« […] il devient une star, et il commence à briller dans l’art de ne pas avoir de talent. »
Xzafrane
Pour la première fois depuis que l’atelier d’écriture de Digressions a débuté, nous avons enregistré des abandons. 2 participantes sont parties en plein milieu de l’atelier. Je dois avouer que j’ai été particulièrement affectée.
Les échanges au cours de l’atelier poussent la majorité des participants à se demander s’ils sont vraiment faits pour écrire, s’ils en ont réellement les capacités et s’ils ont réellement envie de s’investir autant dans cette activité.
Écrire est difficile. Très difficile. C’est loin d’être un hobby, c’est la manifestation d’une mission que l’on s’assigne : éclairer à travers le partage de son savoir et son expérience.
Produire le texte à publier est la dernière phase de l’écriture. Ca peut sembler curieux, mais elle est la moins importante. Les efforts d’acceptation des limites de son propre savoir, d’acquisition de connaissances, de fact-checking, de synthétisation de sa réflexion autour du sujet choisi, de choix des éléments à inclure et à exclure pour la finesse du message et de prise de décision quant à l’angle d’attaque du sujet demandent parfois des semaines, des mois, voire des années de travail.
Beaucoup nous disent qu’ils souhaitent apprendre de Tchonté et moi en raison de la qualité de nos textes. Je ne suis pas née avec cette capacité à produire des textes de qualité. Je l’ai expliqué dans l’article Moi, Befoune, enseignante j’ai commencé à écrire vers l’âge de 5 ans. J’écrivais et je lisais partout, tout le temps.
Beaucoup pensent qu’il s’agit uniquement de vivre une expérience ou d’avoir une opinion et la partager. Nothing exists in a vaccuuum. Chaque argument doit avoir une base défendable et un but. Je le répète, écrire n’est pas un hobby, c’est une mission que l’on s’assigne, et le travail pour remplir cette mission est perpétuel. Il s’effectue partout et en tout temps. La prise du clavier et la production des mots ne sont que la conclusion du processus d’écriture.
Au cours de l’atelier j’accorde du temps aux participants pour qu’ils réfléchissent à la raison d’être de leurs écrits. Beaucoup ne comprennent pas l’importance cruciale de l’exercice lorsqu’il est donné, surtout qu’écrire leur est interdit durant cette période. Alors je leur dis que nombre de personnes qui veulent écrire ne veulent pas écrire.
Certains sont subjugués par la beauté des textes de ceux qu’ils lisent et veulent faire pareil. Il ne s’agit pas pour eux de remplir une mission. Ils veulent faire comme les autres et remplir leurs mains des mêmes lauriers qu’ils reçoivent. Aucune réflexion stratégique, il s’agit uniquement d’occuper la même place que quelqu’un d’autre.
Les efforts de cet autre semblent être voilés par ces seuls lauriers qui occupent le devant de la scène.
Hier soir (ça fera des jours au moment de la publication de cet article) j’ai regardé un documentaire sur le rap camerounais. Je me plains très souvent du fait que nous n’ayons pas de documentaire local informé présentant des archives et centré sur nos réalités.
Il était 22h, tout le monde dormait et j’étais livrée à moi-même. L’idée de départ était d’aller sur l’application de Arte pour voir ce qu’elle proposait. Au final je me suis retrouvée sur celle de TV5 Monde (une pépite pour ce qui est du contenu africain, don’t sleep on it !)
J’ai cliqué sur Les mélodies du Mboa de Yannick Mindja sans grand espoir. Je ne m’attendais pas à grand-chose et, comme chaque fois que je clique sur un contenu vidéo long-form, je me suis dit « Je lui accorde 10 minutes de ma vie pour me convaincre ! ». 1 heure et 25 minutes sont passées et j’en redemandais encore.
J’ai connu le rap camerounais en 1998-1999, j’avais 12-13 ans. Comme toute personne étroite d’esprit, je pensais que c’était un phénomène nouveau parce que moi je venais de le connaître (évitons d’utiliser des verbes comme découvrir, nous ne sommes pas des Fernando Po !).
