J’ai été une célébrité sur les réseaux sociaux. Une célébrité totalement fauchée !
Mais avant d’en parler, souffrez que nous nous mettions en contexte. Un livre m’a inspiré cet article, alors je me dois de vous en parler avant de plonger dans le vif du sujet.
Je vous l’ai dit il y a quelque temps dans un article ici sur Digressions, je juge tout et tout le monde. Raison pour laquelle je ne donne jamais que mes deuxièmes ou troisièmes avis. Ceux qui sont mûrement réfléchis. Les premiers sont toujours… très accusateurs.
Pourtant lorsque le livre I Am Judging You : The Do Better Manual de Luvvie Ajayi est sorti en 2016, il n’a pas avivé mon intérêt. J’ai découvert Luvvie Ajayi sur le podcast de Myleik Teele, et je l’ai adorée. Leur discussion a été un réel délice. Elle est pure, vraie. Luvvie est une célèbre blogueuse/podcasteuse (si le mot existe)/social media star américaine. Elle intervient dans les domaines de la pop culture et la tech, et est célèbre pour son engagement pour la cause des Noirs américains.
Je dois avouer que les combats de Luvvie me touchent peu, car je ne fais pas partie de son environnement. Ils ne me concernent pas et donc n’éveillent quasiment rien en moi. Par contre j’aime son franc-parler. Mais jusque-là je n’ai eu aucune envie d’acheter son livre, au contraire de celui de la YouTubeuse Patricia Bright par exemple, livre qui attend patiemment que je le dévore.
Un autre élément non négligeable en ce qui concerne mon manque d’intérêt pour ce livre est que je le voyais partout sur internet. New York bestseller. Tout le monde semblait l’avoir lu (certainement pas tout le monde dans votre réalité, mais je parle ici de la mienne). Je déteste les choses sensationnelles. Elles sont vulgaires. Je préfère découvrir des pépites, des livres peu connus ou alors réservés à un groupe de connaisseurs. Oui, je vous l’ai dit ici, je suis snob. Je ne le cache pas.
J’ai acheté le livre de Luvvie Ajayi sur Audible sur recommandation de mon amie Alix, The Mom Abroad sur Instagram. Je me suis découverte une passion pour les livres audio, et j’ai aimé écouter celui dont nous parlons aujourd’hui. Il est drôle et léger. Il aborde des sujets d’intérêts généraux et suscite la réflexion. Il mérite qu’on se penche dessus.
Oui, je sais, vous vous attendez à ce que je parle de la célébrité sur internet. Je sais. Le titre est loin d’être un click bait. Souffrez que j’éveille d’abord votre curiosité en ce qui concerne le livre qui m’a inspiré ce sujet et les confessions que je vous ferai. Ne l’oubliez pas, nous sommes dans un univers où la digression est maîtresse.
Il est dommage que seule la première partie du titre du livre de Luvvie ait retenu l’attention du public : I Am Judging You. A mon avis, cette partie est loin d’être plus importante que la seconde : The Do-Better Manual. Ce livre est un guide de vie pour naviguer dans ce monde où les nombreux changements exigent de nouveaux codes moraux.
Dans son livre Luvvie juge ouvertement les comportements discutables dans de nombreux domaines : l’amitié, l’amour, la consommation de l’information (mon addiction), le business, le racisme, la politique, le féminisme, la ou les religions, la situation des LGBTQ… Ce livre est un manifeste activiste tout en douceur et en rires. L’auteur fait passer des messages profonds sur un ton léger et captivant.
Des 23 chapitres que compte le livre, ceux sur la vie en sur internet ont le plus captivé mon attention. C’est ceux là qui me poussent à parler de mon expérience, d’où le titre de l’article. Et non, ce ne sera pas tout en strass et paillettes.
Comme je l’ai dit au début de l’article, j’ai été une star du net fauchée.
j’en ris aujourd’hui, mais je dois avouer que je remercie le Ciel, la Nature et la Providence tous les jours pour avoir eu la chance et la lucidité de sortir de cet univers. Vous vous demandez sans doute comment ça s’est passé. Je vous dirai tout.
Lorsque j’ai créé Elle Citoyenne en novembre 2015, il n’était pas question pour moi de faire quoi que ce soit de grandiose. Je découvrais le domaine de l’engagement citoyen et je consignais mes trouvailles et mes réflexions sur un blog histoire de revenir dessus au besoin. C’était purement et simplement un carnet de note personnel ouvert au public.
