J’ai été pendant des années une boulimique de l’info.
Je reste et demeure une fière boulimique de l’information, mais j’ai su me soigner en ce qui concerne l’info dans le sens de news. L’activiste politique que j’étais devait tout voir et tout savoir sur les faits politiques quotidiens à travers le continent. Je savais quand le président ivoirien avait fait ci et quand le premier ministre zambien avait fait ça. Je savais tout sur tout.
J’étais abonnée à de nombreuses newsletters de médias nationaux et internationaux avec une focalisation sur l’Afrique. J’allais plus loin, je savais tout sur la pseudo guerre contre la drogue aux Philippines ou encore le périple des djihadistes nouvellement recrutés pour rejoindre leurs camps de formation en Afghanistan ou au Pakistan. Je passais littéralement ma vie sur Twitter où j’avais créé des listes pour chaque catégorie d’info qui m’intéressait : Afrique, monde, Cameroun, politique… Pour avoir une vue à 360° de ce que disaient ou pensaient les créateurs de contenus dans ces catégories, j’avais des listes de journalistes mais aussi de blogueurs.
J’étais tellement informée que des journalistes à travers le monde me contactaient pour mes insights (et là je me rends compte que je n’ai jamais monétisé cette aptitude, misère !). Il était difficile pour les internautes d’attaquer mes tweets parce que j’étais connue et reconnue pour être la mère de l’information. Mes points de vue ont toujours reposé sur des bases solides.
J’ai adopté un style de vie minimaliste vers la fin de l’année 2017. Je ne souhaitais pas me limiter aux possessions physiques, je voulais que chaque pan de ma vie s’aligne à ce courant. Je connaissais mon addiction à l’info et je voulais… pas me soigner, mais trouver le moyen de la consommer de manière efficiente. Il s’agissait pour moi de consommer la meilleure info qui soit sans forcément ratisser tout le web. Il me fallait passer de 775 000 sources d’infos à un maximum de 20. Il me fallait surtout faire preuve d’encore plus de réflexion critique pour tirer le meilleur de l’info consommée.
Dans ma quête de solutions j’ai eu une discussion en 2018 avec l’auteur et activiste nigérian JJ Omojuwa, un des internautes les plus célèbres de ce côté du monde. J’admirais ses prises de parole et de position et après lui avoir demandé de me recommander 3 livres (question que je pose à tous les brillants cerveaux qui croisent mon chemin), je lui ai demandé quelle était la meilleure manière de consommer l’information. « Savoir qui tire les ficelles derrière chaque média que tu consommes » a été sa réponse. Je commencerai donc par ce point.
Avant de démarrer je tiens à préciser ceci : un des nombreux principes sur lesquels repose le minimalisme est la qualité prime sur la quantité. Le but ici est de recommander des stratégies qui nous éloignent du bruit et nous mènent vers des sources de contenus sélect et peu nombreuses.
À présent que c’est dit, nous pouvons évoluer. Nous en étions au premier point inspiré du conseil « Savoir qui tire les ficelles derrière chaque média que tu consommes ».
1- Etre conscient du fait que quasiment aucun média n’est impartial
La recommandation d’Omojuwa m’a atteint comme une gifle. Je me suis aperçue que je me limitais au nom du média et à sa réputation pour décider de son impartialité. Lorsqu’on s’intéresse aux fondateurs et bailleurs de fonds des médias qu’on consomme, on se rend très vite compte de qui peut dire quoi, et surtout comment car à la fin de la journée c’est ce « comment » que consomment et enregistrent les lecteurs.
Un média qui a comme principal bailleur de fonds les grands de l’industrie agro-alimentaire d’un pays aura du mal à couvrir les cas de corruption dans le secteur. Un média financé par le concurrent d’un industriel jettera ce concurrent en pâture aux lecteurs sans y réfléchir à 2 fois. Savoir qui finance un média et connaître « ses amis », ses penchants politiques et son école de pensée permet de percevoir l’information proposée d’un œil différent.
Je suis par exemple une fan du média en ligne Mediapart. Les enquêtes proposées sont des enquêtes de fond et les journalistes planchent parfois sur des cas durant des années. La recommandation d’Omojuwa m’a poussée à me documenter sur le fondateur du média, Edwy Plenel. Il me fallait savoir d’où il venait et où il allait.
Son livre La valeur de l’information m’a permis de comprendre son parcours, mais aussi et surtout sa compréhension du journalisme et de la diffusion de l’information. Ecouter de nombreuses interviews de lui m’a montré qu’il s’est en quelque sorte affranchi de l’influence politique tant dans sa réflexion que dans ses actions. Mediapart est un média payant et ne dépend pas des fonds publics, ce qui lui donne la latitude d’aborder les questions socio-politiques avec la véhémence nécessaire.
