Prendre soin de son enfant signifie parfois devoir le quitter.
J’ai lu un livre récemment dans lequel un « native » (je déteste le mot indigène) canadien expliquait la relation parent-enfant dans sa culture. Dans la réalité de cette tribu, le rôle du parent n’est pas de dire à l’enfant ce qu’il doit faire, ou ce qu’il doit apprendre. Les enfants apprennent par l’expérience. Quel que soit l’âge de l’enfant, le parent lui suggère une marche à suivre, mais ne le contraindra jamais à agir selon les recommandations. L’enfant est seul maitre de ses actions et doit faire face à leurs résultats, mais aussi leurs conséquences.
Ce monsieur a épousé une Européenne avec qui il a eu une fille. J’ai été frappée par sa perception de la manière dont son épouse se comportait avec leur enfant. Chaque fois qu’ils étaient en voiture, la maman se faisait un devoir de nommer chacun des éléments sur leur chemin : une vache, une voiture, une maison…, certainement pour que l’enfant apprenne ces mots. Le monsieur trouvait l’interaction très envahissante pour la petite âgée de 2 ans.
Son moment préféré avec sa fille était leurs longues balades tous les deux en voiture. Ils ne se disaient pas un mot et profitait silencieusement de la présence l’un de l’autre. Ces moments étaient pour lui des instants de connexion profonde avec son enfant. Il la laissait tranquille mais était là pour elle. Il ne courrait pas par exemple vers elle lorsqu’elle tombait. Il la laissait se relever et venir à lui si elle en avait besoin. Sa femme le trouvait extrêmement froid et peu aimant. Il la trouvait envahissante et étouffante pour leur enfant. Le désaccord concernant le rapport entre le parent et l’enfant au sein du couple était trop grand, ce qui conduisait lentement, mais sûrement vers une rupture.
Que signifie prendre soin de son enfant, être là pour lui et lui apporter le meilleur possible selon notre réalité ? C’est une question que je me pose tous les jours depuis la naissance de ma fille, de mon Bébé Caramel. Pire encore, c’est une question qui a fait l’objet d’une obsession durant toute l’année 2021 et qui m’a menée à un moment donné à un essai de conclusion : il était certainement mieux pour ma fille que je la quitte, que je parte, que je confie sa garde exclusive à son papa, bien meilleur parent que moi.
Il m’a été difficile d’arriver à cette conclusion, mais le réalisme devait prendre le dessus sur le fantasme. Le moment était venu d’accepter ma condition et il fallait me faire une raison, agir de la meilleure manière qui soit pour mon enfant. Prendre soin d’elle, être là pour elle et lui apporter le meilleur possible selon ma réalité.
Mais n’allons pas trop vite, revenons sur l’année 2021 pour comprendre ce qui s’est passé et pourquoi j’en suis arrivée là.
J’ai pris la décision il y a un moment déjà de ne plus m’étendre sur le fait que je ne voulais pas d’enfant, j’en ai parlé ad nauseam sur le blog dans la rubrique Parentalité et ailleurs encore. Je mentionnerai certainement ce fait dans cet article, mais je ne m’étendrai pas dessus. Les lectures à consulter ont été fournies.
Le retour de l’hôpital avec ma fille a été l’un des moments les plus effrayants de ma vie. Pendant 7 mois (du moment où j’ai su ma grossesse jusqu’au moment de mon accouchement), j’avais pris le soin de définir le modèle de parentalité qui me convenait. Je savais ce que je souhaitais lui inculquer et ce que je voulais lui éviter. J’étais très lucide sur le fait que n’ayant jamais prévu d’être parent, j’avais un grand handicap : absolument rien n’était préparé. Je n’avais pas de rêve de balade ou de voyage avec mon enfant, je n’avais aucune image que j’aurais voulu matérialiser. Rien.
Pendant 7 mois j’ai fait remonter tous les traumatismes d’enfant vécu et enfoui pour pouvoir avancer dans ma vie afin de les confronter et ne pas les reproduire. Je n’étais pas équipée, mais j’étais certaine d’une chose : mon expérience de vie ne serait pas l’introduction de celle de ma fille. Elle devait partir d’un canevas vierge, et le rôle que je me suis défini est celui de l’outiller des couleurs qu’elle voudrait voir dessus selon ses envies, ses besoins, ses penchants, et surtout ses aspirations.
