Faut-il résister au changement ?
Il y a quelques années, plus précisément en 2012 lorsque je suis passée au naturel, j’ai commencé à suivre de nombreuses YouTubeuses qui proposaient des tutoriels coiffure, des revues de produits et tout ce qui va avec. Je les suivais autant sur YouTube que sur Instagram, et parfois Facebook.
Au fil des années, certaines disparaissaient des radars, ce qui m’énervait vraiment. CharyJay par exemple était l’une de mes préférées, et j’ai été affectée par le fait qu’elle propose de moins en moins de contenu. Puis un jour elle a osé couper ses cheveux. La première question qui m’est venue a été Mais a-t-elle pensé une seule seconde à nous qui la suivons ? Il n’était plus possible de s’inspirer de ses coiffures pour réaliser les nôtres. Une catastrophe !
J’étais passionnée par tout ce qui touchait au naturel et incollable sur les propriétés des huiles essentielles et végétales. J’avais testé une très large gamme de produits et était à même de recommander les meilleurs et de mettre en garde contre les pires. Puis la beauté m’a de moins en moins intéressée. Les frasques de CharyJay et des autres ont perdu de leur importance. Je me suis plongée dans tout ce qui est engagement citoyen.
Cette période a été belle. J’étais passionnée par ce que je faisais et je créais de la valeur. J’ai eu des collaborations incroyables avec des organisations et des médias qui étaient pour moi inaccessibles. J’ai rencontré des gens merveilleux et j’ai parcouru le continent de long en large. Puis en 2018 je me suis lassée. J’aspirais à davantage, à mieux. A autre chose de plus profond, de plus utile, mais aussi de moins tape à l’œil. J’en avais marre d’être sous les feux des projecteurs.
Lorsque ces blogueuses naturelles dont je parlais au début changeaient de direction, je dois avouer que je les critiquais vivement. Mais pourquoi changer de ligne éditoriale alors que moi j’avais envie qu’elles continuent de faire exactement la même chose que d’habitude ? Pourquoi certaines disparaissaient-elles des radars alors que je n’étais pas encore lassée de leurs vidéos ? Mais pourquoi ?
On dit très souvent qu’il faut marcher dans les chaussures des gens pour les comprendre. Mon expérience en 2018 m’a permis de comprendre que mes critiques envers ces femmes n’étaient pas fondées. Je ne savais rien de leur histoire personnelle. Quoi qu’on puisse dire et quoi qu’on puisse penser, quelle que soit l’audience qu’on a pu rassembler autour de soi, les activités évoluent selon l’histoire personnelle de chacun.
Ce matin j’ai regardé une vidéo d’Enjoy Phoenix, une YouTubeuse française très célèbre qui parlait beauté et maquillage. La vérité est que je ne regarde plus du tout ce type de vidéo, mais le titre m’a interpellée : Pourquoi je ne vais plus recevoir de produits de la part des marques. Le titre m’a intéressée parce que tout le travail d’Enjoy Phoenix a toujours reposé sur les revues de produits. Alors que ce passait-Il ?
Je vous passerai les détails de la vidéo, je vous dirai juste que ses raisons montrent une très belle évolution personnelle. Elle s’intéresse à présent entre autres à l’écologie et au recyclage, du coup avoir des tonnes de produits n’est pas en ligne avec la personne qu’elle est devenue. Elle a commencé les tutoriels de maquillage il y a 7 ans, et aujourd’hui elle n’est plus qui elle a été à ses débuts. Elle a changé. Elle a grandi. Elle a mûri. Alors tout autour d’elle change et son univers ne peut plus être le même.
Il est difficile d’accepter que les gens changent, surtout lorsque nous bénéficions des fruits de la personne qu’ils étaient. Les histoires de vie n’intéressent pas lorsqu’elles ne sont pas en ligne avec nos besoins. J’ai lu les commentaires au bas de la vidéo d’Enjoy Phoenix. Elle a reçu beaucoup de soutien, de nombreuses personnes ont apprécié son évolution et son souci pour l’environnement. Mais d’un autre côté elle a été vivement critiquée. Elle semblait se plaindre de ce qui a fait sa célébrité. Malgré la noblesse de ses raisons, elle a été accusée de cracher dans la soupe.
Lorsque j’ai décidé de me retirer de l’activisme politique, j’ai reçu du soutien, mais aussi des critiques. Mon texte Influenceur : célèbre et inutile ! a soulevé des débats intéressants : elle critique qui elle a été. La vérité est que le chemin qui m’a mené à certaines de mes convictions actuelles n’est pas pris en compte. Tout comme l’essence de mon discours à l’époque. Mais, comme on le dit en anglais, « Let’s not dwell on it. ».
