(In)fidélité : entre nuances et fluctuations

12 minutes

J’ai écrit sur la fidélité il n’y a pas si longtemps, mais le sujet continue de me remuer les méninges.

J’ai beaucoup réfléchi sur le sujet, j’ai lu dessus et j’ai eu de nombreuses discussions autour de la fidélité et l’infidélité avec mon cercle proche et étendu. Ce qui ressort de ces réflexions, lectures et discussions est que lorsqu’on parle de fidélité, mais surtout d’infidélité, le focus est centré sur l’autre. L’infidélité est une offense, on ne peut donc que la subir car on se positionne très souvent en victime, et très peu souvent en agresseur.

La définition de ce qu’est l’infidélité est souvent basée sur ce qu’on pense pouvoir ou ne pas supporter au sein d’une vie amoureuse, conjugale ou maritale. Vous remarquerez que je ne parle pas de couple, car bien qu’il reste très commun, le couple est de moins en moins la norme lorsqu’il s’agit de relation amoureuse. Les trouples et le poly amour (différent de la polygamie parce qu’embrassé par toutes les parties) entre autres sont de plus en plus fréquents.

L’infidélité est un affront. Une insulte. Une douleur. Une atteinte à notre personne, à ce qu’on pense représenter pour l’autre (ou les autres), et à ce qu’on aurait construit avec elle/lui (ou eux). Ça peut aller bien au-delà, selon les attentes de chacun. La focalisation que nous avons sur les actions de l’autre lorsqu’il s’agit de fidélité ou d’infidélité nous empêche parfois de nous poser la question de savoir à quel moment nous nous considérons infidèle ?

Qu’est-ce que l’infidélité pour soi ? Quand se déclarerait-on infidèle ? Est-ce que les mêmes limites et, pour aller plus loin, les mêmes sanctions s’appliquent à nous lorsque nous franchissons le rubicond de l’infidélité ?

La question qui pour moi a le plus d’intérêt est quand se sent-on infidèle ?

J’ai eu une longue discussion avec quelqu’un qui m’a dit qu’il porte un profond amour à sa femme et un immense dévouement envers sa famille, mais il a également besoin d’être fidèle à lui-même. Sa femme est celle avec qui il souhaite finir sa vie, mais il est conscient qu’il peut avoir des sentiments pour quelqu’un d’autre, sentiments qu’il lui est arrivé d’explorer en toute sincérité envers l’autre.

« N’est-ce pas égoïste ? » Non, m’a-t-il répondu. Sa fidélité est envers sa famille et la protection de sa femme a pour lui la plus grande importance. Il ne se sent pas infidèle tant qu’il n’a pas mis sa famille en danger.

Je l’ai écouté sans émettre de jugement. Je pense l’avoir dit ad nauseam, on ne sait quelle serait notre réaction tant qu’on n’a pas fait face à une situation. Je lui ai posé beaucoup de questions. Je souhaitais comprendre. Comment il gère ? Comment ça se passe ? N’a-t-il pas l’impression de mentir ? Et si l’autre s’attachait un peu trop et mettait justement sa famille en danger ?

Il a illustré son propos en prenant l’exemple de 2 univers parallèles. L’existence de l’un n’annule pas celle de l’autre. Il ressent de l’amour pour sa femme quand il lui dit « je t’aime », et un vide en lui quand il lui dit « tu me manques ». Lorsqu’il dit ces mots à l’autre il les ressent également, il n’y a donc aucun mensonge dans l’expression des sentiments et ressentis.

Est-ce que c’est possible ? Je ne peux donner de réponse pour les autres. En ce qui me concerne je l’ai vécu il y a de nombreuses années. Ce que je n’ai en revanche pas vécu, c’est le fait d’être avec deux personnes au même moment. Je n’ai pas été avec mes amoureux parallèlement, mais plutôt en ce que j’appellerais zigzag.

Jeunesse, immaturité, ego démesuré et chaos forment un cocktail explosif pour les relations amoureuses, alors les séparations étaient fréquentes. Je dirais que j’allais et venais. J’avais de réels sentiments pour les deux, et les histoires étaient très différentes. Certains m’ont dit que « les deux se complètent » mais ce n’était pas le cas pour moi. J’étais très bien avec chacun des deux, et le vécu n’avait absolument rien de similaire.

