Je mourrai bientôt, et j’en suis enfin consciente

7 minutes

Je mourrai bientôt, et j’en suis enfin consciente.

Felwine Sarr a animé une conférence de presse il y a quelques jours pour parler du rapatriement des œuvres d’art africaines en Afrique.

Achille Mbembe était de la partie, et j’ai été invitée à l’événement. Je comptais m’y rendre, vraiment. Sauf que j’avais la ferme conviction que les sujets qui seraient abordés ne seraient que « réchauffés ». Je comptais m’y rendre surtout pour faire plaisir à la personne qui m’a invitée. La rencontre se passait sur mon lieu de travail, alors je me suis dit « Pourquoi pas ? »

Ce jour-là j’ai décidé de m’informer (enfin) sur la fusillade au Kenya. Selon différentes sources consultées, le New York Times a été épinglé pour avoir publié les photos des corps morts. Je ne m’étendrai pas sur l’éthique de cette action, ça ne nous intéresse pas ici. Ce qui nous intéresse ce sont ces photos.

Je les ai regardées.

Trois hommes étaient attablés à la terrasse d’un restaurant, laptops et plats de nourriture devant eux lorsqu’ils ont été surpris par les tueurs. Su la photo, ils étaient encore assis sur leur chaise, penchés sur le côté. Mort.

La photo en elle-même ne m’a pas choquée. Ce qui m’a choquée c’est le lieu et le décor. Terrasse, laptop, nourriture, puis mort. J’aurais pu être l’un d’eux. J’aurais pu être moi aussi assise sur une terrasse ou dans un restaurant comme je le fais souvent. J’aurais pu être surprise par des tueurs pendant que j’écrivais un texte en grignotant je ne sais quoi. J’aurais pu être penchée sur le côté, sur ma chaise. Morte.

La mort ne m’effraie pas vraiment. On meurt tous un jour ou l’autre, j’en suis pleinement consciente. Ce qui m’a effrayée par contre c’est sa matérialisation à travers cette photo. Je peux mourir à tout moment. Je peux mourir là, tout de suite, face à cet ordinateur. Je peux ne pas voir la prochaine heure.

Je peux mourir. Là tout de suite.

Ça fait peur.

Je ne suis pas parvenue à détacher mes yeux de mon écran pendant au moins 15 minutes. Il était environ 14 heures. La conférence de presse de Felwine avait lieu deux heures plus tard. Je me suis posée une seule question : si je suis tuée ce soir, est-ce que je souhaite que la dernière chose à avoir accompli dans ma vie ce soit assister à une conférence à laquelle je n’ai aucune envie de participer ?

La réponse était non.

J’ai fermé mon laptop, je l’ai mis dans mon sac et je suis rentrée chez moi. Immédiatement. Je procrastinais depuis des jours, j’avais la flemme de faire le ménage. J’ai recuré chaque centimètre de ma maison ce soir-là. Chaque centimètre. Si j’étais morte cette nuit-là, au moins j’aurais fait quelque chose qui m’aurait été utile le jour suivant si j’avais été en vie. Au moins j’aurais fait quelque chose que j’aime faire. Au moins j’aurais écouté un podcast édifiant en frottant ces carreaux.

Je serais morte sans aucun regret, exactement comme j’aurais vécu.

Ryan Holiday parle très souvent de la mort dans ses textes. Lisez-le, il est génial. Il parle de la manière dont la prise de conscience de notre mortalité nous rapproche de la vie. Je pensais avoir compris le concept jusqu’à ce que je regarde cette photo du New York Times. Je peux mourir à tout moment. J’ai donc grand intérêt à m’activer, à faire ce que j’ai à faire sans trainer, sinon l’opportunité peut être perdue à jamais.

Je mourrai bientôt, et j’en ai enfin conscience.Je lis en ce moment Thinking in Bets: Making Smarter Decisions When You Don’t Have All the Facts d’Anne Duke. Je ne l’ai pas terminé (je sais, je prends mon temps…), mais ce livre a déjà changé ma perception de deux choses : la certitude et les choix de vie. Nous parlerons de la certitude une autre fois. Focalisons-nous sur les choix de vie

Chaque choix, chaque décision prise est une altération ou une amélioration de notre futur soi. Après avoir lu le paragraphe à ce propos, j’ai fermé le livre et je suis restée assise (sur une table dans un café) les yeux dans le vague, à méditer sur cette phrase. Une altération ou une amélioration de mon futur moi.

Tout dépend de moi. Tout dépend de ce que je veux faire de moi. Tout dépend de qui je veux être dans les prochaines secondes, minutes ou années. Tout dépend de qui je veux faire de moi.

