Lorsque j’ai vu mon neveu pour la première fois, je me suis demandée si j’allais l’aimer.
J’avais vécu 3 années pleines avec sa grande sœur, un enfant à qui j’avais donné mon cœur, mon âme, tout mon moi. Je me souviens de mes supplications á sa mère pour qu’elle n’aille pas à l’école. Elle n’avait « que » 2 ans et ma tête était pleine de « et si… ». Je n’avais qu’un seul rêve, la mettre dans une toute petite boite et la garder dans ma poche à l’abri de tout. J’ai documenté une infime partie de ce sentiment dans ce court texte.
Lorsque ma sœur avec qui je vivais à l’époque m’a annoncé sa grossesse, je n’ai rien dit. Le choc a été grand. Elle m’avait pourtant souvent fait part de son envie d’avoir un deuxième enfant. Je l’écoutais d’une oreille. Cette petite fille que « nous » avions nous comblait, pourquoi vouloir lui ravir la vedette ?
Je me souviens des écographies, de la toute petite taille du fémur de cet être qui se préparait à venir. J’étais super heureuse pour ma sœur, mais tout cela restait très abstrait. J’avais mon bonheur au quotidien, ma nièce, et tout ce qui gravitait autour n’avait au fond que peu d’importance.
Jusqu’au jour de la naissance de ce nouvel enfant.
J’étais à la maternité, j’étais derrière la porte de la salle d’accouchement. J’ai été la première personne de la famille à le voir. Son père m’a demandé d’aller m’assurer que tout allait bien. Mon premier réflexe a été de compter ses doigts et ses orteils. 10 et 10. Oui, tout allait bien.
J’ai refusé de le porter la première fois que ma sœur me l’a proposé. Il était certes trop petit pour que je m’aventure à le manipuler, mais ça allait au-delà. Qui était-il ? Allais-je l’aimer ? Comment ça aurait pu être possible alors que tout mon amour appartenait à quelqu’un d’autre et je ne souhaitais en aucun cas le diviser ?
La réaction de ma nièce a été opposée à la mienne. Lorsque je suis rentrée ce soir-là avec mon IPad plein de photos, elle n’a plus voulu le lâcher. Elle n’arrêtait pas de dire « Mon petit frère d’amour », les yeux rivés sur l’écran. Elle a tenu à prendre son dîner face à l’écran, ne voulant pas quitter son « petit frère d’amour » des yeux. Je l’observais intensément, je me demandais comment il était possible d’aimer autant quelqu’un qu’on n’avait jamais vu, qu’on ne connaissait pas du tout et qui était peut-être un danger pour notre place dans les cœurs. Était-ce la naïveté de l’enfance ?
Son arrivée à la maison a été pour moi un moment de grand questionnement. Y avait-il sa place ? N’allait-il pas tout chambouler ? Je ne suis pas une amoureuse des changements, et ce changement-là était bien trop grand pour moi.
Après avoir évité ce garçon pendant des jours, j’ai fini par me dire que peut-être que si j’acceptais de faire sa connaissance il me serait sympathique à un moment donné. Le doute était plus que grand, mais ma sœur avait parfois besoin que je le prenne avec moi pour qu’elle puisse vaquer à d’autres occupations.
La première fois que je l’ai pris je me suis enfermée dans ma chambre avec lui. Je l’ai couché sur mon lit et je l’ai regardé sous toutes les coutures. A quoi ou à qui ressemblait-il ? Il était tout rond, les poings fermés. Ses joues étaient rebondies, comme des beignets. Ça m’a fait rire. Il a ouvert les yeux et m’a regardée. J’avais peur qu’il se réveille, je ne savais comment interagir avec lui, alors je me suis couchée à ses côtés puis je l’ai couché sur ma poitrine pour qu’il se rendorme. Ça marchait pour sa sœur. Ça a marché pour lui.
Il était tellement petit. Ses poings restaient fermés, et il respirait tellement vite. J’ai essayé de respirer à son rythme mais c’était tout simplement impossible. Son petit corps était tout chaud. Je me suis rendue compte après quelques minutes que j’étais rassurée de le savoir là. J’ai appris à connaitre mon neveu grâce à ces moments tous les 2 seuls dans ma chambre. Il dormait et je le regardais dormir. Je commençais à comprendre ses mimiques et ses joues me faisaient toujours autant rire.
Je me suis aperçue que mon amour pour ma nièce n’avait en aucun cas faibli. Elle me fascinait toujours autant. L’amour que j’ai développé pour son frère était tout aussi fort tout en étant… différent. Je les aimais de tout mon cœur et l’amour de personne n’empiétait sur celui ressenti pour l’autre.
Je pensais que l’amour était quelque chose de quantifiable et de quantifié. Je me suis aperçue avec la venue de mon neveu que « certains amours » ne naissent qu’avec la venue des personnes pour qui ils sont destinés. Mon amour n’est pas partagé entre ces 2 enfants. Ce n’est pas un morceau de pain coupé en 2. Chacun d’entre eux a droit à un pain distinct et entier. C’est aussi simple que ça.
J’ai eu très peu de relations amoureuses de courte durée. Je n’ai jamais su comment expliquer le phénomène. J’essaierai, mais j’ai bien peur que vous compreniez mal. Je ne me souviens pas avoir été infidèle à qui que ce soit, pourtant j’ai souvent vécu des relations parallèles. J’ai fréquenté les mêmes mecs pendant des années et des années sans les tromper les uns avec les autres.
