Vouloir ou ne pas vouloir, telle est la question

9 minutes

Peut-on vouloir sans vouloir tout en voulant ?

J’ai terminé il y a quelque temps la lecture du livre Linchpin : Are You Indispensable de Seth Godin. Je vous en ai parlé dans l’article Sortir de la cuisine : plus facile à dire qu’à faire.

Le thème principal du livre est le travail. Comment être des artistes dans nos domaines d’activités, des personnes qui brisent les codes, s’affranchissent des enseignements destinés à les mouler d’une certaine manière et finissent par exceller grâce à leurs particularités.

Dans ce livre l’auteur parle des méfaits de l’éducation scolaire et académique. Il précise bien (et je suis du même avis) que l’école a une grande importance dans le développement intellectuel. Le problème est ce qui y est enseigné et la manière de l’enseigner. L’école n’a pas changé depuis l’époque de la révolution industrielle, époque où on avait besoin d’employés-machines qui ne réfléchissaient pas et effectuaient une seule tâche pendant des années.

C’était ça la réalité du travail dans les usines. La moindre prise d’initiative pouvait bousiller toute la chaîne de travail. Si la personne dont le rôle était de mettre les piles dans une boîte décidait de le faire différemment, sa différence pouvait ralentir la cadence du travail de la personne chargée de fermer les boîtes et ainsi de suite. Une prise d’initiative d’une seule personne pouvait être fatale pour tout un business.

Malgré toutes les évolutions tant économiques que sociales, l’école a conservé les caractéristiques de la révolution industrielle. L’élève ne doit pas réfléchir. Il doit retenir ce qui lui a été dit et le rendre tel quel à son professeur durant les évaluations. Sinon il est voué à l’échec scolaire. Celui qui veut sortir de ce cadre est immédiatement remis à sa place avec des « Ce n’est pas comme ça ici ! » ou des « Tu ne réussiras jamais de cette façon ! »

Cette manière d’enseigner associée à la montée en puissance de la créativité dans le monde du travail crée très souvent des êtres hybrides parce qu’exposés à ces réalités contraires. Ces hybrides ont été formatés pendant des années, et une fois « libérés » ils souhaitent laisser la place à leur créativité, ce qu’ils arrivent à faire d’une certaine manière. Sauf que malgré la libération de cette créativité, ils continuent d’avoir besoin de directives parfois aussi claires qu’absurdes pour évoluer dans leur travail. Sinon ils sont bloqués.

Ils veulent être des créatifs sans vouloir être tenus par la main comme des enfants, tout en voulant être tenus par la main comme des enfants.

Cette tournure sera aisément comprise par celles et ceux qui ont connu le travail de l’humoriste camerounais Essindi Mindja.


Si la réflexion est poussée un peu plus loin, elle peut être appliquée à l’éducation autre que scolaire et/ou universitaire. Elle peut être appliquée à l’éducation familiale et sociale, car elle aussi fait de nombreuses personnes des gens qui veulent sans vouloir tout en voulant.

Prenons le cas de la femme. 

Deux messages contraires lui sont envoyés de sa naissance à sa mort.

Elle est généralement élevée pour être aussi soumise et utile à l’homme que possible. Elle doit être parfaite au niveau du ménage, de la cuisine et de l’éducation des enfants. Elle doit être obéissante et ne doit pas faire d’histoires car elle ne doit pas être une source de stress pour « son » homme. Son rôle est d’être aussi complaisante que possible pour qu’il ne pense jamais à la quitter. Il peut la tromper, ça c’est gérable. Mais il ne doit pas éprouver le désir, la volonté ou le besoin de la quitter. Une rupture (vu comme un abandon) est l’échec suprême.

Généralement la femme doit dépendre de « son » homme parce qu’elle a besoin de nourrir son sentiment de grandeur. Chez les Juifs hardcore par exemple, l’une des règles est que la femme doit s’arranger pour que l’homme se sente comme un roi lors des relations sexuelles (avez-vous regardé la série Unorthodox ?). En gros le rôle de la femme est d’être obéissante, utile, disponible et soumise à son homme ; elle doit également l’aider à se sentir important pour l’équilibre de leur union.

Un message contraire est parallèlement envoyé à la femme. Elle doit être indépendante, ne doit pas compter sur les hommes, doit se développer par ses propres moyens et prendre les rênes de sa vie. Il arrive parfois qu’au cours du processus éducatif, les parents exigent de leurs filles à la fois l’asservissement et l’indépendance. « Si tu te lèves tard ne sais pas cuisiner et tenir ta maison aucun homme ne voudra de toi chez lui car tu ne le satisferas pas. » Il leur est dit en même temps « Vas à l’école et aies de bons résultats, ne dépends jamais d’un homme, ton travail est ton premier mari. »

Peut-être que nous sommes à une ère charnière de l’évolution de la femme raison de ces déséquilibres. Toujours est-il que cette situation crée des comportements parfois discutables, mais compréhensibles si on mène une réflexion froide et sans jugement.

