La couleur de la vérité

12 minutes

La vérité est en nous.

Cette phrase est affreusement cliché.

Tout comme elle est affreusement vraie.

Ce n’est plus un secret, je suis en total déphasage ces derniers temps. Deux des derniers articles sont de réels chants de lamentation, Abîmée je suis… et Sérénité : accepter ce que je ne peux changer. Je vais mal au point où je me force à écrire en français. Quand je suis dans un état autre que mon état normal ou quand je parle de sujets très sérieux, mon cerveau ne réagit plus qu’en anglais. Va savoir pourquoi.

Donc je disais que je suis en total déphasage ces derniers temps, et ce pour une seule et unique raison. Le changement. J’ai une sainte horreur du changement. Je déteste tout ce qui sort de ma ligne directrice ou de mon plan d’action. Je déteste les imprévus. Une assiette qui se brise, c’est gérable. Des clés qui se perdent, ça fait chier mais je peux appeler un serrurier. Dans le pire des cas, la porte peut être défoncée.

Par contre, un changement radical de direction me fait perdre tous mes moyens. La simple réflexion logique disparaît de ma vie. Je reste éveillée des nuits entières à me dire à quel point ma vie aurait été parfaite si rien n’avait changé. Je m’invente un futur, plus rose et plus doux que de la barbe à papa, et je me convaincs qu’il aurait été mien si ce fichu changement n’avait jamais existé.

Lorsqu’il s’agit de ma vie, je suis très sectariste dans mes prises de positions, mais aussi dans mes décisions. Vous savez par exemple ce que je pense de la maternité et du mariage, ou encore du féminisme et, tout nouvellement, de l’activisme politique. Je suis tolérante quand il s’agit des autres, mais inflexible lorsqu’il s’agit de moi-même. Raison pour laquelle les changements qui affectent qui je suis ou qui je pense être, qui explosent mes bases et m’obligent à me redéfinir me brisent littéralement.

Je suis allée jusqu’à me demander si j’étais en dépression. En réalité non. Je suis paniquée, effrayée, mais aussi dégoûtée. Ces trois mots résument parfaitement mon état d’esprit. Dans ces cas, pour me reprendre, je procède à des changements encore plus drastiques pour créer un nouvel équilibre. Le chaos associé au chaos ne peut que créer une absence de chaos. Ne me demandez pas la formule mathématique qui mène à cette conclusion. Acceptez juste le fait que cette méthode marche pour moi.

C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de déménager. Oui, ce petit cocon que j’ai créé et qui m’a abritée pendant plusieurs mois ne sera plus mien. Je ne m’y sens plus chez moi de toute façon. La nouvelle donne ne lui laisse aucune place dans ma vie, mais ça ce sera pour une autre histoire.

Revenons au sujet de départ. La vérité est en nous.

Je me suis réveillée à 4h du matin, mais je ne me suis levée qu’à 7 heures. Pendant ces 3 longues heures, j’ai pris le temps de faire face à ma vérité, une vérité que je fuis depuis bien longtemps, parce que je ne veux pas qu’elle existe.

Je suis enceinte et je ne l’accepte pas.

Certains ont parlé de déni de grossesse. Ce n’est pas un déni, les nausées et vomissements matinaux me rappellent clairement ma situation. Je suis enceinte et la situation me traumatise littéralement. Mais littéralement. Je refuse d’y penser, je refuse même que mon cerveau capte dans les phrases des gens autour de moi les mots mère, enfant, ou pire, mamanet bébé.

Vous vous demanderez très certainement comment j’ai fait pour me retrouver enceinte avec toutes les convictions que j’ai depuis des années. La vérité est que je me pose moi-même la question. Comment. Je suis la reine de la contraception. Rien n’est laissé au hasard. Absolument rien. Alors vous comprendrez pourquoi il m’a fallu 5 tests de grossesse pour me dire, comme on le dit communément chez moi, « Le tour ci ça a cuit ! ».

Après des mois de rejet, j’ai pris le temps ce matin de m’asseoir en face de moi-même et d’avoir une discussion.

Quelle est ma vérité ?