Mon passé amoureux est assez… intéressant, for lack of a better word (je vous ai déjà dit ici d’apprendre l’anglais !). La première fois que j’ai été face à une rupture, je me suis dit que ça n’en valait pas la peine. J’étais avec le mec depuis des années, je ne voulais pas « tout recommencer à zéro ». Cette mentalité m’est restée, alors je vivais en rotation entre un nombre limité d’ex. Ça me permettait de ne pas « recommencer ».
Je vivais dans une bulle où j’avais l’impression de tout contrôler. Vous savez ces relations qui ne se terminent jamais, où on ne se dit jamais « C’est fini » parce qu’on se laisse une porte entrebâillée parce que « on ne sait jamais » ? Voilà ce que j’entends par relations parallèles. Elles évoluent côte à côte mais ne se rencontrent pas.
Après cette phase j’en ai connu une autre. Celle de « l’amour fou et sans condition ». Je m’attachais tellement que j’avais l’impression que je ne me remettrais jamais d’une rupture. Tout serait fini à tout jamais. J’ai persisté, accepté, pardonné, prié. Je me disais que personne d’autre ne « m’irait » que c’était cette personne-là ou ma vie était terminée. Oui, ma vision était aussi étroite que ça.
J’ai appris ce que c’était qu’aimer en apprenant à m’aimer moi, mais aussi et surtout en élargissant ma vision du monde et de la vie.
En apprenant à m’aimer j’ai appris tous les manques dont je souffrais. L’absence du père a fait de moi une machine à faire plaisir pour retenir, retenir à tout prix, retenir envers et contre tout. J’ai appris que mon manque de confiance avait creusé en moi un puits sans fond, un puits qui ne devait être rempli que par l’autre. Il pouvait y verser toutes les merdes du monde sans que je ne sois dégoûtée. J’avais la force et même la volonté d’en prendre toujours plus.
Je n’existais qu’à travers la validation de l’autre, un autre dont la toxicité pour moi augmentait à chaque réconciliation.
Pendant ma pause amoureuse imposée (j’en ai parlé ad-nauseam ici et ailleurs), j’ai pris le temps de réfléchir à l’amour. Je n’ai pas aimé qu’une seule fois. Je n’ai pas été bien aux côtés d’une seule personne uniquement. J’ai aimé de manière différente et pour des raisons différentes. Alors pourquoi est-ce que je me suis parfois accrochée à mes risques et périls, comme s’il n’y avait aucune alternative ?
J’avais vécu à peu près 30 ans sur Terre à l’époque. J’avais connu tellement de choses ! J’avais visité des tranchées allemandes au Togo, je m’étais perdue en plein milieu d’un lac au Bénin, j’avais parlé sur les plateaux télé les plus convoités, j’avais débattu avec des sommités dans leurs domaines, j’avais parcouru les continents, je m’étais définie et redéfinie des dizaines de fois. Si je me référais à l’espérance de vie sur Terre, il était possible que je vive encore 40 ans et plus, c’est-à-dire bien plus longtemps que je n’avais déjà vécu.
J’avais à peu près 30 ans, mais je n’en avais en réalité que 15 environ de pleine conscience de ma vie. Je n’avais donc encore rien vécu et tellement de choses m’attendaient devant. Le petit humain est l’une de ces merveilleuses expériences imprévues.
J’ai cessé de croire en l’âme-sœur, en cette seule et unique personne capable de nous combler à tout jamais. C’est la raison pour laquelle lorsque j’ai partagé ma terrible rupture dans cet article, j’ai ri face aux réactions. Beaucoup pensaient que je me croyais « perdue », « sans issue », totalement « désespérée ».
J’ai eu mal et j’ai pris le temps d’avoir mal. D’un autre côté j’avais l’esprit clair sur la réalité selon laquelle il n’était pas le premier à qui je m’attachais, et ne serait certainement pas le dernier. Pourquoi faire de lui un pseudo dernier alors que j’ai encore 40 ans de vie sur Terre si rien de bien grave ne m’arrive ?
Cette rupture a été la première vécue après l’adoption de ce que j’appellerais ma « conscience amoureuse ». Plus de strass et de paillettes, rien d’autre que la vérité crue. J’ai aimé vivre cette douleur, surtout parce que j’avais la certitude que ce ne serait pas la fin.
Vous me demanderez certainement si je considère que le papa du petit humain est cette fin-là. La réponse est oui et non. Oui si on ne sépare pas et on reste ensemble jusqu’au bout. Non car si on se sépare je rencontrerai d’autre personnes et j’en aimerai sûrement certaines, voir une seule, qui elle sera la fin que le papa du petit humain n’a pas été.
Et tout ceci est valable pour lui aussi. Il a aimé avant moi et aimera certainement après moi si on se sépare ou si jamais je meurs.
Le savoir rend les choses plus simples, plus vraies, moins chaotiques et surtout moins toxiques. Nous sommes-là parce que nous le voulons et non parce que nous pensons tristement qu’il n’y a rien de mieux ailleurs. Nous préférons tout simplement notre réalité ensemble à cet ailleurs.
L’amour est divers, pluriel.
Nous aimons dans la plupart des cas notre père et notre mère en même temps sans être dépassé. Ce n’est pas le même amour, bien que le mot soit le même. Il en est de même pour les neveux, les nièces et les enfants qu’on a.
Photo : Tim Samuel
PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !
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2 comments
Pardon la fonctionnalité ‘SURLIGNER’ est où? Merciii d’avance.
Ca a disparu depuis depuis lol