Mes parents, ces ratés !

7 minutes

Quel est le regard que je porte sur mes parents ?

Cette question me trotte dans la tête depuis quelques jours.

Ce qui n’est que normal, étant donné les récents événements.

La relation parents-enfants ne m’a jamais vraiment intéressée. On y pense généralement que lorsqu’on se considère soi-même comme un (futur) parent, ce qui n’a pas été le cas pour moi. Je n’ai donc jamais vraiment pris le temps de réfléchir aux répercussions des actions et décisions de mes parents sur moi, car il n’était ni question de reproduction, d’amélioration ou d’exclusion.

Le fait de porter un enfant m’a obligée à me tourner vers ce pan aussi inconnu qu’ignoré. La question de fond était quelles sont les véritables raisons pour lesquelles je ne veux pas d’enfants, pourquoi est-ce que je ne veux pas fonder de famille ? Le processus a été déchirant. Il m’a fallu déterrer des souvenirs que je ne savais même pas avoir, des aversions qui m’étaient inconnues. Peut-être pas inconnues, mais trop enfouies pour que je prenne conscience de leur existence.

Mon refus de fonder une famille vient de croyances personnelles et d’attentes de la vie qui ne cadrent pas avec une appartenance à une famille pas qui serait mienne, car je fais partie d’une famille, mais dont je serais à la tête. Ma vie a été cadrée selon des principes de liberté et d’égoïsme profondément ancrés dans mon subconscient. Mais que je le veuille ou non, la base de ce refus d’être mère est familiale.

Mes parents ont eu beaucoup d’enfants. Plus d’un c’est le pluriel, dont nous dirons qu’ils en ont eu beaucoup. Alors ne vous inquiétez pas, aucun de mes deux parents ne m’a poussée à vouloir rester célibataire, sans enfant et sans attache. La cellule familiale et son fonctionnement a été mon premier modèle d’une vie en communauté, et je peux vous assurer que j’ai vécu heureuse et entourée par de nombreuses personnes de divers horizons. Ma mère a un sens très élargi de la famille. J’ai même un grand-frère congolais, c’est vous dire !

Pourtant, au-delà des modèles vus et vécus, il y a ceux ressentis. Le poids des décisions, mais aussi celui des actions. Chaque pas que fait un parent affecte son enfant, positivement ou négativement. Chaque décision prise pour soi ou pour le bien de la famille peut laisser de profondes cicatrices aux enfants, cicatrices dont il est possible qu’ils ignorent totalement l’existence jusqu’à leur mort. Ça aurait été mon cas si ce petit humain n’avait jamais élu domicile dans mon corps.

Mes parents ont fait des choix de vie qui ont parfois été difficiles, voire incompréhensibles pour moi. Pourtant je ne leur en veux pas. Ça n’a pas toujours été le cas. Ma mère m’a dit une fois, alors que nous regardions un film, « Un parent malheureux ne fait pas un enfant heureux. » Cette croyance est profondément ancrée en elle, tout comme le fait qu’où qu’il soit et quelle qu’ait été la gravité de la situation, un enfant retrouve toujours le chemin vers son parent. Mon histoire de vie lui a donné raison.

Evoluer dans la vie avec cet enseignement maternel m’a permis de comprendre mes parents. Ca n’a pas été le cas durant mes jeunes années mais aujourd’hui, avec la maturité et les expériences que j’ai eues, j’ai compris que nous sommes humains avant d’être quoi que ce soit d’autre. Mes parents sont humains, et ils avaient le droit, et même le devoir de définir ce qu’était le bonheur pour eux, tant individuellement qu’ensemble.

Ma venue au monde ou celle de mes frères ne fait pas d’eux des êtres qui auraient dû se laisser mourir pour nous laisser assez d’espace pour vivre. Il s’agissait de cohabitation et non d’assassinat au propre comme au figuré. Choisir son bonheur personnel fait mal à l’entourage immédiat d’une manière ou d’une autre, qu’on le veuille ou non. Mais mes parents avaient le droit d’être heureux et de parfois décider de se focaliser sur eux d’abord plutôt que sur nous.

Un parent malheureux ne fait pas un enfant heureux.

Je n’ai jamais été un enfant malheureux.

Nous nous plaignons très souvent que les parents cherchent à vivre leur vie par procuration. Ils veulent pour nous ce dont ils ont toujours rêvé pour eux-mêmes et qu’ils n’ont jamais pu avoir. Certains parents veulent que leurs enfants soient médecins parce qu’eux n’ont jamais eu accès aux études. D’autres sont très présents dans la vie de leurs enfants et pèsent chacune de leur décision au quotidien parce qu’ils ne veulent pas que leurs enfants fassent les mêmes erreurs qu’eux. Ce type de dysfonctionnement très lourd à vivre est souvent le seul mentionné lorsqu’il s’agit des relations parents-enfants. L’influence des parents sur les enfants.