Sauf que le public a aimé.
Cet engouement m’a étonnée au départ, mais je m’en foutais un peu. Mon objectif était d’accumuler le maximum de connaissances dans le domaine. Je vous l’ai déjà dit, je fonctionne à l’obsession. Lorsque je suis obsédée par quelque chose, je ne respire que par celui-ci. C’est ce qui s’est passé avec l’engagement citoyen, les causes socio-politiques.
Je lisais tout, j’écoutais tout, je savais quasiment tout. Coup d’Etat au Burkina ? J’avais la primeur de l’info parce que RFI était le prolongement de mon oreille. Glissement de terrain à Haïti ? Je connaissais le nombre de victimes en même temps que les médias de renom parce que Reuters était le prolongement de mes yeux. Je consommais les rapports à vitesse grand V parce que j’avais soif de connaissances. En gros ? Je savais un peu tout sur tout.
Et je partageais ce savoir.
Ce partage a fait effet boule de neige. Je suis devenue une star du net. Mon Twitter était une source principale d’informations pour beaucoup. Mon Facebook où je partageais mes opinions et coups de gueules était une inspiration pour nombre de personnes. Au fil du temps les like et partages se sont multipliés. Mon nom devenait petit à petit un household name, de plus en plus connu. Le blog qui abordait les sujets à rebrousse-poil (vous savez tous que je ne suis quasiment jamais du même avis que la masse) éveillait la curiosité et suscitait la réflexion.
Puis sont venues les invitations.
Des médias de haut calibre me contactaient pour rédiger des articles informés sur des sujets pointus. Mon nom comme signature d’un papier garantissait 2 choses : la qualité (je le dis sans frime, vous savez tous que j’ai un ego démesuré : il est inadmissible que je produise un travail médiocre, il y va de ma réputation !) et une audience. J’étais sur les plateaux télé à invectiver des ministres qui, il y a quelques années encore, m’étaient totalement inaccessibles.
J’étais invitée à participer à des panels à travers le monde. Tous frais payés. Parfois même des perdiem à la clé. Je recevais des mails au ton presque suppliant qui m’invitaient à participer à des événements où les gens me regardaient les yeux brillants. J’étais invitée par les organisateurs à participer à des concours sélects, ce que je refusais bien évidemment. Je ne donne à absolument personne le droit de noter mon travail, le fruit de mes efforts. Les médias internationaux me contactaient pour avoir mon avis sur telle ou telle situation socio-politique, et les grandes organisations souhaitaient que je vulgarise leurs rapports ou que j’amplifie leur message.
En gros…. j’étais une star.
Avec l’ampleur que prenait Elle Citoyenne, j’avais besoin de plus de temps pour me consacrer à mes activités. Entre mes recherches, mes articles et les voyages, je ne savais plus où donner de la tête. J’étais super occupée, toujours entre 2 avions, et je n’avais plus de temps pour rien. Parallèlement mon boulot me faisait chier, il n’était plus du tout stimulant et j’avais atteint la position la plus élevée que je pouvais avoir au sein de l’organisation.
Alors je me suis barrée.
L’idée était très simple. Elle Citoyenne avait réussi à rassembler une quarantaine de contributeurs à travers l’Afrique, ce qui faisait sa force et sa différence. Il fallait donc faire de ce blog un média, et de ce média un business.
Donc j’ai démissionné. C’est là que la chose devient intéressante.
Lorsque j’ai quitté le Cameroun, je me suis installée chez ma sœur. Je n’avais absolument aucune charge financière, si ce n’était mes petits plaisirs personnels. Aucune obligation ne pesait sur mes épaules. Il m’était donc possible de démissionner sans aucun stress, malgré le salaire très convenable que je gagnais. Ma sœur savait la situation plus que pénible à mon boulot et m’a vivement encouragée dans cette direction (dans la direction de la démission et non dans celle de la folie digitale, soyons clairs).
La vérité est que je ne sais si j’aurais démissionné avec autant d’aisance si je n’avais pas ma « célébrité » en background. Je croyais dur comme fer que j’y arriverais, et l’aventure a été belle sur de nombreux plans. Étant donné que j’avais à présent tout le temps libre possible, les voyages se sont multipliés. J’étais presque toujours invitée à des événements de haut plan, j’avais enfin la possibilité d’y participer sans aucune contrainte.