Tout dépend de ce que je suis prête à regretter.

Si vous me lisez souvent ici ou sur Medium à l’époque, alors vous savez que je suis atrocement amoureuse du présent. Le passé et le futur ne comptent pas. Je peux encore avoir de la considération pour le futur immédiat, mais je ne planifie rien sur des années. Je me suis rendue compte à la lecture du livre que ça signifie que je suis prête à faire de moi quelqu’un dont je ne serai pas fière aujourd’hui, demain ou après-demain.

Je suis profondément égoïste et ego-centrée (pas égocentrique, la différence est expliquée ici). Cette phrase, tout comme la conscience de ma mortalité, m’a fait réaliser l’existence des gens autour de moi. Je ne parle pas du monde entier, de ce côté-là je m’en fous toujours autant qu’il le faut. Je parle de la video que ma mère m’a envoyée sur WhatsApp que je n’ai toujours pas regardé. Je parle de l’appel de mon frère que je n’ai toujours pas rendu. Je parle de cet ami qui a demandé mon avis sur un texte que je n’ai toujours pas pris le temps de lire. Je parle de l’éclat de rire de mon frère que je n’ai pas entendu depuis des mois. Je parle de la bande de résistance de fitness que j’ai promis à ma sœur et que je n’ai toujours pas pris le temps d’acheter.

Si je meurs aujourd’hui, serais-je heureuse de partir avec tous ces manquements ?

Si je meurs demain, serais-je fière des choix tacites que j’ai fait, comme celui de ne pas lire le texte de cet ami ou de ne pas acheter la bande de résistance de ma sœur ?

Je ne le pense pas.

Ma grand-mère a dit une fois à ma cousine « Je ne sais si je trouve ta nourriture bonne parce qu’elle est bonne, ou alors je l’apprécie parce que j’avais très faim. » Je vous l’ai dit, ma grand-mère n’était pas très commode. Pourtant, sa phrase résume mon propos. Le manque nous fait réaliser l’importance, la saveur de ce qu’on n’avait pas, quel que soit sa qualité. Le manque nous fait encore plus réaliser l’importance de ce qu’on n’a toujours pas.

Que se passera-t-il si dans 20 ans vous regardez derrière vous et vous vous dites « Au final j’aurais peut-être dû sauter sur cette opportunité. Ca n’aurait peut-être pas marché, mais au moins je l’aurais fait ! » Choisir c’est renoncer. Choisir c’est parier sur notre croyance à propos d’un avenir incertain. Conserver son travail plutôt que le quitter et faire le tour du pays. Sur quoi parier ? Qu’est-ce qui nous rendrait plus heureux ? Que sommes-nous prêts à regretter ?

Considérer la chose sous cet angle permet de fuir les bonheurs éphémères.

Que suis-je prête à regretter ?

Photo : Sawal Nepal


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5 comments
  1. Hello Befoune,
    Je me suis posée la même question il y a 7 mois, lorsque j’ai perdu un être cher. Il y avait déjà eu des deuils mais c’était une personne de mon quotidien. Ce n’était pas une surprise, la personne était malade. Et même là je trouvais des excuses, et ensuite cette personne est partie… Le choc a mis son temps à arriver et ensuite m’a bousculé de plein fouet. La mort d’un cousin éloigné il ya quelques mois à moins de 30 ans…. Oui je suis mortelle, et oui je peux mourir demain, comme ça , pour rien, de rien. J’ai pris des décisions que je trainais depuis des mois. Car si demain je ferme l »oeil, hors de question que ce soit avec des rêgrets. (Meme si quand on est mort, on n’est mort, on ne se soucie de rien et plus rien n’est vraiment important). Ce sont les vivants qui ont des regrets. Mais vivre comme ça a un côté pervers. Demain nous importe peu tant qu’aujourd’hui, on est fier d’être qui on est. BEing a better version every single day makes us happy with us. Cela peut conduire à un global goal, mais la vie est trop courte pour planifier sur 5 ans. Mais surtout dans le monde aussi mouvant des opportunités comment on planifie sur 5 ans ? Est ce que être la meilleure Coach Agile du cameroun est si important que cela? Est-ce ce que je veux voir écrit sur ma tombe?
    La réalisation de la mort, peut nous faire vivre ou nous faire mourir.

    1. « La réalisation de la mort peut nous faire vivre ou nous faire mourir. » Vrai. Tout dépend de ce qu’on veut vraiment, du pari qu’on est prêt à faire sur soi-même.

  2. La mort m’a tellement fouetté ces dernières années que je ne parle même plus. Be the best version of me and impact positively. C’est ce que la mort m’a appris

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