Ce dont on parle peu c’est le jugement que nous portons sur nos parents. Un jugement très dur la plupart du temps. Nos parents doivent être parfaits. Ils sont nos premiers modèles, ceux qui nous ont faits, et ne doivent de ce fait avoir aucun défaut. Mon père aurait dû… Ma mère aurait dû… Nous réécrivons leur vie de nos propres stylos, n’hésitant parfois pas lorsque nous atteignons l’âge adulte à leur jeter au visage tous les manquements que nous avons notés. Leurs échecs, ou ce que nous considérons comme leurs échecs deviennent notre arme de combat contre eux, combat dont nous n’avons pas souvent conscience.

La vérité est que comme nous, nos parents ont une histoire personnelle. Des douleurs. Des blessures. Des traumatismes. De lourds poids qu’ils portent sur leurs épaules, un poids auquel s’ajoute celui de leurs décisions de vie. Ils ont aimé. Ils ont été déçus. Ils ont été influencés par l’histoire de leurs parents qui, dans les années 40-50-60 n’étaient pas forcément aussi appréciables qu’aujourd’hui. Ils ont vécu à une époque qui a forgé leur conception de la vie. Ils sont parfois plus attachés aux normes sociales que nous, et ils sont très souvent emprisonnés par une culture que nous, nous avons la liberté de minimiser et même de rejeter.

Nos parents sont des humains avant d’être nos parents. Ils ont vécu toute une vie avant notre arrivée, une vie dont nous ne savons parfois rien. Ils ont vécu après notre venue au monde des combats dont ils ne nous ont jamais rien dit. Ils ont pleuré dans leur lit la nuit après s’être assurés que nous étions confortablement installés dans le nôtre. Ils ont dit oui alors qu’ils ne rêvaient que de dire non et, surtout, ils ont eu moins de liberté que nous sur tous les plans.

Accepterions-nous d’être jugés par eux ? Accepterions-nous qu’ils nous évaluent selon les codes d’une société dans laquelle ils ont vécu et qui pour nous n’existe plus ? Alors pourquoi nombre d’entre nous sont-ils prêts à décider de la positivité ou de la négativité des choix de vie de nos parents alors que nos propres choix de vie sont défendus bec et ongles ?

Un parent malheureux ne fait pas un enfant heureux.

Je l’ai entendu de la bouche de ma mère, mais il m’a fallu plusieurs années pour comprendre la portée de cette phrase. Mes parents ont fait des choix qui ont eu des répercussions inqualifiables pour moi. Parallèlement, ils ont créé autour de moi un environnement qui me permet de faire mes propres choix et de prendre ma propre route. Me limiter à l’évaluation de leur vie c’est ne pas faire honneur à leurs efforts. Leur vie à eux n’a pas d’importance. Seuls comptent les armes qu’ils ont mis à ma disposition pour vivre la mienne.


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8 comments
  1. Certains parents veulent être le prolongement de leur enfant alors que nous enfants, nous sommes  » des individus à part entière  » comme je l’ai toujours dit à ma mère lorsqu’elle veut trop s’immiscer dans mes choix de vie. En Afrique, les parents sont parfois trop présents , quand on est une femme avec certaines appartenances/croyances/origines, cette présence devient pure car elle est légitimée par des rituels inique et suranné .

    Mes parents ont eu à me briser , mais ils ont eu à m’aider énormément à réaliser mes rêves avec d’énormes sacrifices pour moi. Comme me disait ma mère quand je lui disais qu’elle fait trop de choses pour moi , elle me répondait : « une mère c’est s’oublier » . Le bilan reste certes ambivalent avec eux mais ta phrase resume tout malgré tous les quiproquos: « un enfant retrouve toujours le chemin vers son parent ». Mais encore faut-il se dire les choses telles qu’elles sont, ne pas peur de soulever la vérité qui souvent blesse – mais bénéfique sur le long terme – car le mensonge peut planer d’une génération à une autre afin d’éviter le miroir familial de la vérité.

    Contente de te lire Befoune. Je me sentais orpheline et un peu triste en croyant tu ne vas plus publier d’articles. Merci pour tes articles qui , du moins pour mon cas, me permet de me retrouver avec moi même. L’aspect personnel ne m’intéresse pas beaucoup mais plutôt l’aspect philosophique. Par conséquent, ce n’est pas toujours mal de se dévoiler pour aider les autres à se comprendre.