Je montais, je descendais, je lisais, j’écrivais. J’avais parfois de petits contrats avec telle ou telle organisation, et je continuais de traduire (la traduction est mon métier de base, celui pour lequel j’ai été formée à l’université), mais uniquement quand j’avais le temps pour ou alors si j’étais dans la dèche.
La dèche.
Parlons-en.
Lorsque j’ai démissionné de mon boulot, je ne me suis assurée que de 2 choses : j’avais un nouvel ordinateur et un nouveau téléphone. Ces 2 éléments étaient et restent mes 2 principaux outils de travail. Je ne me suis pas fatiguée à faire des économies ou à m’assurer que j’avais assez d’argent pour subvenir à mes besoins pendant un moment. J’étais bien loin de la conscience que j’ai de mes finances aujourd’hui.
Pour dire vrai, je réalise que je n’avais aucun plan. Je voulais me consacrer à Elle Citoyenne qui me passionnait et je voulais en faire quelque chose de grand. Point. La célébrité qui m’entourait et qui entourait le site internet m’a persuadée que j’y arriverais.
Il m’a fallu plus d’un an, presque 2 pour réaliser que non seulement j’étais fauchée, mais je n’allais nulle part.
Je voyageais tout le temps et tous mes frais de voyage étaient pris en charge, jusqu’au déplacement de chez moi (plutôt de chez ma sœur) à l’aéroport et de l’aéroport à chez moi. J’allais distiller les connaissances accumulées et le fruit de mes réflexions 99% du temps sans être payée en retour.
J’avais la connerie de penser qu’ils me faisaient une faveur et c’était à moi de les remercier. En réalité ils s’appuyaient sur mon travail que je leur offrais gratuitement. Vous me parlerez du billet d’avion ainsi que des frais d’hôtel. Je vous dirais que si mon savoir était sans intérêt, ils ne m’auraient pas fait asseoir sur un panel devant des centaines de personnes pour partager mes avis. Vu que je ne peux pas me téléporter et c’est eux qui ont besoin de moi pour faire vivre leur événement, les frais de déplacement ne font pas partie de mon paiement.
A-t-on déjà déduit vos frais de mission/billet d’avion de votre salaire ? Pensez à 2 fois avant de vous dévaloriser de la sorte. Je pensais faire partie de la classe des grands, pourtant je faisais partie de la lie de l’environnement dans lequel j’évoluais : la classe de ceux qu’il est aisé d’exploiter.
Je n’avais tellement pas de temps libre que je n’avais pas d’espace pour penser ou alors pour me rendre compte que je ne gagnais pas d’argent. Aucun bailleur ne venait frapper chez moi pour régler son loyer. Aucune facture ne m’attendait sous le bas de la porte à mes retours de voyage. Je gagnais de petits contrats çà et là, ce qui me donnait l’illusion de gagner ma vie. Lorsqu’on signe un contrat à 7 chiffres, on pense qu’on a touché le ciel. Mais lorsqu’un ne signe ce type de contrat qu’une ou 2 fois l’année, on ne réalise pas qu’en réalité on gagne des miettes. Si vous êtes dans ce cas, additionnez tous les revenus gagnés puis divisez les par le nombre de mois des années durant lesquelles vous avez gagné ces contrats.
Exemple : vous avez eu 3 contrats d’1 million chacun cette année ? Ça signifie que vous avez gagné 3 millions cette année. Divisez 3 millions par 12 mois pour connaitre votre revenu mensuel. Vous avez gagné 250 000 FCFA par mois. A présent évaluez vos besoins, que vous viviez en famille ou non : potentiel loyer, courses du mois, crédit téléphonique… absolument tout ce dont vous avez besoin ou tout ce dont vous auriez eu besoin si vous deviez vous prendre en charge. Soustrayez ce montant de celui de votre gain mensuel.
Exemple : si vous deviez vous prendre en charge vous et potentiellement les membres de votre famille/votre compagne(on)/votre ou vos enfants, calculez tous les frais de ces charges sur une base mensuelle. S’ils s’élèvent à 500 000 FCFA, soustrayez ces 500 000 FCFA des 250 000 FCA gagnés. Vous êtes à – 250 000 FCFA. Vous vivez sur une ligne financière négative.
Vous fournissez tous ces efforts, pourtant vous vous devez de l’argent ainsi qu’à ceux envers qui vous manquez à vos devoirs. Vous devez 250 000 FCFA par mois, un montant additionnel que vous ne gagnez pas parce que vous pensez être importants, importance que vous évaluez par rapport aux like, aux partages, aux followers et aux invitations reçues.