Je savais ce que je voulais pour ma fille, et je savais également ce que je voulais pour moi. Je voulais être un parent présent, dévoué, et dans le même temps poursuivre mes rêves et aspirations personnels. Pendant toute la première année de mon enfant j’ai travaillé le minimum possible afin d’être là pour elle, dans son environnement immédiat, durant ses premiers contacts avec le monde extérieur. Il était très important pour moi non seulement de ne pas manquer ces moments-là, mais aussi de lui apporter le meilleur possible. Pendant toute cette année-là je n’ai travaillé qu’à 30% de mes capacités. Mon petit humain était ma priorité. Par la grâce du Ciel, de la Nature et de la Providence, son papa travaille de la maison, donc c’était parfait. L’équilibre familial que nous souhaitions pour la première année de notre enfant a pu être réalisé.
Après cette année-là, mon amoureux et moi nous sommes assis pour discuter de mon avenir professionnel. J’étais dans ma bulle, profitant pleinement de ma fille et ne voulant pas d’autre activité que celle-là. Mon compagnon m’a rappelé mes rêves, ce que je voulais pour moi, et ce que ça signifierait pour ma fille sur le long terme. Qu’est-ce que je souhaitais pouvoir réaliser pour elle, quelle était l’image que je souhaitais qu’elle ait de moi et, surtout, qu’est-ce que je voulais pour moi. Ces questions qu’il m’a posées m’ont fait réaliser qu’être là pour mon enfant c’était aussi être là pour moi. Lui apporter le meilleur selon ma vision des choses c’était travailler pour ce meilleur. Répondre à ses besoins nécessitait pour moi de sortir de cette bulle créée et entretenue pendant toute une année.
Le retour à la réalité a été brutal. La première nécessité était pour moi de changer de boulot. Celui que j’avais avait été sélectionné sur une base très simple : je me plongeais dans un domaine qui m’était totalement inconnu et qui m’intéressait pour des raisons liées à mon activisme politique qui seraient bien trop longues à détailler ici ; outre cela, le poste m’apportait une flexibilité qui me permettait de poursuivre mes activités de consultante ainsi qu’un salaire confortable pour l’époque.
Il me fallait un travail stable au revenu confortable, car je n’aurais plus qu’une seule activité. L’année quasiment off avait mis mes économies à mal. Il me fallait également un travail qui me fournirait une assurance pour que mon enfant puisse en profiter. La question du salaire était cruciale pour la raison mentionnée précédemment, mais aussi pour la vie que je souhaite offrir à ma fille. Un élément important s’est imposé, élément qui n’avais jamais eu d’importance à mes yeux avant cette réévaluation de ma vie professionnelle : celle de ma position hiérarchique dans l’organisation dans laquelle je travaillerais.
Jusque-là l’élément central dans ma quête professionnelle était la valeur personnelle de ce que j’apprendrais selon mes envies et mes activités du moment. J’ai parlé dans cet article du fait d’avoir quitté un boulot bien payé pour un stage dans des conditions plus que discutables à l’âge de 29 ans. Je ne vivais que pour l’expérience et la connaissance et je n’avais jamais envisagé le travail autrement, jusqu’à ce que la nécessité de prendre soin de quelqu’un d’autre que moi s’impose.
Je n’avais pas pour ambition d’occuper longtemps le poste que j’avais lorsque ma fille a fait son apparition dans ma vie. Un an tout au plus. J’y ai finalement passé 3 ans, temps de grossesse et première année de ma fille inclus. Une revue de mon CV m’a donné une gifle. Je n’avais rien à mettre en valeur durant ces 3 ans là, et les expériences professionnelles intéressantes pour le type de poste que je visais se faisaient vieilles. Il me fallait sortir du secteur de l’éducation car je ne comptais pas du tout rester dans ce domaine. Je l’ai dit, il s’agissait juste de répondre à une question que je me posais : quelle est la valeur des formations de leaders dans le domaine de l’action citoyenne et politique ?
