Détester pour mieux aimer

11 minutes

« Pourquoi partages-tu moins les faits joyeux ? »

Cette question m’a été posée récemment sur Instagram. Elle m’a surprise, car je ne m’y attendais pas du tout. Elle m’a mise face à une vérité à laquelle je n’avais jamais vraiment pensé. Je me focalise particulièrement sur les faits négatifs.

Pourquoi ?

La raison est très simple. Je ne m’attarde que sur ce qu’il y a à améliorer. Je suis obsédée par ce qui crée des obstacles, ce qui m’empêche d’avancer. Je refuse d’enfouir ce qui me blesse et pourrait me scarifier. Alors je mâche, puis je rumine aussi longtemps que possible pour rendre la chose digeste pour moi.

Et je m’exprime. Je raconte. Je me raconte pour comprendre. Et vous, vous lisez. Vous n’êtes pas toujours les destinataires de mes articles. Je suis ma première cible, car écrire me permet de réfléchir, de structurer ma pensée. Ecrire produit en moi une sorte de maïeutique : je ressors ce que j’essaie consciemment ou inconsciemment de me cacher, ce que je crois ne pas savoir.

Le côté négatif de tout ceci est que mes textes laissent souvent penser que j’ai une vie misérable. J’ai par exemple dû reprendre une personne qui, après avoir lu mon texte Violences familiales : je t’aime, je te hais !, a pensé que j’ai eu une enfance traumatisante. Non. Loin de là. J’ai eu une enfance très heureuse. Sauf que les faits négatifs survenus m’ont profondément marquée et méritent réflexion. Pour comprendre. Pour pardonner. Pour ne pas reproduire.


Cette nuit le petit humain n’a pas dormi. Du moins si, mais dans des positions qui m’empêchent de dormir moi. Il semble faire une régression et réclame un contact physique quasiment toute la nuit. Son berceau perd tout intérêt à ses yeux à partir de 19 heures, heure du coucher.

Après 3 nuits difficiles, je me suis levée ce matin les larmes aux yeux. Pourquoi ça ? Pourquoi moi ? Il a fallu être debout à 6 heures pour le bain du petit humain. Je n’ai pu faire ma séance de fitness avant d’aller au boulot. Je n’en avais pas l’énergie. Par ailleurs, la fille de la nounou n’allait pas très bien, alors elle a eu du retard. 

J’étais fatiguée. Epuisée. Morte.

Et le bébé qui ne se rendormait pas !

Pendant que je donnais le biberon au petit humain, j’ai regardé un épisode de la série Marlon. Une série hautement débile qui me permet de ne pas réfléchir, de m’évader. L’épisode portait sur Marlon et son ex-femme qui se demandaient s’ils devaient avoir des relations sexuelles histoire de se « dépanner ». Ils ont au final décidé que oui. 

Mais ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

Pour pouvoir passer la nuit ensemble, Marlon et son ex-femme ont fait garder les enfants par une amie, Yvette. Yvette n’a pas d’enfant et vit dans un appartement immaculé. Elle adore son style de vie et ne veut pas le perturber par la venue au monde d’un être qui lui imposerait une vie différente.

L’appartement d’Yvette m’a fait penser au mien il y a encore quelque temps. Immaculé. La couleur blanche dominait. Tout avait été pensé pour moi, et moi uniquement. Je me suis rappelée, le petit humain dans les bras, pourquoi je ne voulais pas d’enfant. Je me suis  rappelée que je voulais être ma seule priorité et ma vie était parfaite comme elle était.

Je ne voulais pas de nuit blanche. L’heure du coucher comme l’heure du réveil étaient clairement définis. Je ne voulais pas que mon emploi du temps soit perturbé par qui ou quoi que ce soit. Je savais ce que je voulais pour moi. Moi uniquement.

Ce matin, le petit humain dans les bras, j’ai réalisé pour la énième fois le sérieux de mon refus d’enfanter. Ce n’était pas un effet de mode, un caprice. C’est la vie que je voulais pour moi.

Je regardais mon enfant et je me disais « Je ne veux pas de cette vie. Je ne veux plus être fatiguée. Je veux dormir quand j’ai sommeil et me réveiller quand je suis reposée. Je ne veux pas vivre comme ça. »

J’ai eu un moment de culpabilité, puis je me suis dit « Fuck it, c’est exactement ce que je ressens ! Je ne peux ni me mentir. Je ne veux pas vivre comme ça ! » J’ai fait ma crise, j’ai purgé mes passions, je me suis avouée des choses qui feraient pâlir plus d’une maman. Puis j’ai serré le bébé dans mes bras et je lui ai dit à quel point je l’adore.