A cause de ce système d’évaluation qui ne se base sur aucun calcul logique, j’ai pensé pouvoir faire d’un blog un média rentable. J’ai dédié à ce système 2 années d’efforts non-stop. Ce que je n’avais pas compris ? Les médias ont commencé à exister des siècles avant les like. Ils ont un fonctionnement clair, fonctionnement que je n’avais pas étudié.
J’ai pensé que parce qu’il était aimé, du jour au lendemain le contenu du site pouvait être vendu. Sauf qu’aimer un contenu ne signifie pas le lire. Partager un article ne signifie pas être prêt à payer pour à l’avenir. De plus, mettre en place un média payant requiert bien plus que l’achat d’un nom de domaine et la création d’un site. En outre, j’étais dans l’illégalité. Les médias sont soumis à des lois, et donc à des devoirs. EC n’était enregistré nulle part en tant que média. En gros ? J’étais comme tous ces entrepreneurs dont le seul mérite est d’avoir participé à 3 concours de pitch avec pour seul bagage une idée. J’avais un blog, et j’ai vu en lui tout un univers. Ce n’était rien d’autre qu’un blog. Il marchait bien, certes, mais ce n’était qu’un blog !
Ma petite sœur a obtenu son Baccalauréat.
N’ayant aucune confiance au système éducatif au Cameroun, ma grande sœur a décidé de la faire venir elle aussi.
La partie du film où l’acteur meurt, comme on dit chez moi.
En réalité c’était prévu depuis longtemps, mais tout ça restait bien loin de mon univers peuplé d’avions, de conférences, de like et d’applaudissements.
Lorsque je suis venue ici, ma sœur m’a assigné une chambre plus que confortable. Je venais « me chercher » comme on le dit communément. J’avais des diplômes et des connaissances pour lesquelles je pouvais (et devais) me faire payer. J’ai travaillé comme employée traductrice pendant près d’un an, puis comme traductrice indépendante. Ensuite j’ai travaillé pour cette organisation que j’ai quittée pour me consacrer à EC. Ne nous méprenons pas. J’aurais démissionné coûte que vaille. Mais peut-être pour un parcours différent si j’avais été plus éclairée.
J’ai largement profité de mon temps chez ma sœur. Elle a tout mis à ma disposition pour que je m’en sorte comme il le fallait. Elle m’a toujours encouragée à faire exactement ce que je voulais, tant que je pensais que ça pouvait me mener quelque part. Sauf que je ne suis pas sa seule sœur, et que celle qui vient après moi devait elle aussi avoir sa chance.
Après 2 années à monter et à descendre j’ai reçu une gifle : je devais partager la même chambre, le même lit que ma petite sœur, ma cadette de 14 ans. J’avais plus de 30 ans, et parce que je n’avais rien mis en place pour me prendre à charge financièrement, je l’empêchais elle de profiter pleinement de l’opportunité qui lui était offerte. J’avais eu la mienne. Il était temps de lui laisser la sienne. J’aurais dû partir bien avant son arrivée, mais je pensais vraiment que je faisais des choses utiles pour moi, et plus ma base de followers grandissait, plus j’avais l’impression d’avancer.
« We compete for likes which are arbitrary and have no real world value. »
Luvvie le dit dans son livre. Je n’aurais pu le dire plus clairement.
C’est à cette période que j’ai calculé mes revenus et que je suis tombée des nues. J’ai passé 2 années à travailler non-stop, à me créer une audience, mais je n’avais absolument rien gagné sur une base financière. Mon compte en banque me regardait en rigolant. J’avais l’impression qu’il me demandait sur quoi je comptais exactement.
La vérité est que j’aurais pu faire les choses différemment.
J’ai eu de nombreuses opportunités que j’aurais pu saisir, mais elles m’auraient éloignée de mon rêve, celui de faire d’EC un media respectable qui aurait pu me permettre de gagner ma vie. Je parle de rêve pas parce que je le souhaitais, mais parce qu’à la fin de la journée je n’avais rien entrepris de concret vers ce résultat. Oui, du contenu était produit. Oui, des questions critiques étaient abordées, mais pour quelle finalité ? Pour plus de likes ? Pour plus de retweets ? J’ai travaillé comme une folle, des efforts que j’ai orienté vers le recueil d’abonnés sur Facebook et Twitter au point de travestir m mon contenu.
