Sans artifice : la vie rêvée que je semble avoir

9 minutes

Mon ordinateur est cassé.

En réalité il n’est pas vraiment cassé, mais il y a comme une fissure, et des traces d’encre sur l’écran. Ça fait quelques jours que je l’ai remarqué, et chaque jour qui passe la fissure s’allonge.

La première réaction que j’ai eue quand je me suis rendue compte que l’écran de mon ordinateur avait un problème a été de pester. « Ça fait vraiment chier, un ordinateur que j’ai acheté il y a quelques mois seulement, et il faut déjà soit le réparer, soit le changer ! Je n’ai pas d’argent pour ça. » Puis, comme un éclair, j’ai eu cette pensée qui m’a traversée : estime-toi heureuse que ça t’arrive quand tu as de l’argent pour t’acheter un autre ordinateur dans les 4 minutes qui suivent.

Il est 5h 58 mn et j’écris ce texte de la salle d’attente d’un aéroport. Je me prépare à prendre un vol qui durera 8 heures, puis 3 heures d’escale, puis environ 1 heure 30 minutes de vol encore.

Je suis fatiguée.

C’est le énième voyage en quelques mois, et la semaine de travail sera intense. Quand je voyage pour le travail, je n’ai généralement pas le temps de mettre le nez hors de l’hôtel. Salle de conférence, déjeuner, salle de conférence, dîner si je peux me l’accorder, ou chambre et travail jusqu’à pas d’heure.

Je disais à ma mère il y a quelques heures que j’en ai ma claque, je ne veux plus voyager, je veux me reposer. C’est le 24 novembre, et ce voyage n’est pas le dernier de l’année. Je l’ai dit à ma mère, puis je l’ai dit à ma sœur, et je suis rentrée chez moi pour faire ma valise… et ne pas dormir vu qu’il me fallait partir pour l’aéroport au milieu de la nuit.

En rangeant mes affaires, je me suis souvenue de ma vie en janvier dernier.

J’étais au bout du rouleau.

Mais vraiment.

Je n’avais pas de téléphone, j’avais été agressée. Mon ordinateur ne marchait plus. Ma tablette ne marchait plus. Le seul moyen de me joindre était via Messenger, parce que c’était la seule application que supportait encore mon vieux Nokia Lumia 1100. Il fallait rafraîchir la page pour voir les nouveaux messages. L’instantané n’était plus d’actualité. Je vivais chez ma sœur (sans elle je pense que je n’aurais jamais pu réaliser le centième de ce que j’ai réalisé aujourd’hui), et ma petite sœur était arrivée dans la ville pour poursuivre ses études. Nous partagions la même chambre, le même lit.

Je n’avais pas 5 francs pour remplacer le moindre de mes appareils, et je ne pouvais plus travailler. Il me fallait changer mes lunettes, j’avais parfois d’atroces maux de tête, mais… je ne pouvais rien y faire. J’étais fauchée, avec un grand F. Mon compte en banque était vide. Si je ne mangeais pas chez ma sœur le matin, à midi et le soir, je serais morte de faim. Tout simplement. Je n’avais rien. Ce qui était plutôt normal. J’avais démissionné un an avant pour me consacrer à Elle Citoyenne. Je ne le regrette pas, et je plongerais la tête la première une fois de plus s’il fallait retourner en arrière, mais je dois avouer que ce n’était pas tous les jours facile.

J’étais tellement au bout de ma vie que j’ai dû appeler ma mère pour qu’elle me prête de l’argent. Dit comme ça ça peut sembler anodin. J’ai eu l’impression de retomber en enfance, d’être totalement incapable de m’assumer, ce qui soit dit en passant était vrai. Le plus difficile a été le fait que j’avais l’impression de dire à ma mère « Tu t’es saignée pour que je fasse de bonnes études, tu m’as poussée et encouragée à quitter le pays pour avoir de meilleures opportunités, je t’ai donné l’impression d’avancer, de me créer un espace stable, mais ce n’est pas le cas. Tu t’es sacrifiée toutes ces années pour rien, et je suis à nouveau au point de départ. » J’ai eu l’impression de la trahir, de minimiser 32 ans d’efforts fournis à travers un seul appel, une seule phrase : Maman, je n’ai plus rien.