Elle est toute simple. Je ne veux pas être mère. J’en ai la conviction aujourd’hui plus que jamais. Je ne veux pas être mère. Je ne veux pas qu’un humain grandisse dans mon corps et en soit expulsé d’une manière encore plus traumatisante que sa présence en moi. Je ne veux pas être responsable de qui que ce soit. Je ne veux pas être mère.

Le nier ne rendra pas la situation plus belle. Je l’ai cru, mais au final ça n’a rien donné. Je ne veux pas être mère, mais cet enfant m’a choisie. Je dis choisie parce que très franchement il y avait 0.00000001% de chance que ça m’arrive en ce bas monde. Si le mec (ou la meuf, c’est selon) a décidé de s’implanter dans mon corps, je salue son courage et sa témérité. Je salue surtout sa foi en lui-même, car il faut être sacrément osé pour vouloir m’avoir comme génitrice. Vous pouvez le constater, je me refuse à utiliser le mot mère. Ça rend la chose… plus effrayante qu’elle ne l’est déjà.

Donc oui, je suis enceinte.

Qui l’eut cru ? Même pas moi, pour tout vous dire. Les gens de mon entourage direct ont failli s’évanouir à l’annonce de la nouvelle. J’ai moi-même failli m’évanouir tant de fois, rien que d’y penser. Pendant des semaines je me suis réveillée en sursaut, en pleine crise de panique. « Je suis enceinte, ma vie est fichue, j’ai quelqu’un dans mon corps, j’aurai un humain à ma charge, entre les mains, et je ne sais quoi en faire ! » J’étais en crise de panique de 6h à 12h tous les jours sans exception. Vers 12h la logique tentait de reprendre le dessus et réussissait tant bien que mal. On passera sur les crises de larmes et de sanglots de 12 h à X heure.

Ma disparition d’Instagram et même de Digressions s’explique donc.

Un humain.

Mais qu’est-ce que j’en ferai ? Je ne sais déjà pas quoi faire de moi-même. Que ferai-je de tout un humain aussi entier que partiel ? Il ne saura pas communiquer. Le mec (ou la meuf, c’est selon) ne pourra pas me dire qu’il a faim ou qu’il en a juste marre de voir ma bouille. Comment je fais moi pour comprendre un langage qui ne comporte aucun mot , aucune expression du visage ? Comment je fais d’une personne qui n’a absolument aucune autonomie ? Comment je gère un mec (ou une meuf) qui se fiche totalement de mes heures de sommeil et de mon agenda ?

Surtout, comment je fais pour passer en seconde position dans ma propre vie ? Qui fait ça ?

Face à mes crises de panique, certaines personnes m’ont demandé pourquoi je ne me suis pas faite avorter. J’aurais pu. Très honnêtement, l’avortement ne va pas à l’encontre de mes principes. Pour dire vrai, j’ai regardé (avec un profond dégoût, dégoût qui ne me quitte d’ailleurs pas), l’évolution d’un humain dans un utérus semaine après semaine. Le mec (ou la meuf) a des paupières ! Ça peut paraître bête, mais comment je fais moi pour en finir avec quelqu’un qui a des paupières ? Il existe. Il n’est pas complet, mais il a déjà bien trop d’attributs humains pour que je le considère comme un œuf à casser dans une poêle.

La seconde raison est la témérité de cet humain. Je vous l’ai déjà dit. Je ne le connais pas encore, mais j’ai un profond respect pour lui. Son courage m’éblouit. Je n’aurais jamais, jamais, au grand jamais voulu m’avoir pour génitrice. Jamais. Sa tâche est grande, et j’espère qu’il est prêt. Il aura du travail, et pleurer du matin au soir n’y changera rien. Un choix est un choix. Il devra m’assumer jusqu’au bout.