J’ai été introduite à cette « nouveauté » par l’animateur Nabil Fongod qui avait une émission tous les samedis après-midi à la radio. J’étais fascinée par ces sonorités nouvelles qui alliaient bikutsi, makossa, bendskin et hip hop. La férue de musique que j’étais et demeure était aux anges. Je me revois me trémousser dans la cuisine, seul endroit de la maison où il y avait une radio parce que ma mère l’écoutait en faisant à manger.
Le nom de la maison de production Mapane Records résonnait en moi parce qu’à cette époque le mot franc-anglais mapane avait une grande importance pour moi. Un mapane est un sentier qui fait office de raccourci, par contre aller dans les mapanes signifie aller « faire ses trucs personnels » qu’il s’agisse d’aller voir son mec ou sa meuf, bringuer, sortir avec ses amis … Les mapanes représentaient un univers personnel qui ne pouvait pas toujours être expliqué par des mots, et l’adolescente incomprise que j’étais y trouvais refuge. Mapanes Records faisait partie de mes mapanes.
Zomloa Familia, Ra-Syn, Ak Sang Grave, Bantou Po-si avec Final D, VBH, Franky P, Big B-Zy, Charlotte Dipanda (qui chantait des refrains de chansons Hip-Hop), Krotal, Sydney… Ces noms étaient des fenêtres vers un monde qui ne semblait pas nous être destiné : une musique « jeune » de chez nous avec nos codes, notre langage, nos réalités. Je me reconnaissais dans les paroles et danser sur des chansons qui célébraient Douala, Yaoundé ainsi que des petites villes comme Makak me procurait un sentiment indescriptible.
Un rappeur a particulièrement retenu mon attention, Krotal. Il alliait rap et chant d’une manière extraordinaire. Ce qui me fascinait le plus était de savoir qu’il n’avait pas la tête vide. Les rappeurs étaient présentés comme des délinquants de quartier difficile, et il prouvait le contraire. Il a fait des études en sciences économiques en France (le sommet à l’époque), mais n’avait pas cet air de frime de ceux qui ont eu cette opportunité.
Je me disais « Mais pourquoi il se limite à cette activité, il aurait pu faire tellement d’autres choses ». La musique à l’époque c’était pour les ratés et tous les parents s’activaient pour éloigner leurs enfants de ces rêves de Hip-Hop nés de la montée en puissance des événements rap à travers les villes. Pourquoi Krotal issu d’une famille aisée (il était en France !) choisissait-il d’être un raté ?
Le temps est passé et je me suis détournée du Hip-Hop camerounais. Il ne s’agissait plus que de fesses et de seins. Les paroles engagées qui criaient et décriaient la misère de la jeunesse avaient disparu. Seuls des rappeurs tels que Jovi avec son label New Bell Music continuent de porter le flambeau du rap engagé, mais à quel prix ?
Krotal est revenu sur mon radar après ma rencontre avec Hugo Steeve plus connu sous son nom d’artiste Leggo Leggo dans les années 2013-2014. Je ne me souviens plus du tout comment je l’ai rencontré. Il travaillait avec Krotal sur un nouveau concept, Ndabott Family.
A l’époque je me suis dit « Krotal n’a définitivement pas évolué. Il ne veut vraiment pas s’en sortir. Il chante encore ???? ». Malgré la beauté des chansons du collectif, je ne comprenais pas pourquoi à 40 ans passés Krotal ne voulait pas « grandir ».
J’ai finalement compris grâce au documentaire Mélodies du Mboa.
L’histoire du rap camerounais est profonde, lourde de sens et de combats. Inspirée par les groupes de danse et de hip-hop américains et français dans une moindre mesure, les jeunes camerounais souhaitaient s’exprimer, être vus et entendus.
Le rejet a été grand. Toutes les porte leur étaient fermées, les radio et télé nationales refusaient catégoriquement de diffuser leur travail, les studios d’enregistrement refusaient de leur ouvrir leurs portes ou de baisser leurs prix pour ces jeunes de quartiers difficiles très souvent sans argent. Les stars locales refusaient d’accepter ces sonorités qui leur semblaient plus relever du bruit qu’autre chose.
