Sexué, genré, etc.

13 minutes

« Tu réagirais comment si à 8 ans le petit humain te disait que dans sa tête il est du sexe opposé au sien ? »

Pour la première fois hier j’ai eu une discussion sur le genre avec un membre de ma famille. Pour la première fois j’ai dit ouvertement à un membre de ma famille que je suis agenre ou non-binaire dans ma réalité. Je vous l’ai souvent dit, ma famille ne sait pas la moitié de ce que je vous confie sur le blog, sur le podcast ou sur Insta.

S’il faut être honnête, le blocage vient des 2 côtés je pense. Ma famille est assez traditionnelle sur bon nombre de points, et « la société » pèse lourd dans son acceptation ou son rejet de plusieurs concepts. De mon côté je ne me sens pas assez à l’aise face à elle pour m’ouvrir d’une certaine façon. Je l’ai dit dans l’épisode du podcast sur le mal-être et les dynamiques familiales, je n’ai jamais eu pour premier réflexe de me confier à un membre de ma famille. J’ai appris à le faire, je me suis éduquée en ce sens, et même… seule ma grande sœur a les mots de passe pour débloquer certains niveaux.

Vous l’avez donc sans doute deviné, c’est à ma grande sœur que j’ai partagé hier nuit le fait d’être agenre. Tout est parti de la question au début de cet article. Elle a regardé un documentaire sur le sujet et m’a écrit sur WhatsApp. Elle m’a posé cette question. Je me suis dit « C’est peut-être le moment », alors je lui ai répondu ceci en substance :

Personnellement ça ne me choquerait pas. Pourquoi ? Parce que je me suis battue avec ou contre ça pendant des années. Dans ma tête je ne suis pas femme, raison pour laquelle j’ai voulu une éducation gender neutral pour le petit humain. Ses prénoms sont mixtes parce qu’ils n’ont pas été donné à son genre, mais à lui en tant que personne. Son papa et moi-même lui dirons clairement quel est son genre et les pronoms utilisés seront appropriés, mais jamais, au grand jamais quoi que ce soit de genré ne lui sera imposé. Son style viendra de ses préférences et sa personnalité de ses convictions. (Cette décision n’est pas unilatérale. Je vous l’ai dit dès le départ, le papa du petit humain et moi sommes en phase sur ces questions.)

Ma sœur était certes étonnée, mais ce que j’ai dit n’a pas été tourné en dérision et je n’ai pas été rejetée. Au contraire, elle m’a posé de nombreuses questions. Sa curiosité était plutôt grande et certaines de ses questions m’ont prise de court. Je me suis aperçue que déclarer qu’on est agenre peut être mal compris.

J’ai donc décidé de m’inspirer de ses questions pour rédiger l’article du jour. Il s’agira de questions et de réponses. Certaines questions sont inspirées de celles de ma sœur, d’autres non. Si après lecture vous avez encore des questions qui restent sans réponse ou si vous avez besoin de plus d’éclaircissements, vous savez que je rôde tout le temps dans la section des commentaires sous mes articles.

A présent que c’est dit, on y va !


Qu’est-ce qu’être agenre ?

Selon mon expérience, c’est ne pas avoir de genre dans sa tête. Je ne suis pas une femme, je ne suis pas un homme non plus. Je me sens littéralement attaquée lorsque je suis mise dans une de ces catégories parce que je ne me reconnais d’aucune des 2. Je suis humain et je veux être considérée comme tel. Rien de plus, rien de moins. Me dire que je suis une femme est littéralement une injure pour moi. Curieusement, me qualifier d’homme me fait plus rire qu’autre chose.

Est-ce que c’est un problème psychologique ?

Je ne pense pas. Je ne pense pas avoir eu une « féminité traumatisée ». Je pense juste que je ne me sens pas femme, voilà tout.

Quand est-ce que ça m’est venu ?

Je ne sais pas. Je me souviens juste que j’en ai pris conscience il y a quelques années, lorsque j’ai commencé à déchaîner l’humain en moi.

Je n’ai pas été une petite fille coquette, j’étais plutôt un peu garçon manqué. J’ai été une adolescente normale, par contre je me souviens que j’avais un grand besoin de séduire pour me sentir exister. J’aimais être courtisée. A l’université j’étais… moi. Je ne sais pas trop comment l’expliquer.

Je ne me suis jamais définie comme hypra féminine. La balance penchait davantage vers des attributs masculins en termes de comportement et de… manière de penser, on dira ça comme ça.

Est-ce qu’être agenre c’est ne pas aimer son corps et/ou vouloir appartenir à un genre différent du sien ?

Non, ça n’a absolument rien à voir. J’aime mon corps. Limite je l’adore même, raison pour laquelle je lui fais faire autant de sport. J’aime prendre soin de lui, le « mettre bien ». J’aime mon corps et j’apprécie vivre dedans.