Ce filtre m’a éloignée de nombre de médias. Je n’en lis plus que très, mais alors très peu. Je me focalise sur des plateformes comme Mediapart qui sont des médias d’enquêtes et dont les articles sont payants. La gratuité de l’info pousse les médias à trouver des sources de revenus qui très souvent les poussent à biaiser leur contenu.
Si vous décidez d’appliquer ce filtre, sachez qu’il existe des médias gratuits qui font preuve d’éthique. Ce sera à vous de les trouver.
Ce que j’appellerai « la nationalité » du média est toute aussi importante, ce qui nous mène au deuxième point.
2- S’intéresser à la géopolitique et à l’histoire plutôt qu’aux infos buzz
Commençons par l’histoire. Les infos qui nous sont servies ne tiennent pas toujours compte des contextes. Ce qui est dit n’est critiqué que par rapport aux croyances et certitudes contemporaines. Qu’il s’agisse de dynamiques politiques, sociales ou économiques, l’histoire du pays joue un grand rôle sur sa situation actuelle.
Au lieu par exemple de nous limiter au tribalisme rampant et à la haine entre Bulu et Bamiléké au Cameroun, il serait bien de nous informer sur les premiers contacts documentés de ces tribus et leur évolution pour comprendre pourquoi elles en sont là aujourd’hui. Ceci nous évite de sauter sur tout article haineux et pseudo informatifs. Ceci nous évite également d’adopter des points de vue limités ou partiels à cause de la consommation d’infos limitées ou partielles.
« La nationalité » des médias consommés joue également un grand rôle dans la présentation de l’information. Un média qatari ne couvrira par l’info en Iran de la même manière que le ferait un média saoudien. Pourquoi ? Parce que le Qatar est plus ou moins un allié de l’Iran tandis que l’Arabie Saoudite s’en revendique l’ennemi.
J’ai récemment lu le livre Prisoners of Geography: Ten Maps That Tell You Everything You Need to Know About Global Politics. Connaître les enjeux géographiques des dynamiques entre les pays de chaque continent m’a ouvert les yeux sur mes croyances et prises de position non informées malgré la grande base de données d’infos dans mon cerveau.
Savoir par exemple que le conflit entre la Russie et les États-Unis en ce qui concerne Cuba n’est pas principalement un combat entre le capitalisme et le communisme a été une révélation. La Russie est un territoire plat sans aucune protection naturelle telle que des chaînes montagneuses. La Russie est perceptible à vue d’œil d’un certain point de l’Alaska aux États-Unis. Cuba est une terre tampon. Un pacte de non-agression avec les Cubains signifierait que la Russie ne pourra être attaquée à partir de cette terre car un missile parti de là ne manquerait en aucun cas la terre russe.
Les gouvernants russes sont aussi agressifs parce qu’ils savent être exposés. La Chine gagne par exemple du terrain. De nombreux Russes vivant aux frontières entre les 2 pays se considèrent Chinois et leur nombre s’accroît au fil des années. Tout comme les batailles aux temps ancestraux, l’URSS comptait elle aussi parmi ses principales missions contrer la vulnérabilité géographique de la Russie. Le conflit Israélo-Palestinien et les nombreuses guerres musulmanes font également sens à présent. Je vous recommande vivement ce livre. Vous pouvez lire les 34 premières pages ici.
Je lis en ce moment le livre MBS: The Rise to Power of Mohammed bin Salman qui me décortique à travers l’histoire du prince héritier saoudien MBS celle de l’Arabie Saoudite, mais également l’histoire du monde arabe. Très honnêtement je réalise que tout ce que j’ai eu à lire sur l’Iran dans les médias américains n’était principalement basé que sur les relations d’amour-haine entre les 2 pays.
Je réalise également que je ne savais rien de la réelle puissance financière du monde arabe ainsi que son influence dans la politique à l’échelle mondiale. Ces 2 éléments sont noyés par la présentation principale des guerres et du terrorisme dans la région. Et non, le but des Etats-Unis n’est pas toujours « d’apporter la démocratie » aux pays arabes qu’ils attaquent. Leur participation à des guerres est parfois le résultat d’ententes sur le plan économique avec certains pays de ce même monde arabe (informez-vous sur la guerre au Yémen pour plus de matière).
Ce deuxième filtre m’a amenée à ne plus lire les articles qui diabolisent ou encensent certains pays ou dirigeants, et surtout à considérer d’un œil critique certaines déclarations prises pour argent comptant.