Vous me direz que la majorité des jeunes chanteurs ont vécu ces épreuves. Je répondrai que dans un contexte dictatorial, traditionnel et gérontocratique, tout est 7515 fois plus difficile lorsqu’on a moins de 40 ans et qu’on n’est l’enfant de « personne ».
Krotal a vécu les débuts du rap camerounais et il est de ceux qui ont moulé le domaine. Il fait partie des puristes qui souhaitent que l’industrie soit ludique tout en éveillant les consciences. Dans un contexte où les fesses, les seins et les insultes sont au cœur des célébrités, il est parmi ceux qui nous rappellent pourquoi les rappeurs ont lutté et pourquoi ils doivent préserver leur art.
Eto’o Fils n’aurait jamais été riche si Roger Milla n’avait pas accepté d’être pauvre à son époque.
Cette phrase que je me dis souvent me permet de garder les pieds sur terre dans de nombreux domaines. Si Roger Milla et ses compères n’avaient pas mis leur talent au service de la nation et de la beauté du jeu sans rien attendre en retour, le football camerounais n’aurait bénéficié d’aucune lumière et personne ne serait allé au fin fond d’un quartier difficile comme New Bell (ce même quartier dont le label de Jovi porte le nom) pour chercher des talents du ballon rond.
Eto’o Fils est humain, il a fait beaucoup d’erreurs de parcours. Il est adulé pour son talent et méprisé pour ses frasques. Il est globalement peu respecté au Cameroun. J’en parlais un jour avec le papa du petit humain et il m’a dit ceci :
Eto’o devrait être considéré comme un héros national au Cameroun. Il gagne des milliards dans des pays étrangers grâce à son talent, mais il n’hésite pas à porter les couleurs nationales pour jouer dans des compétitions où son avenir professionnel est à risque. La qualité du gazon est douteuse sur les terrains, le plateau médical ne saurait peut-être pas le remettre en forme comme il faut en cas de grosse blessure… il peut tout perdre en 5 secondes à cause des conditions de jeu qu’il accepte pour pouvoir jouer pour son pays. Est-ce que le Cameroun est en mesure de le dédommager si c’est le cas ?
Beaucoup voient Eto’o et veulent être comme lui. Ils ne sont pas prêts à s’entrainer autant que lui ou à prendre les mêmes risques que lui, mais ils veulent jouir de la même gloire que lui. Ce type de personne ne comprendrait pas la phrase au début de cette partie : Eto’o Fils n’aurait jamais été riche si Roger Milla n’avait pas accepté d’être pauvre à son époque.
Pour en revenir à la musique camerounaise, les stars de la musique urbaine d’aujourd’hui se focalisent sur le buzz. Fesses, seins, insultes. Il faut des like et le peuple aime le sale. On contribue à abêtir la population ? Ce n’est pas bien grave ça donne de l’argent.
La raison d’être de l’art à sa conception est perdue. Les nouveaux pseudo-riches grâce à la musique urbaine osent clasher des aïeuls de l’industrie parce qu’ils ont moins de vues sur YouTube, sont moins streamés sur Apple Music, ont moins de followers sur Instagram et ont moins de bling qu’eux. Des artistes dont la réflexion ne va pas plus loin que les fesses nues des femmes se croient supérieurs à des rappeurs comme Ak Sang Grave qui ont donné une voix aux jeunes et un sens à l’industrie.
Sans ces « pauvres rappeurs obsolètes », ces nouveaux-pseudos riches n’auraient jamais existé. Le plus beau est qu’à l’allure à laquelle ils vont, ces nouveaux noms de la scène camerounaise détruiront cette musique urbaine qu’ils prétendent mettre en avant. Vous souvenez-vous de la citation qui introduit cet article ? Elle est tirée du documentaire Mélodies du Mboa et elle est de Xzafrane, l’un des aïeuls dont j’ai parlé précédemment :
« […] il devient une star, et il commence à briller dans l’art de ne pas avoir de talent. »
Tout ceci nous ramène à l’atelier d’écriture dont je parlais au départ.
