Oui, je vous juge tous autant que vous êtes !

12 minutes

Si j’étais née sous d’autres cieux, j’aurais pu être extrémiste.

Une question m’a été posée récemment au cours d’une soirée : « À quel point es-tu ouverte d’esprit ? ».

Fort heureusement, je connaissais déjà la réponse (parce que, bien évidemment, je me suis posée cette question) alors elle a été facile à donner. Je ne suis pas du tout ouverte d’esprit. Ce n’est pas très glorieux, mais je juge énormément. Tout et tout le monde.  C’est la raison pour laquelle mon premier avis n’est quasiment jamais donné. Jamais jamais. Je ne partage généralement que mes deuxièmes ou troisièmes avis. 

Ça peut paraître bizarre n’est-ce pas ? Il m’a fallu des années pour y arriver. 

J’ai longtemps été une personne très négative qui souffrait d’un énorme complexe d’infériorité, alors je critiquais tout négativement pour que tout soit rabaissé à un niveau inférieur à celui que je pensais être le mien. Aujourd’hui encore, j’ai des amis de longue date qui réfléchissent à 2 fois avant de me faire certaines confidences qui leur tiennent à cœur.  Elles sont encore habituées à l’ancienne configuration, bien qu’elle soit dépassée depuis des années : moi qui slay tout à longueur de journée.

Le travail sur ma personne m’a permis de comprendre 3 choses : je ne suis inférieure à personne, je n’ai pas été mise au monde pour faire mal aux gens à travers mes mots, mes avis ne sont pas toujours les bons. Malheureusement, on peut faire tout le travail nécessaire et imaginable sur soi, mais on ne peut tout changer. Parfois il suffit d’un rien dans une vie pour retourner à la case départ. Je reste négative par beaucoup de côtés.

Je suis celle qui défile sur son fil d’actualité sur les réseaux sociaux et qui décide qu’une personne est idiote à cause d’un point de vu que je juge erroné. Je suis celle qui trouve que lorsqu’on a un certain type de morphologie, on devrait éviter un certain type de fringues. Je suis celle qui pense que laisser ses enfants faire ci ou ça c’est être totalement irresponsable envers eux.

Lorsque je vais mal, c’est encore pire. Le bonheur des autres m’énerve. Je vais immédiatement downgrade toute annonce qui me jette au visage ma condition du moment (les relents du complexe d’infériorité). Je vous fais un petit aperçu ? Untel a eu le job de ses rêves alors que je végète où je suis ? De toute façon on sait tous que c’est un scam et il se cassera la gueule ou il va ! Untel a trouvé un appartement génial alors que j’en ai marre du mien et je veux le changer ? Est-ce qu’il saura même l’entretenir comme il faut ? Untel nous crie son amour pour sa moitié sur les réseaux sociaux ? Tout ça ce n’est que du virtuel, ça doit être vraiment dur au quotidien pour qu’il veuille nous convaincre du contraire !

Bien que je me sois rendue compte de cette réalité lorsque j’ai décidé de de tout raser et repartir de zéro, je ne m’apercevais pas toujours compte que je replongeais parfois, et de manière très violente. Lorsque le questionnement et les doutes m’envahissent, je peux devenir une personne méchante gratuitement. Je ne cherche que le côté négatif de tout. Il semble ne pas exister ? Alors je me sers des « vérités » générales, celles qui arrivent à nous convaincre qu’au final personne n’est heureux et tout va forcément mal.

Il m’a été très simple de décider de réduire l’impact cet état de chose. Ce qui a été difficile à subir c’est la méthode que j’ai adoptée. Elle est douloureuse parfois. Lorsque je me rends compte que je slay pour rien, je me force à lister 3 choses positives dans la situation ou chez la personne que je viens de critiquer négativement.  Je vous fais une démonstration :

Untel a eu le job de ses rêves alors que je végète où je suis ? De toute façon on sait tous que c’est un scam et il se cassera la gueule ou il va ! (1) Oui mais en même temps les recruteurs ne sont pas forcément tous stupides, cette personne a certainement quelque chose qu’ils recherchent : si ce ne sont ses compétences, ça peut être son carnet d’adresses qui, il faut l’avouer, est fourni. (2) Cette personne s’est mise en avant d’une manière qui l’a mise sous les yeux de gens clé, le scam c’est aussi beaucoup de stratégie, un atout non négligeable. (3) Au lieu de perdre mon temps à me soucier des choses dont je ne connais aucunement le fond, je ferai mieux de me mêler de ma vie qui n’est pas au beau fixe en ce moment !

Untel a un style vestimentaire discutable ? (1) Ce n’est pas tout le monde qui a le courage d’oser, il l’a fait, et c’est louable. (2) Mon avis ne compte absolument pas, et sur cette photo il a l’air au top de sa forme : que demander de plus ? (3) C’est bien beau de critiquer les fringues des autres quand on a de la lessive en attente et qu’on est en mode « créatif » pour trouver dans son armoire vide des fringues qui vont ensemble ! 