Mon CV était totalement erratique. Je partais d’un domaine à un autre selon les envies du moment et trouver un fil conducteur n’a pas été simple. J’ai dû faire appel aux services du cabinet de conseil en ressources humaines Jobbox. Je parle de mon expérience en long et en large avec ce cabinet RH ici sur le podcast. Cette expérience de recherche d’emploi m’a fait comprendre une chose essentielle liée à la parentalité : ma perception devait changer. Complètement. L’évolution horizontale n’était plus possible, il me fallait penser à une évolution verticale, avancer dans la hiérarchie des organisations. Je m’étais jurée que je ne ferais jamais cela, que seule l’acquisition de connaissances guiderait mes choix professionnels. Pour prendre soin de mon enfant et lui offrir la vie que je souhaitais pour elle tout en maintenant le niveau de vie qui me convient à moi, je devais faire un switch à 180 degrés.
Pour que les choses soient plus claires, une évolution horizontale c’est partir d’un poste à un autre sans changement de grade ou de niveau. Une évolution verticale c’est partir par exemple de stagiaire à assistant, puis associé, puis officer, puis manager, puis directeur, puis directeur à un niveau plus élevé de l’organigramme et ainsi de suite. Il ne s’agissait plus de papillonner, mais de se poser. Il ne s’agissait plus de donner la précellence à mes envies, il s’agissait d’abord et surtout de savoir ce que le poste apporterait à ma famille et comment il me permettrait d’offrir à mon enfant ce que je souhaitais lui offrir.
La seconde réalisation importante est que lorsqu’on est de sexe féminin, avoir un enfant est un frein dans l’évolution professionnelle, réalisation renforcée par le mon expérience au poste que j’ai aujourd’hui. Lorsque j’ai su que j’étais enceinte, mon ambition était de quitter le poste que j’avais (je l’occupais depuis un an et j’avais eu la réponse à ma question). La grossesse difficile tant sur le plan physique que mental a imposé la mise au placard de ce projet. Il n’est pas commun pour une entreprise ou organisation d’embaucher une femme enceinte sachant ce qu’entraine la grossesse dans la majorité des cas en termes de perte d’énergie, et avec une perspective d’arrêt du travail pendant quelques mois en raison des congés de maternité.
Prendre une année quasiment sabbatique a été un choix, mais un choix dont les conséquences ont été grandes sur le plan de l’activité professionnelle. Je n’ai absolument rien réalisé cette année-là, je n’avais rien à faire valoir. Practice makes perfect. J’ai perdu nombre de mes acquis, et j’ai perdu le goût pour nombres d’activités génératrices de revenus du fait de ne plus les pratiquer. Je n’avais jamais eu à faire un choix entre mon travail et quoi que ce soit d’autre parce qu’il passait avant tout. Est-ce que je regrette de devoir faire des choix pour être présente pour ma fille ? Non. Est-ce que je refuse d’avoir conscience que ces choix sont difficiles, ne m’avantagent pas toujours et m’attristent parfois ? Non.
Dire que j’ai repris le chemin du bureau uniquement pour ma fille serait mentir. J’ai une certaine image de moi qui fait ma fierté : quelqu’un qui fait marcher son cerveau, réalise des choses et contribue à l’acquisition du savoir par d’autres. J’ai la certitude que cela est ma mission de vie, surtout la dernière partie qui consiste à contribuer à l’acquisition des connaissances d’autres personnes. Reprendre le chemin du bureau a été une joie, surtout que c’était dans une organisation pour laquelle j’avais (et garde) beaucoup d’admiration. Je suis retournée au bureau avec l’ambition de tout donner au travail, C’était la seule manière pour moi de travailler : me noyer totalement dans mon activité et exceller. Je me suis vite rendu compte que mes paramètres n’étaient pas à jour.
Avant mon enfant, j’ai tout donné au travail. Après sa naissance j’ai tout mis de côté pour tout lui donner. L’entièreté fait malheureusement partie de mes paramètres par défaut, ce qui a fait de l’année 2021 une véritable épreuve qui m’a conduit à la conclusion partagée précédemment. Partir.
J’ai commencé mon travail en janvier 2021, Bébé Caramel avait un an et quelques mois. J’ai su dès les premières semaines qu’il était possible que je ne m’en sorte pas. Après un an d’inactivité quasi complète, le travail m’épuisait littéralement. Je ne savais rien du domaine sous sa forme dans laquelle j’en faisais l’expérience, alors je me donnais doublement pour avoir des résultats que je trouvais peu satisfaisants, ce qui ajoutait la frustration à l’épuisement. J’en ai souvent parlé sur Instagram.