Certains décident d’y participer parce qu’ils pensent que j’ai une formule magique qui leur permettra d’écrire des textes qui les propulseront vers les like et la célébrité. Ils se fichent de savoir le rôle de l’écriture dans la société, du combat des blogueurs pour être acceptés et respectés, du travail de fond que je fais à mon niveau pour un blogging éthique, respectueux et surtout utile.
Ils se fichent encore plus du travail à faire sur sa propre personne pour accepter de donner de son temps et de son énergie gratuitement pour éveiller les consciences ou déchaîner l’humain comme j’ai décidé de le faire. Ils ne pensent que partenariats et photos quitte à détruire le domaine. Les efforts de ceux qui ont précédé et qui ont fait du blogging un secteur plus ou moins respecté ne comptent pas. Au contraire ils sont moqués : ils n’ont pas compris que seuls les fesses et les seins comptent. Ils resteront donc pauvres toute leur vie.
Beaucoup de choses changeront en ce début d’année. Tchonté et moi-même entamons une nouvelle étape de nos vies, alors nous avons décidé de mettre l’atelier en stand-by le temps de prendre la mesure de notre quotidien.
Lorsque les inscriptions pour la nouvelle session seront ouvertes, je vous prie de ne pas vous y inscrire si vous préférez être des Franko plutôt que des Jovi. Ne vous inscrivez pas si vous comptez me faire perdre mon temps. Ne vous inscrivez pas si vous êtes de ceux qui rêvent de célébrité plutôt que de changement.
Oh j’ai failli oublier ! Les participants à la session précédente ont insisté pour que je vous demande de ne pas vous inscrire si vous avez le cœur fragile : il parait que je suis trash.
Photo : Lucas Da Miranda
PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !
Digressions n’a aucun compte sur les réseaux sociaux, une situation qui n’est pas près de changer. Pour vous tenir informés des activités ici, abonnez-vous au blog, tout simplement.
Je suis disponible par mail à l’adresse mesdigressions@gmail.com et sur Instagram à @c_befoune.
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2 comments
J’ai pris une heure de mon temps pour lire cet article, l’analyser, le décortiquer. J’effectuais une pause à chaque référence citée pour y jeter un coup d’œil puis je revenais à la lecture. J’ai regardé toutes les vidéos YouTube et écouté plusieurs titres de Xzafrane. Je découvre tous ces chanteurs.
Concernant l’atelier d’écriture, j’ai retenu que le plus difficile n’était pas d’écrire mais d’accepter de lire du contenu utile, de s’informer, de se documenter sérieusement avant de prétendre lever sa plume et poser des mots sur le papier. (Oui on écrit sur l’ordi mais ma phrase était stylée donc je la garde ^^). Personnellement, mon objectif était d’apprendre les principes fondamentaux à suivre pour bien écrire. Même si mon but n’était pas d’être une star du blogging, je ne m’étais pas rendue compte de l’ampleur du travail indispensable pour écrire.
Mon objectif n’était pas de sortir de l’atelier avec des textes parfaits, tous beaux et bien écrits mais de comprendre les leviers sur lesquels je dois travailler et la voie à emprunter pour arriver à produire des textes qualitatifs. Et j’en suis totalement satisfaite car je ressors de cet atelier grandi.
Je trouve ton article tellement intéressant. Je ne sais absolument rien de la musique camerounaise en général encore moins du rap camerounais. J’ai été épatée par les informations partagées sur le sujet. Mon rapport avec la musique a toujours été de l’écouter, de chanter et danser. Il serait peut-être grand temps de m’informer un minimum sur ce qui me fait danser autant ^^.
Ce que tu évoques ici me fait penser aux propos de M. Philippe SIMO quand il parle de la jeunesse actuelle qu’il qualifie de »génération micro-onde ». Celle qui veut tout, tout de suite, maintenant. Les réseaux sociaux jouent une très grande part sur nous, notamment avec Instagram qui ne nous fait voir que le beau qui souvent, peut être le résultat de 10 ans de travail des personnes qu’on
semble tant admirer voire jalouser.
J’ai beaucoup aimé cet article et je pense que je le relirai plusieurs fois pour m’en imprégner davantage.
Oooooooooh ! Tu as écouté Xzafrane !!!! Je suis trop conteeeeente !!!