« For [people paid to be public figures], likes are currency. When your platform is your paycheck, desperation can reach an all time high. »
Ça aussi Luvvie le dit dans son livre. Je ne gagnais peut-être pas d’argent, mais j’avais une visibilité que consciemment ou inconsciemment je souhaitais maintenir. Lorsque les like sont l’unité de mesure, pour rester au top, on travesti son travail. Il n’est plus fait pour être utile, mais pour être aimé. À présent vous savez pourquoi Digressions n’est sur aucun réseau social. Je me fiche qu’on l’aime. Le blog parle à ceux qui ont besoin de l’écouter. Comme le dit Edwy Plenel dans son livre La valeur de l’information, « Le public n’est pas la foule. »
Je ne regrette pas ces 2 années à courir le monde et les like. Je le répète, je vis sans aucun regret. Stéphane Menada dit dans un de ses commentaires sur le blog : « Il n’y a pas de mauvaise expérience : soit on gagne soit on apprend, et quand on apprend, c’est qu’on a gagné quelque chose. »
Même si je n’ai pas gagné beaucoup d’argent à cette époque, j’ai eu la chance (au contraire de beaucoup) de faire des choses qui peuvent apparaître sur mon CV et me permettre d’avoir un travail rémunéré. C’est en grande partie grâce à cette crédibilité bâtie dans le domaine de l’engagement citoyen que je pilote aujourd’hui un programme qui couvre l’Afrique francophone et lusophone. Une opportunité qui s’est présentée et que j’ai saisie, cette fois.
Je ne peux prétendre y être arrivée toute seule.
La première personne qui m’a demandé de trouver un boulot est In The Eyes of Leyopar, Leyo pour les intimes. Je suis allée pleurer ma dèche dans son inbox un jour, et la seule réponse qu’elle m’a donnée a été « Trouve un travail ! » Je me suis demandée si elle débloquait. A qui allais-je laisser mes conférences et voyages.
Ça peut paraître idiot, mais quels que soient ses résultats, la célébrité est addictive. J’avais la folle impression d’être utile à toutes ces personnes qui me suivaient. Je n’avais pas encore compris qu’une fois le like ou le partage effectué, elles retournaient à leur vie. La mienne se limitait à ces courts instants qu’ils me consacraient. Qu’on ait des milliers ou des millions d’abonnés, la vérité reste la même : si on veut vivre de la bulle digitale et qu’on ne peut proposer à ces abonnés quoi que ce soit qui les convaincrait de donner de leur argent, on vit de like, et les like n’ont jamais nourri qui que ce soit en ce bas monde.
Leyo m’a prise par la main. Elle m’a aidée à retaper mon CV et mon profil LinkedIn. Elle m’a aidée à postuler pour des boulots et m’envoyait au moins 3 offres d’emploi par jour.
Comment j’ai fini par avoir mon boulot ?
Non je n’ai pas été repérée.
Non, ma grandeur sur les réseaux sociaux n’a pas convaincu qui que ce soit de m’embaucher. Ces gens qui embauchent et qui paient bien (j’insiste sur le bien) ne sont généralement pas sur les réseaux sociaux. Ils font des choses concrètes et n’ont pas le temps de twitter pour faire sensation. Leur valeur professionnelle ne se limite pas aux like sur les photos d’événements questionnables partagées. Ces gens travaillent et ont besoin de travailleurs à leurs côtés.
J’ai eu mon boulot de la manière la plus simple : j’ai pleuré.
J’ai mis toute honte de côté, comme je l’ai raconté en longueur dans l’article Sans artifice : la vie rêvée que je semble avoir. J’ai compris que ma valeur n’était que virtuelle pourtant j’avais besoin d’argent dans le monde réel. Alors j’ai demandé à des personnes réelles de me tenir informée si elles avaient vent d’une offre d’emploi qui correspondait à mes compétences.
Un soir, une personne très réseautée m’a appelée juste pour prendre de mes nouvelles. Je lui ai dit qu’il n’y avait rien d’autre à dire si ce n’était que mon compte en banque était vide. Elle m’a alors parlé d’une offre d’emploi qu’elle ne pouvait accepter et pour laquelle elle devait recommander une personne. J’avais le profil. Mon CV retapé par Leyo a fait l’affaire et j’ai été prise.
Une personne réelle m’a trouvé un boulot réel grâce auquel je gagne un argent réel.
Ce que je dirais aujourd’hui à propos de la célébrité sur internet ?