Ai-je été infidèle ? Non. Il n’y avait pas de pollution. Je ne pensais pas à l’un quand j’étais avec l’autre et vice versa. Le contact gardé était très minime, et je ne me tournais véritablement vers l’un qu’après rupture avec l’autre. Vous me direz certainement que ça restait problématique parce qu’un « autre » était toujours tapi dans l’ombre, prêt à faire savoir sa présence. Cela peut effectivement sembler problématique et ça l’était certainement, mais était-ce une infidélité pour moi à l’époque ? Non.

Je reviens donc sur la question quand se sent-on infidèle ? Aurais-je accepté que l’un de mes deux amoureux ait une « régulière » vers qui il se tournait lorsque nous étions séparés ? Non. J’aurais (naturellement) pensé que l’autre a toujours été là, qu’il était impossible d’entretenir une relation hachée avec elle, étant donné que c’était la même vers qui il retournait chaque fois.

Les choses étaient différentes à mes yeux dans mon cas parce que je vivais l’histoire, j’étais actrice principale du film, mais aussi aux premières loges. J’avais tous les tenants et aboutissants entre mes mains. Je « comprenais » qu’il n’y avait rien de mensonger. Ce qui nous ramène à une question que j’ai posée sous une autre forme plus haut : à situation égale, sanctions égales ? Sommes-nous prêts à nous imposer ou à accepter les sanctions que nous aurions imposées à l’autre dans une situation égale à celle que nous aurions considéré comme un acte d’infidélité ?

Chacun a sa compréhension et sa vision, mais aussi son ressenti par rapport à la fidélité. La perception de leur propre infidélité semblait dépendre de là où ces personnes en sont dans leur vie. Certaines passaient de l’idolâtrie de la fidélité à une envie d’ouverture, ne serait-ce que partielle parfois, de leur relation. D’autres effectuaient le sens inverse.

Le plus intriguant est la récurrence du fait que cette « liberté d’agir » qu’on s’autorise est considérée comme une infidélité de la part de l’autre. Le monsieur qui souhaite rester fidèle à lui-même dont il est question plus haut m’a avoué que jamais, au grand jamais, il ne pardonnerait un comportement similaire de son épouse. Vous me parlerez ici des hommes et leur machisme, mais je peux vous assurer que cette position a également été partagée par des femmes durant les discussions. L’amour porté à l’autre ne souffre d’aucun doute, d’aucune zone d’ombre, et l’on ne souhaite pas le partager.

Certains ont également déclaré que tout dépend de la relation dans laquelle ils sont. Le ton est donné par la vibe ressentie et/ou partagée. Tout comme ils ne seraient pas prêts à vivre des relations ouvertes et n’entretiennent pas les mêmes fantasmes et envies avec tous leurs partenaires, ils ne vivent pas la fidélité et l’infidélité de la même façon. L’insistance sur la réalité selon laquelle il est possible de vivre une relation profonde et non charnelle avec quelqu’un d’autre que son, sa ou ses conjoints est à noter. La compagnie de quelqu’un d’autre peut être très plaisante, parfois obsédante, sans aucune comparaison avec celle de la ou des personnes avec qui l’on partage sa vie. Il arrive parfois qu’on soit parfaitement heureux en couple (ou trouple et autres), et qu’on ait envie d’explorer quelque chose ressenti ailleurs.

La question de n’aimer et de ne désirer qu’une seule personne a été posée sur la table. Beaucoup pensent que cela est impossible sur la durée, mais tous ne sont pas forcément pour le fait de concrétiser ce désir. On peut apprécier sans toucher. On peut ressentir sans matérialiser. On peut même aller jusqu’à aimer sans jamais le faire savoir.

L’une des personnes avec qui j’ai discuté a dit qu’elle ne saura vraiment si elle est fidèle que lorsqu’elle sera très riche et aura des opportunités qui lui sont pour le moment inaccessibles. J’ai aimé ce point de vue. On peut se dire amoureux et fidèle, mais sait-on si on l’est vraiment sans jamais avoir été tenté? Ce serait comme parler du goût d’un mets sans jamais l’avoir consommé. On le voit, mais on ne sait pas vraiment de quoi il est question. On ne sait pas de quoi il est fait, s’il est pimenté, s’il y a de l’arachide ou s’il a un goût fermenté. On ne sait tout simplement pas, alors on ne sait pas si on l’aime ou non.