Vous me direz que je suis folle. Je vous dirais que c’est peut-être vrai, mais cette folie peut être expliquée.

J’ai appris à faire face au pire en moi, à ces choses que je ressens qui ne peuvent pas toujours être dites en public. Les accepter me permet de les comprendre, et donc de les gérer. Oui, je le dis, j’en ai marre d’avoir des nuits difficiles et je comprends tous les jours pourquoi je ne voulais pas d’enfant.

Je l’accepte, et ça me permet d’aimer mon enfant de manière plus saine.

La nuit, quand il se réveille, je me lève avec un soupir de désespoir. Mais une fois que je vois ses yeux qui brillent dans la pénombre, je sais que je n’aimerai personne autant que je l’aime lui. À ces moments-là, mêmes ses pleurs sont adorables. Je le prends dans mes bras et je lui fais des bisous. Il se rendort parfois immédiatement dans mes bras et se réveille dès que je le pose. Je le prends avec moi et je le couche sur ma poitrine, là où il semble être le plus à l’aise. La position est parfois inconfortable pour moi (n’oubliez pas qu’il est 3 heures du matin et je tuerais une armée pour dormir), mais le petit dort tellement paisiblement que mon inconfort perd son sens.

Tout pour lui.

Absolument tout pour lui.

Passer la moitié de la nuit assise s’il le faut, tant que ça le rend heureux et qu’il est apaisé.

C’est exactement ça.  

Reconnaître que je suis parfois excédée me permet d’accepter ce à quoi je fais face : des épreuves qui mènent à l’épanouissement du petit humain. Oui, parfois ça fait chier de ne plus être le centre de mon monde. Je le vis sans aucune haine et sans aucun regret. Pourquoi ? Parce que j’y fais face, je l’accepte. Ça rend la chose banale, facile à vivre.

Est-ce que le fait que je partage ces pensées négatives est un signe de la lourdeur de la parentalité dans ma vie ? 

Loin de là !

Oui, ce sont des réflexions à n’en plus finir. D’un autre côté c’est un monde que je découvre, un monde fascinant par sa complexité. Je n’éduque pas un enfant. Je m’éduque moi afin de pouvoir lui offrir le meilleur cadre possible. Je fais ce que j’aime le plus au monde : j’acquiers des connaissances au quotidien et ma base de données s’enrichit.

Par ailleurs j’apprends à connaitre une nouvelle personne. Une personne qui ne parle pas, qui grogne quand ça ne va pas et me laisse deviner quel est son problème. Est-ce qu’elle a faim ? Est-ce qu’il faut la changer ? Est-ce qu’elle en a marre de ma bouille ? Est-ce qu’elle souhaite juste s’exprimer, crier pour se relaxer ?

Je sais aujourd’hui que le petit humain n’aime pas rester dans son transat plus de 10 minutes. Il aime quand je lui chante des chansons, s’endort et se réveille dès que je me tais. Il aime quand on danse Ye de Burna Boy tous les 2 à travers la maison. Il aime dormir sur le ventre, couché contre ma poitrine. Il interagit mieux avec son père qui comprend mieux que moi les réclamations communiquées par ses pleurs. Il aime écouter son père lui parler dans la langue de sa tribu. Il le regarde perplexe, certainement amusé par la sonorité des mots.

Oui, tout ceci est féerique. J’accepte cette féerie et je la vis pleinement parce que je sais que ce n’est pas tous les jours facile. Je ne pleure certes plus, mais j’ai parfois les larmes aux yeux. Le plus beau est que je sais que cette étape passera. Le petit humain grandira et son envie de dormir contre ma poitrine me manquera.

 


Le négatif ne m’effraie plus.

Il fut une époque où je pensais que la vie ne valait la peine d’être vécue que si et seulement si tous les moments étaient idylliques. Je pensais qu’une fâcherie gâchait une amitié. Je pensais que dire Non faisait de moi une personne moins aimable.

J’ai appris à me connaitre. A comprendre qu’être une personne à tendance dépressive nécessite des éléments précis pour vivre une vie équilibrée. L’un de ces éléments est ne pas nier ce qui ne va pas. Au contraire, je dois aller vers ce qui ne va pas pour comprendre, évaluer la portée de la chose et sa potentielle incidence sur mon bien être. L’accepter comme faisant partie de moi pour pouvoir élaborer des stratégies saines pour rester à flot.