Une femme peut effectivement finir par avoir des désirs contraires. Elle peut vouloir être au centre de la vie amoureuse d’un homme mais ne pas vouloir trop en demander et finir par s’effacer pour le laisser avoir ce que j’appellerais des vies parallèles. Une femme peut vouloir être indépendante et vouloir dépendre d’un homme. Et elle peut vouloir avoir des enfants et ne pas vouloir en avoir si le mec n’est pas dans le même état d’esprit… puis vouloir en avoir encore une fois que le mec a changé d’avis. 

Oui, une seule et même personne peut vouloir tout cela au même moment sans se sentir perturbée parce que dans sa réalité tout cela est normal si c’est ce qui lui a été appris et/ou martelé au quotidien de manière subliminale ou non.

Il en va de même pour les hommes car ils reçoivent tout autant de messages contraires, surtout de nos jours ou la place de l’homme dans le foyer et dans l’éducation des enfants est repensée et remodelée. Un homme peut vouloir être marié et vouloir vivre une vie de célibataire coureur de jupons en même temps sans se sentir perturbé. Tomber sur une femme prête à le vouloir pour elle… tout en ne voulant pas qu’il se sente emprisonné est la situation idéale pour le fleurissement de ces désirs contraires. 

Je l’ai dit au départ, il n’est possible d’avoir ce regard que si on observe sans jugement et sans vouloir se faire une opinion.


La question que tout ceci soulève, question assez philosophique je l’avoue, est qu’est-ce qui contrôle les désirs, les volontés et les envies ? 

Je m’attelle par exemple au quotidien à me libérer des chaînes forgées par mon éducation ou  mon histoire qui me poussent à adopter certains comportements qui ne me sont pas forcément bénéfiques, mais suis-je vraiment en mesure de dire que les nouveaux comportements adoptés ne sont pas dictés par autre chose que moi-même ? Cet article du New York Times intitulé The End of Babies a cristallisé cette réflexion dans mon esprit.

Toute personne est majoritairement le fruit de son histoire personnelle, de l’histoire de ses parents (qui sont eux aussi le fruit de celle de leurs parents et ainsi de suite), des tendances sociales de son époque, des personnes qu’elle côtoie et du contenu qu’elle consomme.

Mon propos n’a en aucun cas pour objectif de dédouaner certains de leurs actes, de les présenter comme des victimes de leur temps. Mais on ne peut par exemple condamner un tueur en série sans étudier sa vie et ses dynamiques au cours de son procès. Raison pour laquelle les jurés sélectionnés le sont selon des critères qui attestent de leur objectivité envers le condamné, son histoire et les faits.

Je tiens à préciser que tout tueur en série étudié a vécu à un moment de sa vie une situation hautement perturbante qui lui a ôté tout sentiment de culpabilité face au meurtre. L’histoire de Ted Kaczynski est par exemple fascinante (oui, je digresse). Lui qui était un bébé souriant et jovial a perdu toute notion d’attachement lorsqu’il est tombé malade et a été enfermé tout seul dans un hôpital sans aucune visite pendant des semaines. Il n’était encore qu’un tout petit garçon, mais cette expérience loin des siens et de toute chaleur l’a brisé à tout jamais.


Réfléchir sur l’humain est l’une des activités les plus intéressantes qu’il m’ait été donné de pratiquer. Les perspectives qui s’ouvrent à moi sont grandes, et ma tendance à juger autrui en ne me basant que sur ce que je vois sans tenir compte de ce que je ne sais pas est fréquemment challengée. 

Je vous recommande cet exercice. Il vous permettra de cesser de vous agiter chaque fois qu’une histoire considérée comme fumante vous est offerte, et chaque fois que des personnes plus ou moins innocentes sont jetées en pâture. 

Réfléchir sur l’humain accroît la tendance à l’empathie.


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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4 comments
  1. On pourrait aussi parler de ces hommes qui veulent une femme au foyer ET une femme indépendante.
    C’est compliqué!
    Quand on ne sait pas ce qu’on veut, on part dans tous les sens. C’est la cacophonie!

  2. Depuis un mois, j’ai une cousine qui ma rejoint dans mon boulot et cette phrase « Ils veulent être des créatifs sans vouloir ne pas être tenus par la main comme des enfants, tout en voulant être tenus par la main comme des enfants. » résume bien son comportement. Mon problème, je ne sais pas comment l’aider.

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