dernière photo de mon amie Rachel-Diane sur Instagram illustre très bien :

https://www.instagram.com/p/BvcGLv-j-kC

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Donner du temps au temps. Une phrase que je comprends de plus en plus, surtout avec cette épreuve que je traverse. Il est impossible de ralentir le temps, comme il est impossible de le presser. Il faut le vivre, tout simplement.

Photo : Rafael Barros

PS : je parle de ma grossesse, mais je me limite à mon ressenti. Je ne parle pas de l’impact psychologique, familial (liens unis ou désunis avec des membres de ma famille) et financier. Devrais-je documenter cela aussi ? Serait-ce une bonne idée ?


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3 comments
  1. C’est étrange de faire le premier commentaire sur cet article. Ton point sur ne pas faire payer aux autres, a attiré mon attention car quelqu’un m’a justement reproché de lui avoir fait payer mon état de décrépitude des jours derniers et d’avoir balancé cela sur elle. Je ne sais pas si elle a totalement raison mais ce que je sais et que je comprends aussi bien que ce que tu exposes ici, c’est que parfois j’ai besoin d’avoir mal pour avancer. C’est peut-être un peu “sado-maso” mais j’ai parfois besoin de broyer du noir sans fenêtre, sans m’arrêter et d’observer mon être comme de l’extérieur pendant que la douleur l’habite. Pourquoi ? Parce que c’est en entamant ce processus que je me remets en question. C’est en acceptant ces émotions négatives que je peux éventuellement mettre le doigt sur ce qui m’affecte profondément et trouver des solutions. J’ai besoin d’avoir mal pour comprendre les mécanismes de ma douleur et admettre des émotions, des informations sur moi que parfois je refoulais depuis longtemps. Et je peux comprendre que pour quelqu’un qui ne me connait pas depuis longtemps et même pour quelqu’un qui me connait, que ce soit insupportable de me voir me morfondre. Mais une chose est sûre, les autres ne devraient pas subir le fait de ne pas comprendre. J’en viens donc chaque jour un peu plus vers cette situation radicale qui sera de me taire quand je suis en peine et de faire le cheminement d’introspection dans la douleur encore plus seule pour ne pas heurter et pour moi-même ne pas être blessée.
    Massa, être adulte c’est un processus tout sauf facile.

    1. Le plus difficile ici, je crois, et le fait de ne pouvoir imposer à l’autre de comprendre sa douleur. Je t’assure, j’ai eu du mal.

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