Il y a encore 11 mois, je ne voyais aucune porte de sortie à ma situation.

La seule lumière que j’avais était le mec avec qui j’étais à cette époque. Son soutien a été inconditionnel, et l’électrochoc est venu tant de lui que du fond que j’avais touché et explosé pour aller encore plus bas.

Il me fallait devenir adulte. Et je le suis devenue. L’année de mes 32 ans.

Mais ça c’est une autre histoire, et je l’ai déjà racontée ici.

On oublie vite d’où on vient quand les choses deviennent plus « vivables ». On se plaint de ce pourquoi on a prié. On minimise ce qui nous a sorti du trou. Je veux me reposer. Je veux dormir. Je ne veux plus voyager. Sauf qu’il y a encore quelques mois, mes genoux étaient au sol pour que ma situation change. Je frappais à toutes les portes possibles. Je n’osais même pas vouloir qu’elles s’ouvrent. C’était trop demander. Je voulais juste qu’une s’entrebâille, que je puisse la bloquer de mon pied pour qu’elle ne se referme pas.

J’avais un temps libre illimité, et il m’abrutissait littéralement. L’année Elle Citoyenne avait été riche et fructueuse à tous les niveaux, je commençais à me lasser, et il était temps de passer à autre chose. Il était temps de me recentrer sur moi, de changer ma situation. Je ne pouvais continuer de partager un lit avec ma petite sœur et de voir mon compte en banque me guetter du coin de l’œil, désespéré d’être aussi vide. Je ne pouvais continuer de vivre à 32 ans sous une « autorité parentale », avec tout ce que ça comporte de hauts, mais aussi de bas.

Aujourd’hui j’écris ce texte d’un aéroport. Je vais pour la deuxième fois dans un pays que j’ai longtemps rêvé de visiter. Je m’achèterai un autre ordinateur dans les prochaines semaines. J’ai un appartement dont je n’ai jamais payé le loyer avec du retard. Je mange à ma faim, un peu trop même parfois. Je peux envoyer de l’argent à ma mère et lui faire des cadeaux. Je peux en faire à mes sœurs aussi. Et tout ceci sans m’appauvrir.

Il y a quelques jours j’ai rencontré une jeune dame et je lui ai brossé rapidement certains épisodes de ma vie. Elle n’en revenait pas. « Je n’aurais jamais imaginé que toi aussi tu pouvais traverser ce genre de choses. » L’effet réseaux sociaux certainement. Un mec m’a demandé une fois si j’étais une héritière d’une famille richissime, étant donné la fréquence de mes voyages. Je répète, l’effet réseaux sociaux. Oui, moi aussi j’ai la vie dure. Je suis humaine, c’est normal. Non, aucun de mes voyages n’est un voyage d’agrément. Aucun. J’y vais pour travailler, généralement sur contrat. Je sors à peine de ma chambre d’hôtel et je travaille d’arrache-pied pour ne pas ternir ma réputation, mais aussi pour assurer de prochains contrats. C’est par exemple le cas avec ce contrat-ci, ce voyage-ci. J’ai été rappelée parce que mon travail a été satisfaisant lors de la dernière collaboration.

Gabrielle Union a eu un bébé.

Je la suis sur les réseaux sociaux, et je regarde quasiment toutes ses stories sur Instagram et sur Snapchat. Je l’ai entendue dire lors d’une interview qu’elle avait fait de nombreuses fausses couches, mais ne perdait pas espoir. C’est avec un grand étonnement que je l’ai vue avec un bébé dans les bras il y a quelques semaines. Elle était dans une salle de sport la veille encore, le ventre aussi plat qu’une planche à repasser. Elle rentrait de voyage. Et là elle avait un bébé.

Les réseaux sociaux ne montrent pas tout. Volontairement ou involontairement, on ne peut toujours tout dire. Elle avait fait appel à une mère porteuse, et l’information n’a pas filtré. On semblait tout savoir de ses journées en suivant ses stories, mais en réalité on n’en savait pas la moitié. La preuve, la plus grande partie nous a été inconnue pendant 9 bons mois. L’arrivée d’un bébé.