Le plus dur était que lorsque je rentrais le soir vidée de toute force, je devais être totalement focalisée sur mon rôle de parent. Il est difficile pour un enfant habitué à avoir ses 2 parents dans son environnement immédiat toute la journée tous les jours, de ne se contenter que de 2 ou 3 heures par jour avec l’un des 2 parents. On aurait dit que Bébé Caramel voulait remplacer « le temps perdu ». Elle exigeait une attention totale et une énergie à la hauteur de la sienne, ce que je ne pouvais lui donner. J’étais fatiguée partout tout le temps.
A tout ceci s’ajoutait l’impossibilité de répondre aux besoins vitaux de l’introvertie que je suis : être-là pour moi, avoir du temps pour moi, être présente pour moi, avoir des activités pour moi. Bloguer et podcaster font partie de ces activités, et je ne pouvais plus les entreprendre à un rythme satisfaisant. J’ai cessé d’écrire des articles et d’enregistrer des épisodes de podcast tout simplement parce que je ne le pouvais plus.
J’étais en permanente « sur-sollicitation ». Au boulot mon supérieur avait toujours besoin que je fasse ci ou ça sans tenir compte de la planification personnelle de ma journée. Je ne peux lui en vouloir, sa fonction, tout comme la mienne, l’imposait. A la maison ma fille criait Mama toutes les 35 secondes. Je ne peux lui en vouloir, ce sont les besoins d’un enfant. Je vivais pour mon travail en journée et pour mon enfant le soir. Lorsque je la couchais j’étais tellement épuisée que je m’endormais immédiatement jusqu’au matin. Mes horaires matinaux de fitness étaient perturbés parce que Bébé Caramel se levait très souvent très tôt, et ce moment à moi, ce moment matinal que je chéris depuis 8 ans maintenant, ne m’appartenait plus.
J’avais l’impression de perdre le contrôle de ma vie, de n’être là que pour combler les besoins de quelqu’un d’autre, un supérieur, un enfant, un compagnon. Je n’existais plus dans ma vie. J’étais morte dans ma propre existence. Après des années à ne vivre que pour les autres selon des codes sociaux bien trop lourds, à n’avoir aucune personnalité ou aspiration propre, j’ai fait le choix de me couper de tout pour me concentrer exclusivement sur moi. J’ai cultivé pendant de nombreuses années un égoïsme qui m’a permis de me focaliser sur moi-même pour me construire, trouver un équilibre et m’épanouir, ce qui m’a sortie d’une dépression que j’ai trainée avec moi de l’enfance à l’âge adulte. L’expérience est documentée dans plus d’une centaine d’articles sur Medium. Ma liberté et mon détachement des autres sont au cœur de mon être. La meilleure manière d’éteindre ma flamme de vie c’est que quelqu’un ait besoin de moi et exprime ce besoin sans arrêt.
L’une des stratégies que j’ai mises en place durant cette période de reconstruction est d’être là pour les autres parce que je le voulais, pas parce qu’ils en avaient besoin ou que j’y étais contrainte. Mes interactions avec les autres et ma santé mentale reposaient sur le fait que je posais des barrières claires en ce qui concernait l’énergie que j’étais prête à consacrer aux gens, c’est-à-dire très peu. Et là, d’un coup, après des années de travail acharné pour me retrouver et me construire je disparaissais de ma propre présence. Je n’étais présente que pour être là pour quelqu’un et je n’en pouvais juste plus.
Cette situation m’a noyée dans un état qui a longtemps inquiété mon compagnon. Je suis partie. Je me suis retirée du monde extérieur et je me suis plongée dans un état d’apathie inqualifiable. Je fonctionnais en mode zombie, de manière totalement mécanique. J’allais au travail, je faisais ce que j’avais à faire sans trop y penser, parce que j’y étais obligée, puis je rentrais à la maison et je me posais sur ma tablette jusqu’à l’endormissement, ce qui éteignait mon cerveau. Je regardais des séries légères qui s’étendaient sur de nombreuses saisons pour m’empêcher de penser à ma situation ou de réfléchir à mon état.