La troisième raison, qui est en réalité la plus importante, est le père de cet enfant. Il n’est pas géniteur d’un humain, il est père d’un enfant. C’est fou comme la situation change lorsqu’il s’agit de lui. Pourquoi ? Parce que personne au monde n’aurait pu rêver mieux comme père et/ou encadreur dans sa vie. Il est tout ce que je ne suis pas, et il a tout ce que je n’ai pas. Ce petit humain doit avoir autant de courage que lui, car il m’a acceptée comme génitrice de son enfant, malgré toutes mes lacunes et zones d’ombre. Il a essuyé mes larmes jour après jour, alors que je lui disais froidement que je ne voulais pas de cette situation. Il a accepté mon rejet, et ne m’a jamais blâmée d’être une femme enceinte qui refuse de l’être. Il a répondu oui à la question « Es-tu prêt à être le père ET la mère de cet enfant ? »

Pourquoi est-ce que je priverai ce petit humain d’un père quasiment parfait qui a mis une pause à tout, n’attendant que lui pour tout recommencer ?


Je l’ai dit, la vérité se trouve en nous.

C’est la première fois depuis le début de tout ceci que j’en parle positivement. C’est la première fois que je l’écris. C’est la première fois que je le dis sans avoir les larmes aux yeux.

Je suis enceinte.

Mon introspection ce matin m’a permis de l’accepter, pas parce que je suis en accord avec la situation, mais parce que je me suis avouée que je déteste chaque minute de tout ceci. La situation me traumatise et mon rejet est grand. Je ne peux pas avancer si je ne commence pas par déceler le véritable problème.

Je suis enceinte et je ne veux pas être mère.

Je me le suis dit en face. Sans pleur. Sans cri. Sans lamentation.

Je n’ai pas cherché d’épaule sur laquelle pleurer comme c’est le cas ces derniers temps. Je n’ai pas cherché de béquille sur laquelle m’appuyer. La vérité est en moi, je suis la seule à pouvoir la faire sortir pour bâtir sur une base peut-être pas rose, mais honnête.

Le plus drôle dans l’histoire est que je rédige le texte sur ma grossesse dans ma tête depuis des semaines. C’est l’une des raisons pour lesquelles je n’arrivais plus à écrire. Cet humain m’obsède, et je ne pouvais parler de rien d’autre. Alors je me suis tue, le temps que le texte se forme. C’était un texte froid, dur, plein de ressentiment. Cet humain l’aurait lu dans quelques années qu’il m’aurait reniée (si ça n’avait pas déjà été fait…).

Lorsque j’ai pris mon clavier aujourd’hui c’était pour parler de tout autre chose. Je souhaitais parler de la vérité qui est en nous, certes, mais sur un tout autre registre. Tout est parti en vrille lorsque sans réfléchir, j’ai écrit je suis enceinte pour la première fois dans le texte. J’ai pensé à l’effacer, mais le texte n’aurait pas eu de suite. Le fil conducteur de départ n’existait plus.

Je partage à travers ces mots ma vérité après mon introspection. Le rejet a été accepté, aussi contraire que cela puisse paraître. Il aurait été mal véhiculé si je l’avais sorti avant cette conversation ce matin. Il aurait été mal communiqué et je n’aurais pas pu reprendre mes mots. A présent que je l’ai analysé et que j’ai fait la paix avec lui, nous pouvons tous les deux avancer sur une base plus saine :

La fabrication d’un petit humain.


A ceux qui se demanderont d’où m’est venu le titre de l’article, il est tout simplement inspiré de la chanson Color of Love de Boyz II Men. Je n’avais aucune inspiration, comme d’habitude et, intégrée dans la playlist que j’écoute au moment de l’écriture, la chanson a commencé. Je ne crois pas au hasard, et les paroles du refrain me confortent dans le fait que ce n’est pas un hasard :

I know the Color Of Love,
(And It lives in side of you)
I know the color of truth,
(Its in the image of you)
If it comes for the heart, then you know that its true,
It will color your soul, like a rainbow
(Like a rainbow)
And the color of love, is in you

Photo : Olichel


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18 comments
  1. Ce qui est bien, deja tu ne te lamentes pas.
    Félicitations (selon mon entendement). Ravi de savoir que tu t’ai deja faites à l’idée que tu ne veux pas de (lui ou elle). Tout encore ravi de savoir que tu es consciente que (il ou elle) veut de toi. Du coup, la nature t’en a enseigné des leçons et t’a formé. Celle là saura te donner la force necessaire et les oritentations positive pour la suite. J’espere te relire ici ou ailleurs dans 24 mois sur le même sujet