Oh ! Si vous n’aviez pas compris, tout cela se passe dans ma tête. Je peux vous assurer que les discussions que j’y tiens sont folles !

La méthode des 3 points positifs (2, puis 1 slay sur ma propre personne) fait mal. Elle permet de recentrer la réalité même lorsque je suis au plus bas. Elle me permet de réaliser une fois de plus qu’à la fin de la journée je ne représente rien dans la vie des autres qui, eux, profitent de leur existence pendant que je végète. Elle me permet également de mettre en lumière ce qui ne va pas chez moi et de résoudre mes problèmes personnels autant que faire se peut. Cette méthode me permet également de réaliser parfois que l’avis émis n’est pas le mien. En réalité, je ne pense pas forcément que la personne en face est mal fagotée. C’est parfois mon mal-être qui a besoin de s’exprimer et qui le fait de la manière la plus simple et facile pour lui : la méchanceté gratuite.


Je l’ai dit au début du texte, je ne donne quasiment jamais mes premiers avis. 

Consciente de ce côté négatif en moi, je ne veux pas dire des choses que je ne pense pas forcément ou que je vais regretter plus tard. C’est arrivé tellement de fois ! Aujourd’hui, en tant que personne plus avisée, j’ai appris à me taire. Plus encore, j’ai appris à réfléchir profondément sur des questions, seule dans mon coin, pour me forger un avis que je sais au final être basé sur des éléments que j’ai pris le temps d’évaluer objectivement. 

Ayant été une personne qui donnait des coups très souvent à travers ses mots, j’ai appris avec le recul à en prendre moi aussi. Je nage la plupart du temps à contre-courant lorsqu’il s’agit des avis généraux. Très souvent je ne partage pas mes avis pour ne pas donner de coups de pied dans la fourmilière. Parfois je le fais, quand j’ai l’impression que ces avis généraux ne sont basés sur aucun élément factuel, et je prends des coups. Le plus beau, c’est que certains ne se focalisent pas sur mon raisonnement, mais sur ma personne. C’est triste n’est-ce pas ? Sauf que mes slay inutiles sont pareils.

Apprendre à me connaitre et à me comprendre me permet de comprendre les jugements que les autres portent sur moi. Ayant par le passé été très souvent à leur place, je comprends que certaines méchancetés exprimées à mon égard ne me concernent pas forcément. La personne se met toute seule devant le miroir de sa propre vie et se bat contre elle-même en pensant me prendre pour cible. Au départ je me fatiguais à répondre. A présent ? Je lève les sourcils, j’ai parfois un pincement au cœur (là tout de suite sur Twitter quelqu’un vient de me traiter de naïve, je dois avouer que ça m’a vexée), puis je passe à autre chose, autre chose qui me concerne directement (comme ma facture internet que je dois payer aujourd’hui sinon la ligne sera interrompue).


Prenez-vous la peine de vous questionner sur les avis que vous avez tendance à donner hâtivement, des choses simples aux choses les plus compliquées ? Pensez-vous réellement que les personnes qui ne sont pas minces ne devraient pas mettre des shorts ou de mini jupes ? Pensez-vous réellement que ces personnes sont obèses ? Pensez-vous que le rose c’est pour les filles ? Pensez-vous que les transsexuels ne sont plus des êtres humains ? Pensez-vous que la souffrance des Noirs est justifiée ? Prenez-vous vraiment le temps de penser à tout ça ?

Ces questionnements permanents me poussent à me documenter sur des sujets divers. J’ai par exemple appris que les personnes qui ne sont pas minces ne sont pas toujours dans cet état à cause de la nourriture qu’elles consomment à longueur de journée. Ça peut être génétique. Ça peut-être à cause de la prise d’un médicament qui a tout chamboulé chez elles. Ça peut être à cause du stress ou d’un profond mal-être.

Certaines de ces personnes mettent des shorts parce qu’elles veulent se sentir « normales », d’autres parce qu’elles se sentent bien dans leur corps. Tout simplement. Elles souffrent d’une discrimination sociale inimaginable, parce que nous nous limitons à nos premiers avis : Obèse = paresseux qui n’est pas fichu de prendre soin de lui. Commençons par nous dire que le mot obèse est très souvent pris pour  une insulte ! On l’apprend quand on prend la peine de lire un peu sur le sujet.

Il en va de même pour tout. Pute c’est sale. Oui mais… que sait-on de sa condition familiale, de son niveau d’éducation ? Dans une société où la femme est réduite à ses atouts physiques, cette femme sait-elle qu’elle peut s’en sortir d’une autre manière ? Avez-vous pris le temps de le lui démontrer ou vous attendez-vous qu’elle se réveille un matin illuminée par l’esprit saint ?

En ce qui concerne justement le jugement hâtif porté sur les prostituées, City High a sorti au début des années 2000 une chanson à ce sujet. La chanson est un dialogue entre un homme et une femme qui ont fréquenté le même lycée. Ils se sont revus quelques années plus tard à une fête ou la fille était supposée faire un strip-tease. Après la prestation, l’homme la prend à part et lui demande ce qui se passe, pourquoi elle est tombée aussi bas. Sa réponse ? 