J’allais au travail le pas trainant parce que je savais ce qui m’y attendait, et je rentrais à la maison le pas trainant… parce que je savais ce qui m’y attendait. J’étais vidée de toute énergie. J’avais juste envie de me coucher et de dormir pendant des années et des années. Mes résultats au travail étaient acceptables, et dans ma réalité acceptable signifie médiocre, à la limite du nul. Je n’étais plus là pour ma fille. Elle m’appelait et je ne répondais pas parce que je ne l’entendais pas, parce que je refusais de l’entendre, parce que je ne pouvais pas l’entendre, parce que je n’avais pas la force physique ou mentale de l’entendre. Je voyais sa déception, j’entendais ses pleurs, et je la voyais s’éloigner de moi pour se protéger de la frustration de n’avoir que très peu de réponse ou de réaction de moi.
Je faisais du mal à mon enfant. La bulle avait éclaté et semblait être partie avec le parent que je pensais être et pouvoir être pour mon enfant. J’aurais tellement voulu être là pour elle à ces moments-là, mais je ne pouvais jute pas. Entendre le mot « Mama » créait une mini crise d’anxiété. J’aime mon enfant. Plus que tout. Mais je ne pouvais plus manifester cet amour parce que j’étais vidée de tout. J’avais besoin de moi pour moi, juste un moment, un instant, ce qui semblait être impossible.
A bout de force et de volonté, je me suis dit que le moment était certainement venu. Peut-être que finalement 2 années de parentalité c’était ma limite. Peut-être que ces 7 mois de conditionnement durant la grossesse pour passer d’un état de rejet de la parentalité à celui de parent ne pouvaient produire de résultat au-delà de 2 ans. Ma fille n’était pas bien avec moi et je le voyais. Je n’étais pas là pour elle qu’il s’agisse de ce que j’aurais voulu ou de ce qu’il fallait en termes de présence. A quoi ça servait de vivre avec un parent présent dans toute son absence ? Je voyais ou voulais voir des reproches dans les yeux de mon compagnon. Je percevais ou voulais percevoir des reproches derrière ses mots.
Je sais sans aucun doute que mon amoureux peut apporter à notre enfant tout ce dont elle a besoin sur le plan affectif. Mon état à ce moment-là était destructeur pour elle et avait un effet contraire à l’équilibre émotionnel que je souhaitais lui apporter. Avoir un parent pour qui on a l’impression de ne pas exister est émotionnellement destructeur, je parle d’expérience.
Vous vous demandez certainement pourquoi je n’ai pas pensé à quitter mon travail plutôt que mon enfant. La question fait sens, et la réponse est très basique. La prise en charge d’un enfant demande de l’argent. Ce à quoi j’aspire pour mon enfant demande beaucoup d’argent. Mon revenu est aujourd’hui essentiel à mon rôle de parent. A mes yeux, ne pas offrir un avenir précis à mon enfant pour des raisons que je n’évoquerai Jepas ici mais dont sa vie dépend (et non, je n’exagère pas), vaut autant que lui tourner complètement le dos.
Mon travail est essentiel à mon bien-être, à mon accomplissement personnel. J’aurais eu du ressentiment envers mon compagnon qui à mes yeux aurait continué de vivre sa belle vie, ce qui aurait irrémédiablement brisé notre relation, et j’aurais eu de terribles regrets une fois que mon enfant aurait passé l’âge du besoin constant de ma présence ou de mon attention. Ne pas pouvoir « rattraper le temps perdu » est synonyme de « petite mort éternelle. »
Etes-vous parent ? Avez-vous déjà vécu avec un enfant ? Avez-vous déjà observé le rapport qu’un enfant a avec son parent, en particulier celui qui joue le rôle généralement attribué à la « mère » ? Si la réponse à ces questions est non, alors je n’attends pas que vous compreniez le moindre mot de ce que j’ai dit précédemment et de ce que je dirai ensuite.
Avoir un enfant c’est difficile.
Très difficile.
Durant ses premières années, un enfant vit à travers son first caregiver. Il apprend de lui, copie ses mots, ses gestes, ses airs. Il mesure l’ampleur des situations par rapport aux réactions de ce caregiver. L’enfant sait que tout va bien quand son visage est apaisé, et que tout va mal lorsqu’il ne ressent plus cette aura calme autour de ce caregiver. Le caregiver est tout pour l’enfant. TOUT. Le petit a besoin de lui partout tout le temps, de lui parler, de ressentir son attention, sa focalisation sur lui. Ma fille copiait mes émotions et semblait triste tout le temps parce que j’étais triste et absente.