J’utilise mes comptes sur les réseaux sociaux de la manière la plus transparente possible. Je ne veux pas laisser croire des choses fausses. Dans mes écrits, je m’attèle à déconstruire le mythe de « l’influenceur », de ces personnes qu’on croit « meilleures que les autres », « à l’abri » de certains malheurs, de certains désastres, de certains problèmes. Ça ne marche pas toujours. La preuve, j’ai été prise pour une riche héritière.

Une grande digression. Nous sommes partis de mes poches vides aux réseaux sociaux sans transition. Ce blog porte bien son nom au final. Digressions.

Je me prépare à embarquer, je vais devoir vous laisser. Je ne sais quand ce texte sera publié, mais ce ne sera certainement pas aujourd’hui. La connexion internet et les prises électriques semblent être une vue de l’esprit dans cet aéroport.

Mes publications donnent très souvent lieu à de belles discussions en inbox sur Instagram. Ce serait bien que vous commentiez sur le blog pour que d’autres puissent aussi y participer.

14 comments
  1. Merci !!! Je retiens plusieurs choses : se rappeller d’où l’on vient afin de mieux apprécier notre situation, bien travailler en mettant tous le sérieux, ne pas montrer qu’on est parfait, démystifier sa vie pour éviter que l’on vous mette sur un piédestal qui n’est pas correct.
    J’ai lu la vidéo sur YouTube d’un Guru qui disait: <>
    Ça rejoint ta manière de voir les choses ?

    1. Ce n’est pas forcément un guide Abdul. Chacun devrait faire ce qu’il juge bon et surtout utile pour lui. Je préfère dire la vérité autant que possible pour ne pas me retrouver dans une situation désagréable. Mais pour ce qui est de travailler dur, je pense que je me le serais faite tatouer sur le front si je pouvais !

    2. “On oublie vite d’où on vient quand les choses deviennent plus <>. On se plaint de ce pourquoi on a prié. On minimise ce qui nous a sorti du trou…”
      Befoune, je tiens à te remercier du fond du coeur ! Tu es certainement l’une des personnes dont la connaissance a le plus impacté ma vie cette année. Tu es une pépipe dont la sincérité est la perle la plus resplendissante.
      Prends soin de toi car egoïstement j’ai en encore besoin de toi.

  2. Ma grande tu écris tellement bien et naturellement. . Oui les réseaux sociaux nous embrouillent beaucoup. J’ai appris beaucoup sur toi dans cet article… Tu es exceptionnelle! Bisous.

  3. Cet article est une source d’inspiration intarissable. je m’y retrouve comme dans un miroir même si j’ai pas eu l’opportunité de faire autant de voyage que ma rédactrice.

  4. Une fois écrit, un billet échappe à son auteur pour appartenir à ses lecteurs l’achèvent chacun à sa manière. Je suis des personnes qui se demandent comment ” la foi pourrait déplacer des montagnes”, en d’autres je crois en ce que je vois. A travers quelques pans de ta vie mentionée sur ce billet, je suis de ceux qui sont totalement étonnés de tout ce que vous aviez vécu. Les déboires de la galère. Je trouve un grand intérêt à lire ce post qui ressemble un peu à la mienne comme un destin lié et qui se relate via cette lucarne.
    Befoune, en toute honnêteté et comme un vrai fan, je veux te dire qu’il y’a du mystère dans un regard ou de la joie dans un sourire. Tu es une personne qui se révèle au quotidien comme étonnante à mes yeux et tu arrives a transformer ma vie en profondeur ( même en étant assise le temps d’une écriture aéroport rire). Merci pour cette force que tu as à nous encourager à aller de l’avant. Merci de nous faire comprendre que tu n’es pas une héritière et qu’on peut partir du bas pour aller vers le haut. Merci encore pour tout. Je ne cesserai jamais de m’abreuver dans cette source intarissable qui digressions pour me peaufiner, mieux pour être la meilleure version de moi-même.

  5. Il y a des billets qui déclenchent immédiatement notre consentement de lecteur, sans qu’on puisse se l’expliquer clairement et encore moins s’y contraindre. Quoi de meilleur, pour nous lecteurs, que de consentir à une voix de la première à la dernière ligne, ce cadeau, le fameux billet qu’on a tellement envie de relire encore et encore parce que sensationnel d’inspiration. C’est ce que j’ai éprouvé avec ce contenu, j’y ai totalement adhéré. Merci infiniment!!!

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