    1. Les moments que je vis ces derniers temps ne sont pas des plus simples, Rabia, mais je n’arrêterai pas d’écrire pour autant. Je le ferai un peu plus parfois, un peu moins d’autres fois, mais sois assurée que je le ferai.

      La vérité en famille n’est pas la chose la plus simple à dire ou même à vivre. On marche sur des oeufs dans le cadre familial, et oui, les mensonges détruisent les générations l’une après l’autre.

      Je ne savais pas que mes textes avaient une dimension philosophique. J’espère qu’elle n’est pas effrayante.

  2. Le regard que nous portons sur nos parents est toujours délicat, il est toujours chargé de poids, je ne pense pas que cela pourra un jour changer, dans la mesure où comme tu l’as dit, ils ne sont que des êtres humains. Fort heureusement, avec l’âge se dissipent un peu, les déconvenues, et la force que peut avoir ces poids, parce que nous avons enfin la capacité de comprendre et d’accepter les manquements.
    Moi, franchement je ne pense pas que les parents soient tout à fait « innocents » du poids que leurs décisions peuvent avoir sur nous, dans nos vies. Un grand pas serait fait, si d’ailleurs, l’on acceptait qu’étant parent, on sera toujours amené à faire des erreurs, pour qu’enfin l’éducation devienne moins culpabilisante.
    Personnellement, je n’ai jamais voulu d’un héros ou d’une héroïne comme parent, je cherchais juste des personnes qui pourraient m’aider à comprendre et à répondre à mes questionnement intérieurs, des personnes qui puissent m’accompagner dans l’accomplissement de mes entreprises, et qui si elles n’ont pas de réponses puissent me guider vers des personnes qui peuvent avoir des pistes de réponses. La plupart du temps je trouve qu’on cherche loin en fait.
    Tu dis : ‘‘ Ce dont on parle peu c’est le jugement que nous portons sur nos parents. Un jugement très dur la plupart du temps.’’, c’est profondément vrai, nous jugeons vraiment durement nos parents, dans nos relations. La plupart du temps, il y a beaucoup, beaucoup de non-dits, des rancœurs, des incompréhensions qui deviennent des balafres qu’on traîne et qui se transforment en héritages pour les enfants. Nous les jugeons parce qu’effectivement nous ne comprenons pas certaines décisions. Pourquoi ? Pourquoi faut-il attendre jusqu’à la maturité pour comprendre que nos parents, peuvent faire des erreurs ? Ne pouvait-il pas le dire ? N’avions-nous pas la capacité de demander ?
    Tu dis : ‘’La vérité est que comme nous, nos parents ont une histoire personnelle. Des douleurs. Des blessures. Des traumatismes. De lourds poids qu’ils portent sur leurs épaules, un poids auquel s’ajoute celui de leurs décisions de vie. Ils ont aimé. Ils ont été déçus.’’ Aminata Kane Kone a dit, « On ne peut pas équilibrer l’extérieur tant que l’intérieur n’est pas équilibré », je pense qu’il est très important de faire la paix avec tout ceci, justement, il ne suffit pas de prendre les choses avec les yeux de la maturité, ou de la compréhension, il faut vraiment faire un grand travail sur soi, pour que justement, les lourdeurs, les blessures ne deviennent pas, une partie de nous et avec le temps, ne deviennent nous-même.
    C’est très difficile de porter la responsabilité d’un être humain. Et les questions que tu te poses sont très légitimes, elles sont aussi très sincères, je trouve. Ce que je peux te conseiller c’est surtout de ne pas perdre cette sincérité dans l’éducation. Soit pleine et entière comme l’a dit Chimamanda Adichie. Pourquoi un enfant, ne pourrait pas aussi connaitre la femme, l’amie, l’écrivaine, l’égoïste, la minimaliste, toutes ces parts de sa maman ou de son papa? Même si tu te poses beaucoup de question et que tu n’en voulais pas, je suis sûre que cet enfant, a beaucoup de chance, d’être tombé sur toi.
    Je lis beaucoup ton blog vraiment, souvent j’ai l’impression que tu as ouvert mon cœur pour tremper ta plume. Je suis d’accord avec Rabia, il y a beaucoup de philosophie dans les textes, je dirais même, de la sagesse. En fait, c’est l’introspection franche que tu fais sur toi-même que je trouve extraordinaire. Cela te permets de retrouver certes, mais ça nous permets de nous retrouver tous

    1. « La plupart du temps, il y a beaucoup, beaucoup de non-dits, des rancœurs, des incompréhensions qui deviennent des balafres qu’on traîne et qui se transforment en héritages pour les enfants. »