Je n’aurais pas voulu avoir un corps d’homme pour la simple raison que je ne sais rien de ce corps-là. Je connais et comprends le mien, je le trouve bien comme il est et je sais ce que j’ai à faire pour le rendre plus plaisant à mes yeux. Je n’ai pas envie de faire pipi debout ou d’avoir de la barbe.

Ceux qui changent de sexe sont des transsexuels, ce qui est très différent du fait d’être agenre. Je ne souhaite pas appartenir à un autre genre que ci ou ça. Je ne me reconnais d’absolument aucun genre.

Comment ça se manifeste au quotidien ?

La vérité est que j’aurais pu vivre toute ma vie sans en parler sans avoir le moindre souci. Etant donné que ma condition ne se voit pas physiquement j’aurais pu la refouler. J’achète mes vêtements dans des magasins pour femmes et pour hommes. Ma morphologie est féminine (ce qui ne me gêne pas), et les vêtements que je porte ne cachent pas cette morphologie.

Les manifestations sont plus internes qu’externes. J’ai du mal à cocher la case femme sur des documents officiels physiques. Sur internet c’est plus inclusif, alors je clique sur non-disclosed.

Le moment le plus difficile a été celui de la grossesse parce que comme je l’ai dit sur Instagram et ici sur le blog, la grossesse m’a mise face à la féminité et c’était horrible. J’étais « réduite » à être une femme et je n’y pouvais absolument rien. Les règles ne me gênent pas du tout parce que… c’est comme ça que mon corps fonctionne, mais la grossesse ! Je ne pense pas qu’il y ait un moment dans une vie ou l’on se sent plus femme que ce moment-là.

Aujourd’hui mon plus gros challenge est comment le petit humain m’appellera. Le mot Maman m’est repoussant lorsqu’il s’adresse à moi. Je préfère 7515 fois qu’il m’appelle par mon prénom. Il dit Mama parfois, mais la vérité est que c’est son papa qui me dit tout le temps « Mais réponds à l’enfant quand il te parle ! » Ce n’est pas volontaire. Je ne réponds pas parce que je ne peux pas, tout simplement. Je ne suis pas Maman.

Est-ce que mon non-désir de parentalité et ton envie de te faire ligaturer les trompes vient de là ?

Je pense que mon non-désir de parentalité vient des nombreux points traumatisants de mon enfance, c’est à dire la manière dont j’ai été éduquée, mais aussi du fait que je me sente agenre. C’est une combinaison des 2. Pour avoir un enfant il fallait être mère, et pour être mère il fallait être femme.

Avec le petit humain j’ai appris que je peux être parent sans être mère, ce qui rend la chose nettement plus plaisante. Dans ma réalité je ne suis pas sa mère. C’est un mot que je n’utilise que très rarement et dans des contextes très précis. Je suis son parent. Tout simplement.

Comment est-ce dont possible que je souhaite avoir un autre enfant (Ma sœur est dans le secret des dieux sur ce volet !)

Personnellement je ne souhaite pas être enceinte une fois de plus. Par contre je sais avec certitude que je ne veux pas que le petit humain soit enfant unique. J’y pense tous les jours depuis sa naissance. Certains jours je me dis que je n’y arriverai pas du tout et je préférerais mourir plutôt que revivre ça, et d’autres je me dis c’est l’enfer mais je le traverserai.

Mon deuxième enfant ne viendra pas d’un désir de parentalité à assouvir. Je repasse par là pour le petit humain. Il n’aurait jamais été là que le deuxième n’aurait jamais été évoqué. L’avantage est que je n’aurais pas à repasser par là pour le deuxième étant donné qu’il ne sera pas seul. Il aura déjà quelqu’un, le petit humain.

Je continue à avoir des crises d’anxiété rien que d’y penser, alors je planifie des années à l’avance.

Es-tu attirée par les femmes ?

Le genre et l’orientation sexuelle ne sont pas liés, raison pour laquelle je ne me suis certainement aperçue que très tard que… je n’étais pas comme les autres. Je ne suis pas attirée par les femmes et je ne l’ai jamais été.

Il y a-t-il une attitude particulière que je souhaite que les gens adoptent avec moi ?

Honnêtement non. Je suis moi et puis voilà. Je ne suis pas de ceux qui réclament que des pronoms différents soient utilisés lorsqu’on leur parle ou lorsqu’on parle d’eux. « Elle » ne me gêne pas. Par contre « femme »… évitez.

Je veux être reconnue et respectée pour qui je suis et non pour ce à quoi on estime que je ressemble ou non. Ca ne va pas plus loin que ça.

Par contre je souhaite que les gens soient plus inclusifs et cessent de penser que tout ce qui a trait à la binarité, la non binarité ou l’orientation sexuelle est un caprice ou une affaire de Blancs.