What would you do if your son was at home
Crying all alone on the bedroom floor, ’cause he’s hungry
And the only way to feed him is ta sleep with a man
For a little bit of money, and his daddy’s gone
Somewhere smokin’ rock now, in and out of lock down
I ain’t gotta job now, so for you this is just a good time
But for me this is what I call life

Puis l’homme lui dit :

Girl you ain’t the only one with a baby
That’s no excuse to be livin’ all crazy

Ce à quoi elle répond :

Everyday I wake up hopin’ to die
[…] nigga I know about pain ’cause
Me and my sister ran away, so my daddy
Couldn’t rape us, before I was a teenager
I done been through more shit, you can’t even
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La vérité (la vraie, pas celle qu’on imagine dans son esprit aussi petit qu’étroit) cloue le bec quand on la connait. Je vous met le clip ici au cas où ça vous intéresse :

 

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=nQx83u8bA_c?version=3&rel=1&fs=1&autohide=2&showsearch=0&showinfo=1&iv_load_policy=1&wmode=transparent&w=1170&h=659]

 


Quel que soit le travail qu’on fait sur soi, l’instinct négatif ne peut être vaincu définitivement. Le réflexe premier est de retourner à son état de nature. La question à se poser dans ce cas est « Est-ce que cet état de nature nous est bénéfique à nous, et est-il bénéfique aux autres ? » La réponse devrait guider les avis que nous partageons, mais aussi et surtout la manière dont nous nous forgeons ces avis.

Je continue de juger et je ne vais pas arrêter de si tôt.  Pas parce que je ne veux pas, mais parce que je ne peux pas. Tout ce que je peux faire c’est réfléchir avant de parler, me demander d’où vient toute cette négativité, la contrer grâce à des faits avérés, et me documenter pour valider ou (bien plus souvent) invalider mes avis. 

Photo : Asim Alnamat

PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !

 


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8 comments
  1. Le bonheur des autres m’énerve. La réussite des autres me donne l’impression d’être en retard, et je me flagelle

  2. Je pense, donc j’ai un avis sur tout, et selon le degré, sur tout le monde que je cotoie.
    Mon complexe d’infériorité, ne me permet pas de penser du mal de ces personnes.

    J’ai découvert par contre que je dois me reprendre quand je vois une « grosse » en mini jupe.
    Je suis moi meme grosse et je porte des minis jupes mdr. Je n’aime pas voir de vergitures, les pieds en X mdr, le haut de collant apparant etc Parfois quand je vois quelqu’un de gros manger un gateau, je me dis  » voilaaa ». Et j’ai moi meme peur de manger en dehors des repas dans les transports. MDR. Ces derniers temps je fais l’effort de dire : C’est très bien comme cela. Il ou est a le droite de porter ce qu’il veut comme il le souhaite sans mon avis sur la question.

    Je fonctionne en plus à l’instinct. J’aime certains traits et pas d’autres et je classe selon ces traits.

    Je jalouse, mais je juge pas focrement sauf si j’ai décidé de mettre quelqu’un out de my world.

    Nous sommes tous differents. Hormis ceux que je déteste gratuitement ,je n’emets pas d’avis sur les gens car je ne connais pas leur vie, leur vécu:partie visible de l’iceberg. Je peux penser qu’ils sont cons, pas ouverts, timides, droles , mignons. plus par besoin de classification que par besoin d’émettre une jugement.
    Je vais surtout juger l’acte et peu la personne.
    Et puis je suis féministe. Vivre et laisser vivre les femmes. Je pousse cela à tous les être humains. Tout le monde est bien tel qu’il est. Tout le monde évolue. il n’en sont qu’à un stade de leur vie.
    Pas besoin d’un avis définitif. Même comme changer d’avis n’est pas définitif.
    Mon instinct à moi et de mêtre les gens sur un piedestal et je travaille à changer cela.

  3. But for me this is what I call lifeJ’étais une fan de cette chanson. Vraie, sincère et qui décrit tristement les réalités de la vie. J’ai souvent dit, je ne pourrai me prostituer mais je ne saurai juger les femmes qui ont fait ce choix. Chacun sa vie. Au final, nous nous regardons tous dans un miroir et portons seuls les conséquences de nos choix, donc pas besoin de rajouter aux difficultés que les uns et les autres vivent en leur ramenant nos jugements dans la face.
    Love the song, mon goût.

  4. Je continue de juger et je ne vais pas arrêter de si tôt.  Pas parce que je ne veux pas, mais parce que je ne peux pas. Tout ce que je peux faire c’est réfléchir avant de parler, me demander d’où vient toute cette négativité, la contrer grâce à des faits avérés, et me documenter pour valider ou (bien plus souvent) invalider mes avis. You said it all. L’essentiel, savoir qui l’on est et rester vrai avec soi-même.

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