Qu’il s’agisse d’ici ou d’ailleurs, la bulle digitale telle qu’elle est conçue est un énorme piège duquel il est très difficile de sortir. Mon expérience est parfaitement décrite dans le chapitre So You’re Kind of a Big Deal on the Internet. Je n’étais pas n’importe qui sur internet, mais je n’avais pas les moyens de me prendre en charge dans la vie réelle. Au contraire, je bousillais la chance que m’offrait ma sœur qui m’a fait venir ici pour que je puisse m’en sortir.
Je ne dis pas que toute célébrité sur internet rate sa vie. Non. Certaines ont réussi à en faire un réel gagne-pain. Elles sont allées au-delà des invitations que reçoivent les activistes qui parfois trahissent leur combat pour des voyages, et les concours de pitch que courent les pseudos entrepreneurs qui n’entreprennent rien d’autre que le peaufinage de discours pour des concours qui ne feront en rien avancer la valeur de leur produit. C’est l’utilisateur qui juge un produit, pas un jury.
J’ai vu des choses aberrantes sur internet pour gagner et/ou conserver la visibilité. J’ai vu une dame pour qui j’ai du respect se déshabiller dans la rue pour se changer avec comme paravent un pagne tenu par sa fille. Il faut des photos avec différentes tenues pour alimenter son compte Instagram. J’ai vu des personnes passer de photos intéressantes à des photos de nu pour retenir l’attention des gens.
J’ai également vu des gens faire de leur relation amoureuse leur fonds de visibilité. Luvvie en parle dans le chapitre When Baehood Goes Bad. Mel D a fait une fois une série de stories sur Instagram à ce propos : assumez jusqu’au bout vos partages. Si vous faites de votre relation amoureuse votre fonds de visibilité, votre salaire c’est notre attention. Lorsque la relation tourne court, venez nous dire en détail ce qui s’est passé, parce que nous nous sommes investis dans la relation et en faisons partie : nous avons liké et partagé. Des comptes détaillés doivent nous être rendus. Oui, c’est le prix de l’affichage sur internet.
Beaucoup de filles et femmes font de leur corps leur fonds de visibilité. Le chapitre On Sex Tapes est pour vous. Le modèle Kim Kardashian vous floue. Kim Kardashian n’est pas devenue riche grâce à sa sex tape. Sa famille était déjà riche. Les connaissances de sa mère en matière de marketing a permis à toute la famille de rebondir sur la fenêtre de visibilité à l’échelle mondiale offerte par le buzz autour de la sex tape. On ne la paie pas parce qu’elle s’est fait sauter. On la paie parce qu’elle est une valeur sûre pour vendre tout produit.
Ne pensez pas que seuls les anonymes se laissent piéger par la bulle digitale. Non. Bow Wow s’est fait lyncher pour avoir prétendu voyager en jet privé sur Instagram alors qu’il était en classe éco sur un triste vol commercial, comme nous tous. Oge Okoye a « volé » la photo des adorables chiots d’une star américaine, prétendant qu’ils étaient les siens, sauf qu’elle avait oublié que la photo était publique sur le compte Instagram de la star.
J’aurais pu continuer sur le sujet jusqu’à demain matin, mais je suis fatiguée et j’ai une envie irrépressible de terminer le livre Outliers de Malcolm Gladwell. Je vous en parlerai bientôt. On discutera de tous ces entrepreneurs qui se cassent le nez parce qu’ils pensent qu’il suffit de quitter l’école comme Bill Gates et de créer une app comme Zuckerberg.
Mon dernier mot est celui-ci : avant de vous lancer dans quoi que ce soit de risqué, assurez-vous que vous avez assez d’argent pour ne dépendre de personne. Si vous voulez faire de votre célébrité un gagne-apin, attendez qu’elle vous rapporte assez d’argent pour couvrir vos frais avant de laisser tout boulot sûr, qu’il vous fasse chier ou non.
La faim que vous ressentez seul le soir dans votre chambre, vous ne la partagez avec personne.
Photo: Tofros
PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !
Digressions n’a aucun compte sur les réseaux sociaux, une situation qui n’est pas près de changer. Pour vous tenir informés des activités ici, abonnez-vous au blog, tout simplement.
Je suis disponible par mail à l’adresse mesdigressions@gmail.com et sur Instagram à @c_befoune.
25 comments
Faudrait vraiment que tu me donnes plus de détails sur la manière de surligner des passages. J’essaie mais vraiment rien. Internet est un super gros piège qui parfois nous fait oublier la réalité. Toujours un plaisir de te lire. J’attends impatiemment l’article sur les entrepreneurs.