Certains diront que la fermeture à la tentation est le socle de leur fidélité. C’est peut-être vrai. Comme je le dis souvent, les expériences, vécus et ressentis divergent d’une personne à l’autre. Il est parfois préférable de ne pas tenter le diable, de se fermer à tout « bruit » pour rester focalisé sur ce qui est pour nous le plus important. J’ai récemment envoyé ce message à une amie avec qui j’abordais justement le sujet :

« Tu fais le choix de ne rien faire même si tu es dans une situation où personne ne saura jamais. Tu fais le choix de ne pas trahir ta famille et ce que vous représentez. Tu fais le choix d’être là pour toi mais aussi pour vous. Tu fais le choix de ne pas te salir à tes propres yeux (si tu considères que c’est sale). Tu fais le choix de ne pas te compromettre à tes propres yeux. »

Ceci s’applique dans les 2 cas, qu’on ait été tenté et qu’on se soit refusé de se laisser porter par la vague de l’attraction, ou qu’on s’empêche coûte que vaille de ne serait-ce que laisser cette idée nous traverser. Ceci s’applique tout aussi aisément à la situation du monsieur fidèle à lui-même, si on fait fi de la première phrase dans le message.  J’ai demandé à des proches de partager avec moi leur définition de l’infidélité et j’ai reçu cette réponse :

« L’infidélité c’est le fait de sortir du cadre qu’on s’est défini ensemble. Si le cadre n’est pas défini, il n’y a pas infidélité. »

Si vous êtes portés sur les questions de droit ou même politiques, alors vous savez ce qu’est un vide juridique. On ne peut appliquer aucune sanction si aucune loi ne définit le domaine où n’encadre l’action dont il est question. L’entente tacite lorsqu’on démarre une relation est généralement l’exclusivité sous nos cieux. Les choses sont un peu plus nuancées chez les Américains par exemple.

Le talking stage est le moment où on se tourne autour, on flirte, on s’évalue, on étudie l’autre pour savoir s’il correspond à ce que nous souhaitons pour nous. La réponse “We are talking” lorsque la question de savoir si 2 personnes sont ensemble est très claire. Il est possible de « parler »  à de nombreuses personnes sans causer d’incident diplomatique. Ensuite on se met ensemble, mais on continue à papillonner si on en a envie jusqu’à ce qu’on prenne mutuellement la décision “to be exclusive”. Si cela n’est pas clairement formulé, alors les papillons peuvent continuer de voler et on peut continuer de les attraper sans que l’autre n’ait une quelconque légitimité en cas de crise. Aucune entente mutuelle n’a été scellée.

Le volet “ressenti de l’autre” est occulté de tout ceci. Qu’il s’agisse de vide juridique relationnel ou de la non-spécification de l’exclusivité, est-ce que savoir qu’on fera ou qu’on fait mal à l’autre est un facteur décisif ? Jusqu’ici non, si je me fie à mes discussions. La décision de se lancer ou pas semble profondément personnelle et ne pas inclure l’autre. C’est un monde où il n’existe tout simplement pas. Il règne sur un univers entier, mais ce monde là échappe à son autorité et il ne sait rien de son existence. C’est un acte posé pour soi après une évaluation de nos envies personnelles et de là ou nous en sommes dans nos vies.


J’ai aimé avoir ces échanges qui confirment que finalement rien n’est entièrement commun et immuable. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Photo : Julia Filirovska


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3 comments
  1. Je vois les choses comme pour l’établissement d’un contrat c’est la volonté des parties qui fait loi. C’est donc à chacun des partenaires de définir les contours de la relation autour d’une discussion ouverte: qu’est ce qui est important pour nous ? Sommes nous exclusifs ou ouverts ? Pour l’un et l’autre qu’entendent-ils par fidélité ? Et donc à quel moment sommes-nous dans une situation d’infidélité ? Une fois que les termes sont clairs, précis et compris de tous. On ne peut pas parler de quiproquo si l’autre va à l’encontre de ce qu’on s’est défini comme feuille de route pour notre relation. Dans les faits, les choses ne sont pas aussi évidentes. L’appréciation est très souvent subjective. Pour certains, s’il n’y a pas d’acte alors il n’y a pas d’infidélité. Là où d’autres vont considérer qu’on est infidèle dès lors qu’on veut embellir un mensonge. Le plus important c’est de définir la feuille de route et que chaque partie sache exactement ce pourquoi elle a signé.

  2. Pour moi quand on trompe une personne c’est purement égoïste on pense à soi avant de penser à l’autre ( Satisfaire ses désirs, ses envie… Sans pour autant avoir l’intention de blesser l’autre) L’autre va se sentir trahi . Moi aujourd’hui, si mon conjoint me tromper et que je l’apprends bien évidemment je demanderai des explications mais j’ose espérer que je ne me considérerai pas comme une victime. J’espère que j’aurai une compréhension de la situation sous le point de vue de l’autre.

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