Outre cela il y a l’inquiétude constante, l’omniprésence de l’enfant dans nos rêves, nos cauchemars, nos joies, nos craintes… Lorsque je suis devenue parent, ce mot a pris la première place dans mon identité. Je suis parent avant d’être Befoune. Je suis d’abord un parent lorsque je panifie mon heure, ma journée, ma vie. Je suis parent avant tout autre chose et le bien-être de mon enfant passe avant tout, quelles que soient les conséquences.
Le plus difficile pour moi a été mon incapacité à pouvoir me confier. Qu’aurais-je pu dire ? Je n’en peux plus ? Comment véhiculer mon ressenti sans que le message que je fasse passer soit « je n’aime pas mon enfant », alors que la base de mes dires était en réalité l’exact opposé ? Comment dire à mon compagnon que je pense à partir, à le laisser parce que je n’ai plus la force d’avancer ? Comment faire comprendre à quelqu’un que tout va bien chez moi, dans mon couple, dans ma maison, mais que j’ai besoin de partir pour exister ?
J’ai finalement pu en parler avec mon compagnon qui m’a proposé de passer un moment seule dans un hôtel ou un autre pays, pour avoir du temps pour moi. Je lui ai donné la même réponse que je lui ai donnée lorsque j’étais enceinte, que je pleurais tous les jours et qu’il m’a proposé de s’occuper de l’enfant tout seul : ce n’est pas sa présence qui est le point focal ici, mais son existence. Comment partir en sachant que mon enfant existe quelque part loin de moi, et comment rester en sachant que je meurs un peu tous les jours ? J’ai eu une discussion sur le sujet qui vous permettra peut-être d’entrevoir la lourdeur de ma situation :
Que signifie prendre soin de son enfant ? Que signifie être là pour lui ? C’est faire ce qu’il faut pour qu’il soit épanoui, même si cet épanouissement demande ma propre soustraction de l’équation.
Pourquoi j’en parle aujourd’hui ? Parce que par la grâce du Ciel, de la Nature et de la Providence, je suis quelque peu sortie de cette situation. Tout n’est pas plus facile, mais je ne ressens plus le besoin de partir. Deux articles ont radicalement changé ma manière de voir les choses. Le premier est celui dont j’ai parlé dans la discussion partagée. Il est intitulé What Becoming a Parent Really Does to Your Happiness et en voici un très long extrait :
Children make some happy and others miserable; the rest fall somewhere in between—it depends, among other factors, on how old you are, whether you are a mother or a father, and where you live. But a deep puzzle remains: Many people would have had happier lives and marriages had they chosen not to have kids—yet they still describe parenthood as the “best thing they’ve ever done.” Why don’t we regret having children more?
One possibility is a phenomenon called memory distortion. When we think about our past experiences, we tend to remember the peaks and forget the mundane awfulness in between. Senior frames it like this: “Our experiencing selves tell researchers that we prefer doing the dishes—or napping, or shopping, or answering emails—to spending time with our kids … But our remembering selves tell researchers that no one—and nothing—provides us with so much joy as our children. It may not be the happiness we live day to day, but it’s the happiness we think about, the happiness we summon and remember, the stuff that makes up our life-tales.”
These are plausible-enough ideas, and I don’t reject them. But other theories about why people don’t regret parenthood actually have nothing to do with happiness—at least not in a simple sense.
One involves attachment. Most parents love their children, and it would seem terrible to admit that you would be better off if someone you loved didn’t exist. More than that, you genuinely prefer a world with your kids in it. This can put parents in the interesting predicament of desiring a state that doesn’t make them as happy as the alternative. In his book Midlife, the MIT professor Kieran Setiya expands on this point. Modifying an example from the philosopher Derek Parfit, he asks readers to imagine a situation in which, if you and your partner were to conceive a child before a certain time, the child would have a serious, though not fatal, medical problem, such as chronic joint pain. If you wait, the child will be healthy. For whatever reason, you choose not to wait. You love your child and, though he suffers, he is happy to be alive. Do you regret your decision?