  2. “L’un des plus facile a écrire, l’un des plus difficile à publier…” vous dites, pour moi l’un des plus touchant que j’ai lu depuis que je vous ai découvert il y a quelques mois sur medium.
    Je vous aime. J’aime ce que vous écrivez; J’aime ce que vous êtes; J’aime cette vérité en vous;
    Depuis que je vous lis, cela m’aide beaucoup à mettre des mots et à comprendre la mienne de vérité.
    J’espère un jour arriver à avoir autant de lucidité et autant d’honnêteté que vous.

    Félicitations à ce petit humain et son père, Ils ne sont pas seulement courageux, Ils sont très chanceux de vous avoir.
    Comme Uriel, j’espère continuez à vous lire, ici ou ailleurs, sur le même sujet.
    Prenez soins de vous 🙂

    1. Ces mots me vont droit au coeur, Malick. Je ne suis pas très éloquente ces derniers temps compte tenu de la situation, mais je dis ceci avec toute la sincérité possible : merci.

  3. Congratulations!! C’est le premier mot qui me vient à l’esprit. Now que tu le veuilles ou non, moi je suis contente pour toi. Et disons que j’ai pris un grand risque de commencer avec ce mot: congratulations. Cet article m’emeut pour diverse raison. Je suis émue par le respect que tu portes à un être qui n’est même pas encore là, ici, avec nous. Je suis ému que ma foi me dis que Dieu a mis sur ton chemin un père (ce mot n’exige pas d’autre qualificatif), je suis émue par l’apprecaition que tu portes à ce père. Je sui émue par une liste de choses…la vérité est en nous, et je suis émue que tu fasse preuve de courage face à cette vérité. Pour finir, je prends encore le risque, je tu le veuilles ou non en disant: I am so EXCITED for you!! Haha! (2 yeux gros ouverts) lol.

  4. Je suis extrêmement fière de toi. C’est tout ce que j’ai à dire. Ah oui, et puis, je t’aime, je suis là même quand tu ne veux pas comme Dimanche, et je l’aime déjà lui qui a eu le courage de s’imposer à toi, et je suis fana de ce papa magique (quelque soit ce que tu décideras pour vous deux). Donc égale à nous-mêmes au final. Trop trop fière de toi, je répète. Un jour après l’autre, vivre et faire face à TOUT ce qui nous arrive. C’est tout ce qu’il y a à faire my love.

  5. Waouh… Force à toi pour cette nouvelle aventure.
    “Le chaos associé au chaos ne peut que créer une absence de chaos.” Je suis totalement d’accord avec cette phrase. Je suis parvenu à cette même conclusion suite à une réflexion sur une déclaration de little finger dans Game of throse qui dit “Le chaos est un échelle”

  6. Jai lu avec bcp d’intérêt ce billet. Tellement poignant d’authenticité. on ressens que ca vient du plus profond dr tes tripes.

    Si cela peux te rassurer, tu as raisons : l’enfant que tu porte t’affectivement choisi. Pour la simple raison que vos deux auras sont attirés lun a l’autre et vous êtes mutuellement des sources d’apprentissage et de croissance de vos âmes respectives. Cette âme t’a choisi pour etre son canal de venue au monde. Ni plus ni moins. Et elle a ses raisons à celà. Tout comme toi tu a choisi de laccueillir tout en “refusant” la maternité pour une raison (que tu comprendra peut etre un jour si ce nest deja le cas).

    Le but de la vie nest pas de faire des choix. Nous avons deja choisi depuis le depart. Avant même notre naissance. Le but est uniquement de comprendre nos choix et cela en faisant l’expérience de qui nous sommes réellement a travers cette vie.

    Donc tes angoisses existentielles…dis toi que cela fait partie de ton choix aussi. Ca fait partie de ton chemin de développement. Quand tu realises que tout ce qui arrive devait arriver, tu retrouves la sérénité 🙂

    1. Ce commentaire tombe à point nommé. J’en avais besoin. Bien plus que je ne pouvais l’imaginer. Merci Neo.

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