Les entrepreneurs… j’essaierai de ne pas être trop dure…
Befoune si j’étais en face de toi tellement j’allais te serrer fort n’empêche que cela te déplaise… Trop de jeunes activistes sont aujourd’hui obsédés par les conférences et activités a n’en point fini. Ils trahissent leurs missions pour des voyages comme tu l’as si bien dit. A un moment donné tu as l’impression qu’ils sont très importants et que c’est toi qui rate vie. Eux aussi le pensent jusqu’à ce que le 35 ème anniversaire vienne fermer la porte a beaucoup d’opportunités… Et puis façon tout le monde veut devenir leader là, j’espère que ma génération n’est pas entrain d’être piégé.
Je comprends ce sentiment d’avoir rate sa vie. Il ne devrait pas être, mais il est parfois difficile de le combattre. Je pense qu’il est important d’avoir un boulot, d’avoir un travail ou un business qui tourne. Les voyages c est beau mais si on ne sécurise pas ses acquis financiers…
J’ai vu des choses aberrantes sur internet pour gagner et/ou conserver la visibilité. J’ai vu une dame pour qui j’ai du respect se déshabiller dans la rue pour se changer avec comme paravent un pagne tenu par sa fille. La mère c’est qui non? le peuple veu savoir lol
La recherche de problèmes sur internet…
e déteste les choses sensationnelles. Elles sont vulgaires. Je préfère découvrir des pépites, des livres peu connus ou alors réservés à un groupe de connaisseurs. Oui, je vous l’ai dit ici, je suis snob. Je ne le cache pas.Je ne me considère pas comme sjob mais les choses sensationnelles, je ne les aime pas à cause du hype autour… et euh oui on se ressemble sur plusieurs points. je finis de lire L’ancinenne online star lol
😂😂😂
Il faut des photos avec différentes tenues pour alimenter son compte Instagram.Je cherche même les apparts meublés pour faire ma part lol
😂😂😂
Wèkè !!!!
Ton histoire est la réalité de plusieurs.
Je regarde ceux qui se font appeler influencer et je rigole encore plus.
Un médecin a un diplôme, un ingénieur pareil… qui délivre le diplôme aux influence – eurs ? Ils influencent qui? Est ce qu’avoir beaucoup de followers et de like c’est influencer? plusieurs sont des commerciaux (car ne placent que des produits) mais se font appeler des influence-eurs.
Comme je le répète, je suis sur internet pour me faire de l’argent, si ça ne m’aide pas dans ce sens, am out !!!
Si je en réussis pas à convertir mes abonnés en client, vraiment j’ai ndem donc hein, allons seulement.
Je vais lire demain l’article sur l’INFIANCEUR. J’ai faim. Bye <3
Il fallait venir rigoler chez moi il y a un an pour que j’ouvre les yeux 😩
Convertir ses abonnés en client : et la je me rends compte que je continue de rater ma vie au niveau de mes finances.
J’ai découvert ton blog il n’y a pas longtemps via un tweet qui passait dans ma TL et j’en suis vraiment ravie. Je prends plaisir à te lire et j’aime beaucoup tes écrits.
Merci beaucoup Evangeline !
Hello @Befoune
Merci pour ce partage à la fois généreux, délicieux et précieux.
Tu ne te feras pas beaucoup « d’amis », heureusement que ce n’est pas ton but 😂😂😂.
«Sauf qu’aimer un contenu ne signifie pas le lire. Partager un article ne signifie pas être prêt à payer pour à l’avenir. » Et même cliquer sur « j’aime » ne signifie même pas que le « cliqueur » (pas forcément lecteur comme tu l’as dit) aime.
«Lorsque les like sont l’unité de mesure, pour rester au top, on travesti son travail. Il n’est plus fait pour être utile, mais pour être aimé.» It couldn’t be truer.
Il faut vraiment avoir un caractère bien trempé, des convictions fortes, un détachement certain, pour aller à contre-courant, et prendre le « risque » de ne pas privilégier les likes au détriment de son authenticité, de ses valeurs.