Depuis que j’ai accepté les aspects négatifs de la parentalité je n’ai pas connu d’épisode dépressif. Lorsque ça va mal je m’assois, je process et j’accepte. Je le dis si besoin est. Je purge mes passions pour maintenir l’équilibre. Je veux dormir la nuit, mais en même temps je veux voir les yeux du petit humain briller dans la pénombre. L’un ne va pas sans l’autre. Un inconvénient pour un bonheur indicible.

La parentalité fait mal. Physiquement et moralement. Mais, pour moi, elle vaut la peine d’être vécue. J’ai hâte de faire la connaissance du petit humain dans les prochaines étapes de sa vie. Me laissera-t-il lui faire autant de bisous possibles jusqu’à la fin des temps ? Ma nièce m’a interdit l’accès illimité à ses joues dès qu’elle a eu 2 ans. Mon cœur a été brisé.


Oui, je partage majoritairement le négatif.

C’est ce qui me permet de maintenir l’équilibre. Je ne cache pas ce qui va mal. Je me suis fait la promesse de ne plus rien enfouir en moi. Je veux être libre de me plaindre et d’aimer dans le même intervalle de temps. Aimer en prétendant que ce qui va mal n’existe pas c’est se faire du mal. Je ne veux plus me faire de mal.

Tout ne peut pas toujours être dit. Je ne partage ici qu’une fraction de mon existence. La vérité est que vous, lecteurs, ne savez quasiment rien de ma vie. Vous en savez beaucoup sur mes processus de réflexion, mais vous n’avez aucun détail de mon intimité. Ne vous limitez pas à ce que je dis ici pour peindre ce qui serait pour vous le tableau de ma vie. Ce n’est pas l’objectif. Le seul et l’unique objectif est la démystification du soi. Le reste ne compte pas.

Je vous laisse avec ceci, un cadeau du petit humain : le clip Ye de Burna Boy. Regardez-le, et surtout retenez bien que danser avec un bébé à 3 heures du matin alors qu’on donnerait tout pour dormir peut être aussi frustrant qu’exaltant. L’un n’annule pas l’autre. Au contraire, les 2 se complètent merveilleusement.

 

 

 

 

 

 

 


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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17 comments
  1. Ping : Aphtal
  2. La raison est très simple. Je ne m’attarde que sur ce qu’il y a à améliorer.L’article aurait pu s’arrêter là hein tellement c’est précis!

  3. Sauf que les faits négatifs survenus m’ont profondément marquée et méritent réflexion. Pour comprendre. Pour pardonner. Pour ne pas reproduire.J’ai applaudis hein mais dans ma tête!

  4. J’ai appris à me connaitre. A comprendre qu’être une personne à tendance dépressive nécessite des éléments précis pour vivre une vie équilibrée. L’un de ces éléments est ne pas nier ce qui ne va pas. Au contraire, je dois aller vers ce qui ne va pas pour comprendre, évaluer la portée de la chose et sa potentielle incidence sur mon bien être. L’accepter comme faisant partie de moi pour pouvoir élaborer des stratégies saines pour rester à flot.Une personne à tendance dépressive… Cette expression me parle énormément car ayant déjà tenté de me suicider… Et c’est grâce à toi que je peux regarder cette part obscure de moi même sans frémir Befoune…
    Merci

  5. et j’accepte. Je le dis si besoin est. Je purge mes passions pour maintenir l’équilibre.“Purger mes passions pour maintenir l’équilibre”… Est-ce possible de mieux formuler cela?? Je n’en suis pas si sûr!

  6. Ma nièce m’a interdit l’accès illimité à ses joues dès qu’elle a eu 2 ans. Mon cœur a été brisé.Holala cette petite n’est pas gentille du tout…

  7. Le seul et l’unique objectif est la démystification du soi. Le reste ne compte pas.Et merci à toi de nous aider à nous accomplir à travers tes textes. Tu ne peux savoir combien ma petite soeur Alida et moi même utilisons en permanence tes articles pour nous construire au quotidien.
    MERCI Befoune!

  8. J’ai appris à me connaitre. A comprendre qu’être une personne à tendance dépressive nécessite des éléments précis pour vivre une vie équilibrée. L’un de ces éléments est ne pas nier ce qui ne va pas. Au contraire, je dois aller vers ce qui ne va pas pour comprendre, évaluer la portée de la chose et sa potentielle incidence sur mon bien être. L’accepter comme faisant partie de moi pour pouvoir élaborer des stratégies saines pour rester à flot.Complètement vrai 👏🏾

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