      J’aime cette phrase. Mais vraiment. Elle est porteuse de vérité. Je me suis lancée dans une introspection qui a révélé de nombreuses balafres. Je suis contente d’y avoir fait face, d’avoir pris la peine d’en parler avec ma soeur afin que notre perception individuelle de nos réalité familiales soient croisées et discutées. Ce sont des sujets que nous avons souvent évité d’aborder, mais en parler m’a libérée. J’ai la certitude aujourd’hui que je ne transmettrai pas mes blessures. Elles resteront à mon niveau. Par contre, j’ai la certitude en tant que parent que je créerai involontairement de nouvelles blessures causées par le poids de certaines de mes décisions. C’est horrible, mais c’est une réalité que je dois accepter.

      « il ne suffit pas de prendre les choses avec les yeux de la maturité, ou de la compréhension, il faut vraiment faire un grand travail sur soi, pour que justement, les lourdeurs, les blessures ne deviennent pas, une partie de nous et avec le temps, ne deviennent nous-même. »

      Vrai, Awa. Tellement vrai. Il m’a fallu 6 années de réflexion et d’introspection pour arriver à certaines conclusions. Le tout n’est pas de se dire « Je suis assez grand pour comprendre ». La réalité est que la maturité n’offre aucun package. Il faut travailler pour chaque acquis, et avoir l’honnêteté de ne pas se mentir.

      « Pourquoi un enfant, ne pourrait pas aussi connaitre la femme, l’amie, l’écrivaine, l’égoïste, la minimaliste, toutes ces parts de sa maman ou de son papa?  »

      Je n’avais jamais vu la chose sous cet angle. Merci pour cette nouvelle piste de réflexion Awa.

      « Je lis beaucoup ton blog vraiment, souvent j’ai l’impression que tu as ouvert mon cœur pour tremper ta plume. Je suis d’accord avec Rabia, il y a beaucoup de philosophie dans les textes, je dirais même, de la sagesse. En fait, c’est l’introspection franche que tu fais sur toi-même que je trouve extraordinaire. Cela te permets de retrouver certes, mais ça nous permets de nous retrouver tous. »

      Et là, je rougis. Merci de tout coeur Awa.

  3. Combat de ma vie sourire.
    Tu sais quand j’ai récemment perdu Papa, mon plus grand bonheur, ma plus grande paix venait du fait que j’avais pu lui pardonner tout ce qui n’avait pas fonctionné entre nous bien avant son départ, et j’étais au point où je profitais simplement (peut-être avec un peu de réserve) de tout l’amour qu’il avait pour moi.
    Moi j’ai jugé mes parents pour la première fois à l’âge de 7 ans, face à l’une de leurs nombreuses disputes car je ne comprenais pas pourquoi ils ressentaient le besoin de se forcer à rester ensemble si ça allait aussi mal entre eux, s’ils n’étaient pas capable de s’aimer dans la paix. Je n’ai donc jamais attendus d’eux qu’ils soient des modèles mais simplement qu’ils soient des personnes authentiques avec eux-mêmes et avec les autres.
    En tant que Maman aujourd’hui, bien que je comprends mieux les mécanismes qui prévalent, je n’ai pas envie d’être parfaite pour ma fille. Comme l’a dit Awa en citant Chimamanda, je veux que ma fille puisse voir simplement toutes mes facettes et me comprendre. Je pense que je lui rendrai plus service et je construirai un meilleur cheminement avec elle ainsi.
    Ma fille aura bientôt trois ans mais je sais lui dire par exemple « s’il te plaît Angel, maman est fatiguée et veut juste dormir ». Je suis fière de le lui dire parce que je veux toujours avoir avec elle le langage de la vérité tout en la ménageant bien évidemment. En retour, je veux lui donner la sensation et l’assurance de pouvoir tout me dire. Être parent c’est un art, c’est une grâce, trouver la bonne formule,un coup de chance mais surtout une vie passée à l’écoute de l’autre.
    Est-ce aisée pour tout le monde ? Je ne le crois pas. L’essentiel est de reconnaître qu’être parent comme tu l’as dit c’est d’abord être humain avec ses fêlures, ses forces, son parcours et trouver la juste dose, le juste équilibre pour construire une famille.
    Merci ma coucou de me faire bavarder, réfléchir lol, toi-même tu sais ce que je pense de tes écrits. Love!

    1.  » Être parent c’est un art, c’est une grâce, trouver la bonne formule,un coup de chance mais surtout une vie passée à l’écoute de l’autre. » Tout est dit ici. Tout. Merci.

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