De tous les commentaires reçus, un seul m’a vraiment marquée. Un appel téléphonique. La personne m’a dit qu’il était impossible pour Elle Citoyenne de mourir. Je devais soit continuer, soit passer le flambeau à quelqu’un qui continuerait le travail. Selon cette personne, j’avais travaillé trop dur et j’étais allée trop loin pour me permettre d’arrêter là. Ce qu’elle ne savait pas c’est que cet argument a failli me maintenir dans une activité qui en était venue à me dégoûter. Heureusement, j’ai réussi à le démonter toute seule, comme une grande.
Aujourd’hui mes pieds sont dans les chaussures de ces YouTubeuses que je critiquais vivement il y a quelques années. Je les comprends, et surtout j’ai du respect pour la force mentale qu’il leur a fallu pour tourner le dos à une activité qui a fédéré des millions de gens autour d’elles. Soit elles s’accrochaient à ces chiffres et mettaient un stop à leur vie jusqu’à la fin des temps, soit elles acceptaient que ce n’était qu’une phase dans une vie, et le meilleur restait à venir. J’ai eu du mal à m’en convaincre, mais aujourd’hui je sais que le meilleur reste à venir.
Que serait devenue CharyJay si, comme je le voulais, elle avait persisté dans les tutoriels coiffure, pourtant aujourd’hui je me fiche royalement de mes cheveux et je n’accorde plus aucune importance à la hype autour des marques de produits ? Elle aurait mis un stop à sa vie, elle aurait persisté dans une activité sans plus aucun intérêt pour elle parce que je l’exigeais. Puis, un jour, je lui aurais tourné le dos parce que mon histoire personnelle à moi m’aurait menée vers autre chose. Qui aurait été perdante dans l’histoire ?
Je me suis défaite de tous mes engagements dans le cadre de l’activisme politique. Cette année je n’ai qu’un seul voyage de prévu dans ce domaine, et il est ficelé depuis l’année dernière. Je n’écris plus sur la politique. Je ne tweete plus. Je ne poste plus sur Facebook. Je ne partage plus mes avis, si ce n’est sur Instagram, et uniquement lorsqu’ils sont en ligne avec un livre que je présente dans mes stories. Tout a une fin, et je suis enfin en paix avec la fin de cette étape de ma vie.
Certains m’ont parlé du vide que je laisse. En réalité je ne laisse aucun vide. Mais alors aucun. Elle Citoyenne ne publie plus d’articles, ça n’empêche pas les gens de se forger des opinions plus ou moins informées. Je ne parle plus sur Twitter, mais ça n’a aucun impact sur le débat général. La nature a horreur du vide, elle le comble très vite. Une fois que cette réalité est acceptée, le détachement est facile qu’il s’agisse d’éléments animés ou inanimés. Je ne manque pas à la scène citoyenne, et j’ai vu émerger de nouvelles personnes qui font un boulot très appréciable. Le but n’est pas que je fasse le travail. Le but est qu’il soit fait. Et je peux vous assurer qu’il l’est.
Vous savez tous à quel point j’ai horreur du changement. Par contre s’il y a une chose que je déteste plus encore, c’est être guidée par la peur, la peur de ne plus être qui j’ai été. Si je reste qui j’ai été, alors celle que je peux me donner les moyens d’être ne sera jamais. Tout ça parce que j’aurais eu la prétention de croire que ce que je fais est tellement génial pour le monde que personne d’autre ne peut faire mieux.
Aujourd’hui je n’écris plus que sur Digressions. Je n’écris pas pour avoir une grande audience, la preuve, je ne médiatise pas mes articles via les principaux canaux, Facebook et Twitter. Je me limite à Instagram où j’ai une toute petite communauté qui maintien un débat sain autour de mes réflexions. Les articles ne sont reçus que par ceux qui sont abonnés au blog et qui les partagent s’ils y trouvent de l’intérêt.
J’écris pour réfléchir, mais aussi pour toucher ceux qui en ont besoin, qui se posent autant de questions existentielles que moi, et surtout qui comprennent ce que je dis et qui peuvent débattre sainement. Je n’ai plus la force de défendre mes points de vue face à des mecs (et des meufs) qui sont derrière leur clavier pas pour raisonner, mais pour blablater. Je n’ai plus la force de chercher à prouver que mes textes ont un intérêt. Ils n’en ont que pour ceux qui leur trouve de l’intérêt sans mon action ou mon intervention.
J’en suis à cette étape. Je fais de moi un chantier, et je fais de mes écrits des briques. On n’a pas besoin de followers pour construire une maison. Ce dont on a besoin c’est de personnes qui savent ce qu’est un bon parpaing et qui peuvent vous dire en toute franchise que votre mur n’est pas droit.
Pour le moment, le reste ne m’intéresse pas.
Photo : Matheus Nathan
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