That’s a complicated question. Of course it would have been easier to have a kid without this condition. But if you’d waited, you’d have a different child, and this baby (then boy, then man) whom you love wouldn’t exist. It was a mistake, yes, but perhaps a mistake that you don’t regret. The attachment we have to an individual can supersede an overall decrease in our quality of life, and so the love we usually have toward our children means that our choice to bring them into existence has value above and beyond whatever effect they have on our happiness.
When I say that raising my sons is the best thing I’ve ever done, I’m not saying that they gave me pleasure in any simple day-to-day sense, and I’m not saying that they were good for my marriage. I’m talking about something deeper, having to do with satisfaction, purpose, and meaning. It’s not just me. When you ask people about their life’s meaning and purpose, parents say that their lives have more meaning than those of nonparents. A study by the social psychologist Roy Baumeister and his colleagues found that the more time people spent taking care of children, the more meaningful they said their life was—even though they reported that their life was no happier.
Le deuxième article est intitulé I’m defined by motherhood right now, and that’s okay. Il est très court, alors je vous le colle ici :
It was never my goal to be a mama and a wife. As a teenager, I was completely fine with my decision not to have children. When someone would ask me how many children I wanted, my response would always be none. In my 20’s, I traveled the world and focused on building my career. A family of my own was far from my mind. And I was okay with that. Then I hit 30 and something inside me changed.
I’m not sure what exactly changed. Or why it changed. But I started to long for a family of my own.
Then as if my heart’s desire had been answered I met him. We fell in love. And within a few years, I was married to this incredible man. Then we received the best news we could have hoped for. I was pregnant—with a baby boy. The family I had longed for was right here in front of me. I had become this child’s mama.
Just like that my whole life’s focus changed.
My mind wasn’t on my career progression or where in the world I was going to explore next. It was focused on this little human. This little human, who was safely cradled in my arms. This little human who now relied on me to provide him with care, with comfort, with love.
I became defined by my motherhood. And that was okay.
Now I won’t lie, as my son grew and we welcomed our second child to our family, there were moments of exhaustion. Moments of frustration. Moments of tears. Moments where I desperately needed some me time.
But here is the truth. Yes, right now I am defined by motherhood. And that’s okay. I spent many years longing to be here at this moment. To have my family. To be my children’s mama.
I know this is a finite period in my life. So I am choosing to embrace it. I am choosing to find joy in my motherhood journey.
I know my children need me now in a way they won’t ever again. And I don’t want to miss out on all the beautiful moments right here in front of me.
You see, one day they won’t need me to rock them in my arms or lay with them every night till they fall asleep.
One day they won’t need me to pick them up and carry them everywhere. In fact, one day they will be too big for me to do that even if I wanted to.
One day they won’t need to help them get dressed and put on their shoes.
One day they won’t ask me to sing them that song for the 10th time.
One day they won’t need me to do all the things for them as they do now.
You see, right now my children are only little. Right now they need me. Right now they choose me.
I am their safe place. I am their comfort. I am honored to be the one that they turn to. I am honored to be the one they call home.
That is why, first and foremost, I am defined by my motherhood. And that is more than okay with me.
J’ai réalisé quelque chose de fondamental après la lecture du premier article : ma vie d’avant n’existera plus. Je ne peux plus me jeter corps et âme dans quoi que ce soit, notamment le travail, sans tenir compte des besoins de mon enfant. Il ne s’agit pas de faire disparaitre son besoin de ma présence, mais plutôt de construire autour de ce besoin. La question n’est pas comment est-ce que je fais disparaitre mes responsabilités de parent quand j’en ressens le besoin, c’est-à-dire comment les exclure, mais plutôt comment inclure ces responsabilités dans ce que je fais pour trouver un équilibre ?
La vérité est que je ne serai plus jamais aussi performante que je l’étais au boulot (ou pas avant longtemps) parce que je n’ai plus la même vie. J’accepte qu’une nuit de maladie de mon enfant c’est une journée (voir des jours) de travail sans réelle concentration. J’accepte qu’il faille que je parte du bureau à une certaine heure parce que je dois voir ma fille et passer du temps avec elle avant qu’elle n’aille au lit. J’accepte que la frustration fait partie intégrante de la vie de parent. Je n’essaie plus de la combattre, je l’embrasse complètement, et j’accepte que ce soit difficile, que je ne peux pas tout faire quand et comme je le veux. Je ne suis pas résignée, mais réaliste : être parent est un package. Comme l’a dit l’auteur du premier article, le bonheur ne vient pas du fait d’être parent, mais de celui d’avoir un enfant.