«À présent vous savez pourquoi Digressions n’est sur aucun réseau social. » Et même le profane que je suis, après m’être vraiment interrogé sur le sujet, a fini par comprendre que c’est une excellente décision. Ici, on peut prendre le temps de lire, sans être préoccupé par tout ce qui est lié à l’instantanéité (actualisation du fil, notifications ,etc.) , à la vitesse , et tu as une maîtrise sur le contenu qui t’appartient. Last but not least, tu es loin de la négativité si présente sur les réseaux sociaux: si quelqu’un vient lire ici, il y’a peu de chances que ce soit pour lire en diagonale, invectiver, etc.
«Je ne regrette pas ces 2 années à courir le monde et les like. Je le répète, je vis sans aucun regret. » Bravo! Sérieux, même si c’était au détriment de tes finances du moment (du moins ta trésorerie à court terme), ça a certainement été non seulement riche humainement, riche en enseignements, et certainement un investissement intéressant à moyen et long terme. Il n’y a vraiment rien à regretter à mon avis. Ton expérience pourra – par ailleurs – être particulièrement utile pour ta soeur cadette, en plus des nombreux anonymes qui te lisent et liront.
« Il n’y a pas de mauvaise expérience : soit on gagne soit on apprend, et quand on apprend, c’est qu’on a gagné quelque chose. » Really honoured and privileged… Really.
«C’est en grande partie grâce à cette crédibilité bâtie dans le domaine de l’engagement citoyen que je pilote aujourd’hui un programme qui couvre l’Afrique francophone et lusophone.» Félicitations! Les deux années de célébrité, et de pèlerinages bénévoles étaient manifestement comme des oeufs cassés pour faire une bonne omelette.
«Lorsque la relation tourne court, venez nous dire en détail ce qui s’est passé, parce que nous nous sommes investis dans la relation et en faisons partie : nous avons liké et partagé. Des comptes détaillés doivent nous être rendus. Oui, c’est le prix de l’affichage sur internet»👌🏿👌🏿👌🏿 I’ve learned it the hard way (Heureusement que c’était pendant la transition entre Hi5 et Facebook 😂😂😂).
« quels que soient ses résultats, la célébrité est addictive. » La digression étant maîtresse ici, j’en profite pour dire que ça me fait penser (non pas pour la défendre) à l’addiction que semble créer le pouvoir chez ses détenteurs, ici comme ailleurs, ici plus qu’ailleurs…
« Leyo m’a prise par la main. » Bel exemple, Bravo à Leyo. Nous avons généralement au-moins une personne comme Leyo dans nos vies, il faut juste avoir l’humilité – l’humanité tout simplement – de dire (« pleurer ») quand nous avons besoin d’assistance.
«Non, ma grandeur sur les réseaux sociaux n’a pas convaincu qui que ce soit de m’embaucher. Ces gens qui embauchent et qui paient bien (j’insiste sur le bien) ne sont généralement pas sur les réseaux sociaux. Ils font des choses concrètes et n’ont pas le temps de twitter pour faire sensation. » Vérité impopulaire, mais… qui doit être dite, merci.
«Beaucoup de filles et femmes font de leur corps leur fonds de visibilité. » Hum, il n’y a plus vraiment de monopole en la matière, vu que certains hommes n’ont (malheureusement) pas l’intention de se laisser distancer.😔😔😔😥😥😥
«La faim que vous ressentez seul le soir dans votre chambre, vous ne la partagez avec personne.» 👌🏿👌🏿👌🏿 Et ça c’est dans le meilleur des cas, quand il n’y a pas encore de petit(s) être(s).
Merci @Befoune,
Puisse ton témoignage impacter positivement plusieurs personnes, même s’il est si difficile de résister aux vapeurs déroutantes de la célébrité 2.0; cette célébrité qui – plus que les autres – peut si facilement déconnecter de la réalité.
Tu sais déjà à quel point j’adore tes commentaires. Tu le sais Menadus.
😊😊😊
Bel article comme d’habitude !
Le pays où tu as été en quittant le Cameroun c’est ou ? Je trouve que c’est quand même pas un détail de nommer le pays ou tu as accueilli en quittant ton pays 🙂.
Je ne pense pas que cette information améliore ou altère le texte. Elle n’est pas utile pour le message de fond.
Je ne partage pas ce point de vue mais je respecte quand bien même 🙂
Un article fort et plein de sens.
Tu as quand même eu le courage de tout balancer pour vivre ce que tu aimais pleinement! Et pour ça, personnellement, je te félicite. Aujourd’hui tout va bien et je suis heureuse pour toi.
Merci beaucoup Manouchka.
Article très intéressant! Les LIKES sont réellement addictifs!
Effectivement !