3- Ne pas faire des réseaux sociaux une source principale d’info
Je commencerai ici par recommander le film The Hater qui met en scène un jeune homme qui, pour se venger, crée grâce aux réseaux sociaux 2 écoles de pensées pour un même mouvement politique et attise la haine entre ceux qui le soutiennent et ceux qui le détestent. Il diffuse sur des pages Facebook des informations parfois vraies, parfois fausses, parfois biaisées et lance des campagnes ou organise des événements en s’assurant que des violences éclateront. Le plus beau ? Ce même jeune homme arrive à laver le cerveau de gens et en faire des terroristes grâce à des interactions virtuelles via des jeux vidéo basés sur des jeux de rôle comme World of Warcraft.
Outre les fake news, le plus gros danger des réseaux sociaux est la création des chambres d’écho. Les algorithmes vous proposent le type de contenu que vous semblez aimer. Vous vous retrouvez dans une boucle sans fin et votre point de vue finit par s’aligner consciemment ou inconsciemment à ces arguments qui vous sont servis à longueur de journée.
Aujourd’hui je ne m’informe quasiment plus sur les réseaux sociaux. Non seulement les articles partagés ne sont pas toujours crédibles, mais en plus la majorité partage des avis non informés, que ces personnes soient célèbres ou pas.
4- Préférer des enquêtes, des revues et des documents de recherche ou scientifiques aux simples articles ou opinions
J’ai parlé dans un article du fait que je pensais les Noirs américains en grande partie à l’origine de ce leur condition. Ils me semblaient peu éduqués, plus enclins à des activités criminelles ou de divertissement. Je me suis aperçue après réflexion que mon avis n’était pas assez informé pour être partagé.
Je me suis tournée vers des auteurs Noirs spécialistes du domaine qui ont fait des recherches extensives sur les Noirs américains et qui sont capables de présenter des données factuelles qui expliquent pourquoi et comment est-ce qu’on en est arrivé là. Après avoir lu entre autres le livre de Jennifer L. Eberhardt Biased: Uncovering the Hidden Prejudice That Shapes What We See, Think, and Do, je me suis aperçue que malgré tous les mouvements actuels, la couverture médiatique des Noirs n’est pas à leur avantage. Elle m’a menée à mes croyances de base, croyances complètement erronées.
Je continue de lire des articles, mais des articles aux recherches et aux sources crédibles, des articles de revues dont les auteurs sont réputés pour la qualité de leur travail. J’ai découvert récemment une revue nigériane dont je me délecte littéralement, The Republic. Elle me présente un Nigeria différent de celui des médias populaires. Des auteurs, journalistes, penseurs… nigérians présentent les divers aspects du quotidien national sous un prisme peu commun. L’article The Foreign Flows of Nigerian Hip-Hop remet par exemple en question cette « africanité » très appréciée chez les rappeurs et chanteurs nigérians.
Je préfère lire un article de 10 000 mots savamment documenté plutôt que 20 articles de 800 mots sur le même sujet. Rappelons-nous que dans le cadre du minimalisme la qualité prime sur la quantité.
Vous me demanderez certainement ce que je fais des breaking news, ces infos dont il faut absolument être au courant. Je vous poserai les questions suivantes : à quoi est-ce que ça vous sert de savoir que Jacob Zuma n’est plus président de l’Afrique du Sud si vous n’êtes pas conscients des enjeux sociaux-économiques ? Le but est-il de savoir ce qui se passe là, tout de suite, ou de comprendre exactement où nous en sommes ?
Une chose est sûre et certaine, nous finissons par être informés de ce type d’événement à un moment où à un autre. Nous n’avons pas besoin de courir après cette info. La savoir avant le voisin n’a absolument aucune importance, surtout que les breaking news n’ont généralement aucun enjeu réel quand on les considère objectivement, surtout si on n’a pas tous les tenants et les aboutissants. Je ne m’y intéresse tout simplement plus.
Je ne veux rien savoir des scandales sexuels des ministres kényans ou des divorces des célébrités ivoiriennes. Ce type d’infos bousille inutilement la bande passante dans mon cerveau. J’ai décidé du type de savoir que je souhaite acquérir et c’est le type de savoir qui m’est le plus utile. Je veux comprendre les dynamiques et leurs répercussions à grande et à petites échelles. Pour y arriver je fais ce qu’il faut : je me débarrasse du bruit et je me focalise sur l’essentiel, comme la minimaliste que je suis.
Photo : Lisa Fotios
PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !
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1 comments
Le point 2. est très intéressant !