Est-ce que je connais d’autres personnes agenres ?

Non. Je n’en ai jamais rencontré qu’il s’agisse du réel ou du virtuel. Ce n’est pas un problème pour moi étant donné que je n’ai pas besoin d’être épaulée par cette communauté pour me sentir exister.

Qu’est-ce qui m’a permis de m’accepter comme agenre ?

Un seul nom, Akwaeke Emezi.

Akwaeke Emezi est un écrivain nigérian basé aux Etats-Unis. Je l’ai connue sur les réseaux sociaux il y a des années. C’était en 2013 je pense. Je suivais sa sœur Yagazie Emezi à cause de ses beaux cheveux et un jour elle a tagué Akwaeke Emezi et voilà.

Je ne savais pas du tout la révélation que ce serait, et à l’époque je ne savais rien du genre. J’ai suivi le parcours d’Akwaeke Emezi et je me suis reconnue dans ses désirs, ses besoins et ses revendications. Son texte Transition, My surgeries were a bridge across realities, a spirit customizing its vessel to reflect its nature m’a littéralement explosé le cerveau. Elle parle de son hystérectomie et de la raison pour laquelle elle en a eu une. Je me suis reconnue dans nombre de ses propos.

Je l’ai dit dès le départ, je ne compte pas changer mon apparence physique. Akwaeke Emezi l’a fait pour des raisons qui lui sont propres. Par ailleurs elle n’est pas agenre et elle n’est pas hétérosexuelle. Je me reconnais dans ses mots, mais son parcours est différent du mien.

J’ai appris à m’accepter comme telle pare que j’ai vu quelqu’un d’autre se battre pour pouvoir s’assumer. L’expérience d’Akwaeke Emezi m’a permis de laisser fleurir la mienne. Je vous l’ai toujours dit, documentez vos histoires d’une manière ou d’une autre. Vous ne savez pas qui vous pouvez sortir des ténèbres grâce à vos partages.

Est-ce que je revendique le fait d’être agenre ?

Je répondrai par la célèbre phrase de Wole Soyinka « Un tigre ne proclame pas sa tigritude. » En me basant sur mon observation, les hommes et les femmes ne revendiquent pas le fait d’être homme ou femme (bon… les hommes le font souvent en raison de leurs insécurités), ils vivent tout simplement le fait de l’être. C’est pareil pour moi.

Par ailleurs je ne veux pas en faire une discussion de salon. J’en parle parfois sur le blog, sur insta et sur le podcast. C’est bien assez.

Est-ce qu’au final on peut biologiquement échapper à son genre ?

Oui, parce que le genre n’est pas biologique. Le sexe l’est.

Je suis de sexe féminin, ça me fait chier mais je sais que je ne peux y échapper. La vérité est que je ne fais rien pour. J’ai mes règles une fois par mois, j’ai des seins, j’ai un vagin et tout et tout… Ca ne me gêne pas plus que ça. Si j’étais né homme j’aurais connu mon corps et je pense que je l’aurais accepté tel quel.

J’y pensais hier après la discussion avec ma sœur et je me suis dit « En fait mon corps c’est comme une voiture : qu’il s’agisse d’un Hummer ou d’une coccinelle j’en prends soin parce que c’est mon vaisseau et je n’en aurai pas d’autre. Alors j’apprends à le connaitre, je l’aime et je le chéris au quotidien. »

La conception biologique ne me gêne pas, sinon j’aurais certainement été transsexuelle.

Vais-je en parler au petit humain ?

Non.

Pas tant que ça peut peser sur la construction de sa personne, pas tant qu’il n’aura pas défini qui il est et ce qu’il veut pour lui-même. Je ne veux pas avoir cet influence sur lui, elle peut être très néfaste.


Je pense avoir fait le tour, mais si vous pensez que ce n’est pas le cas vous savez quoi faire !

Photo : RF Studio


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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4 comments
  1. Ok
    Une autre lecture ici aussi passionnante qu’enrichissante.
    Je n’ai pas de question parce que j’ai tout bien compris hein. Il y a longtemps déjà que j’ai découvert le terme agenre.
    Je suis du style qui accepte tout de tout le monde. Et comme les gens se sentent choqués par tout, je m’amuse souvent à dire que je suis bisexuelle. Loool

    Merci pour ce partage, Befoune!

  2. Miss Befoune, tu sais faire chauffer le cerveau Massa.
    Moi personnellement je ne me suis jamais posé la question, mais en y réfléchissant bien je suis moi. J’ai pas de problème a ce qu’on m’appelle femme parce que je me vois comme telle, maintenant quand on fait peser le poids de en tant que femme tu DOIS, DEVRAIS…. J’ai du mal avec et vraiment beaucoup de mal avec ça.

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