Je me suis posé la question de savoir si je voulais retourner à ma vie sans enfant. La réponse est oui, mais si et seulement si cela signifie que mon enfant n’aura jamais existé, ce qui est totalement impossible puisqu’elle existe dans cette réalité-ci. Quelqu’un m’a demandé si j’aurais préféré attendre encore un peu avant d’avoir un enfant. La réponse est non car plus tôt ou plus tard, l’enfant que j’aurais eu n’aurait pas été cet enfant-ci. Je ne veux pas qu’il disparaisse et je n’en veux pas un autre malgré les difficultés traversées.
Le second article m’a ouvert les yeux sur le caractère temporaire de ma situation. Bébé Caramel a autant besoin de moi aujourd’hui, et ce depuis le début de sa vie, parce qu’elle en est à ce stade de son développement. C’est difficile, parfois plus que difficile, mais c’est temporaire. Inclure ce volet dans ma réflexion a absolument tout changé pour moi. J’accepte que des choses sont en standby parce qu’elles doivent l’être pour le moment et qu’il ne peut en être autrement. Luvvie Ajayi a dit une fois que trouver l’équilibre ce n’est pas accorder la même énergie à tout tout le temps, c’est savoir quand donner la priorité à un élément par rapport aux autres durant le temps qu’il faut.
Je pense que ceci est une belle conclusion pour cet article, je vais donc m’arrêter là. Je ne peux d’ailleurs pas continuer, l’heure d’aller jouer a sonné, alors je vous dis aurevoir.
Photo : Hamid Mahamat
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9 comments
Un article que j’ai filé lire dès l’annonce Instagram. J’admire vraiment vitre capacité à vous livrer, analyser vos émotions et vous documenter dessus.
Cet article, je l’ai lu, j’en ai capturé des extraits et je vais le relire encore et encore.
J’ai 29 ans, j’élève seule mes 2 enfants et je suis dans une période où bien que j’aime mes enfants à l’infini; je rêve d’une vie sans eux. Je regrette tout ce que je n’ai pas accompli à cause de la maternité. J’aimerais en dire tellement plus mais je vais m’arrêter là. Mille mercis pour cet article qui me touche en plein cœur
Romane, j’espère de tout cœur que tu t’en sortiras.
On peut être excellent et authentique dans les écris comme ça ??
Placer les mots sur ce qu’on ressent est le début de toute action quand on sent qu’il faut changer les choses ou les les percevoir différemment. J’ai adoré l’article.
Moi j’ai fait le choix de maximiser sur le temps que je passe avec mes enfants et de faire le minimum requis au travail, sinon bonjour l’épuisement. I am the caregiver almost 7 years et accepter mes priorités m’aident à garder le cap. Être parent c’est la chose la plus difficile que j’ai eu à faire. Ce qui me motive c’est que je peux faire de mon mieux et m’améliorer pour être un bon parents pour mes enfants en restant moi même. Sinon à quand le prochain talk sur la parentalité ???
Le Talk !!! J’y pense depuis un moment déjà ! Il faut que j’en organise un !
Un seul mot, BRAVO, pour ta force et ton courage!
Et merci de partager, si humblement, ton vécu avec nous.
Je rougis !
Pendant la lecture de cet article, j’ai senti ma vie actuelle (depuis bientôt 2 ans) se raconter avec exactement les mots qu’il fallait. Les frustrations malgré les joies, les doutes malgré un amour inconditionnel et démésuré pour mon enfant, l’épuisement, les questions qui, à la fin de l’article, ont pu trouver des réponses. J’avoue que les réponses (notamment lorsque l’on parle d’équilibre), ne me surprennent pas. Seulement, je n’ai pu les trouver et d’en être convaincue qu’après avoir lu cet article avec les vécus qui s’y racontent. Je me sens apaisée. Merci pour ce bijou!
Merci à toi Simone d’avoir pris le temps de le lire. Je t’envoie tout l’amour et tout le soutien du monde.