J’ai violemment paniqué ce matin lorsque j’ai lu les premiers mots du mail d’un senior de l’organisation pour laquelle je travaille : « Please can you explain what you mean by… »
L’une des règles que je me fixe est de ne pas lire mes mails et de n’aller sur aucun réseau social avant que je ne sois assise à mon bureau le matin. J’ai remarqué que lorsque je lis les messages WhatsApp ou des mails au réveil, ce qui est dit dans ces messages donne le ton à ma réflexion. Si quelqu’un me partage un souci auquel il ou elle fait face, ce souci donne le ton à ma réflexion. S’il s’agit d’une tâche professionnelle, elle envahi mon être et le stress qui va avec s’installe en moi dès le réveil.
Un matin calme, loin de l’accès permanent à ma personne que l’hyper-connexion semble vouloir m’imposer est ce qui marche le mieux pour moi. Il rythme ma journée et me permet d’établir en moi une séparation claire entre mes besoins à moi et ceux des autres qui parfois ne me concernent pas mais deviennent les miens parce qu’imprimés en moi aux aurores.
Je déroge parfois à la règle. Il peut arriver que par réflexe j’ouvre une application (satanés réflexes !) ou que je sois dans une période où je ne suis pas assez concentrée sur ma personne, parce qu’absorbée par les affres de la vie, pour que j’ai envie de fuir mes pensées. Alors je fais ce que je ne dois pas faire : je laisse les autres entrer dans ma tête. C’est ce qui s’est passé ce matin lorsque j’ai lu le preview du mail dont j’ai parlé précédemment.
Please can you explain what you mean by…
Pour que vous compreniez la profondeur de ceci, je dois vous présenter une de mes compagnes de vie : la culpabilité. Je ne sais comment vous parler d’elle sans remonter très, très loin dans mon enfance. Aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours sentie coupable. J’étais coupable qu’il pleuve et que la journée soit gâchée, coupable du fait que le riz ait brûlé (alors que je n’étais nullement concernée), coupable du fait que les œufs achetés ne soient pas frais… En gros je me sentais coupable du moindre désagrément ou de la mauvaise humeur de mes encadreurs dans le cadre familial ou autre.
Je me sentais coupable d’être là, un sentiment exacerbé par la moindre déconvenue. J’ai parlé ad-nauseam sur ce blog des résultats des messages explicites, et surtout implicites que nous recevons des adultes autour de nous lorsque nous sommes enfants et de la manière dont ils font de nous qui nous sommes. L’article ‘Famille : quand l’amour et le ressentiment s’emmêlent’ dans lequel je parle du fait de m’être très souvent demandé si je n’avais pas été adoptée et si je n’étais ne serait ce qu’aimée vous éclairera certainement si vous n’êtes pas un habitué de mes écrits et de mon podcast Les Papotages de C.
Cette culpabilité m’a suivie dans ma vie d’adulte. Avant que je ne travaille dessus je peux vous assurer que je vivais l’horreur. Tout ce qui m’était dit était perçu par mes sens comme une accusation. Pourquoi tu as posé le coussin ici plutôt que là ? Pourquoi tu as préféré acheter ce jean plutôt que celui-là ? Pourquoi n’avons-nous toujours pas reçu de réponse du partenaire professionnel à qui tu as écrit il y a une semaine ? Pourquoi ce document est en format PDF plutôt qu’en format Word ?
Je paniquais et perdais tous mes moyens lorsque ce type de question m’était posé. La peur m’envahissait, je perdais mes mots et je me retrouvais incapable de répondre à la question posée de manière cohérente. J’avais l’impression que toute ma vie, tout mon être était questionné, et surtout négativement critiqué. « Pourquoi tu as préféré acheter ce jean plutôt que celui-là » semblait vouloir dire « Mais c’est quoi ces gouts de merde ? Tu n’es pas fichue de pouvoir faire les bons choix pour toi-même ! Tu es tout simplement pathétique. »
« Pourquoi n’avons-nous toujours pas reçu de réponse du partenaire professionnel à qui tu as écrit il y a une semaine ? » semblait vouloir dire « Tu n’es qu’une moins que rien, incapable de faire son travail, incapable d’avoir des résultats dignes de ce nom. Tu n’es pas fichue de faire ne serait-ce qu’un mail correctement, mais comment a-t-on pu te confier cette tâche ? En bref, ce poste ne devrait pas être le tien, tu n’as ta place ici ! »
Je peux vous assurer que j’en perdais le sommeil et je ressassais ce type d’interaction pendant des jours. Je voulais m’enterrer vivante, me faire oublier du monde et faire oublier mes manquements avec. Vous imaginez ce que peut être la vie lorsqu’on marche sur des œufs à longueur de journée parce qu’on a l’impression qu’on gâche tout par le simple fait de respirer ?
Il y a quelques paragraphes, j’ai évoqué mon travail sur moi-même pour sortir de cet état. L’effort a été long, et je ne peux me permettre de dire que la situation est totalement réglée (l’épisode de ce matin le prouve), ou qu’il est possible qu’elle le soit totalement un jour. Deux éléments fondamentaux m’ont permis d’alléger la lourdeur de cette culpabilité que je porte en moi : mon rapport à moi-même et mon rapport aux autres.
J’ai documenté sur ce blog et sur son ancêtre sur Medium mon parcours vers celle que je suis aujourd’hui. J’ai partagé le laid, l’horrible et l’affreux par lesquels je suis passée pour partir de la loque que j’étais (déprimée et au bout de sa vie dans tous les sens de l’expression) pour celle que je suis devenue. Assainir mon rapport à moi-même est l’une des œuvres de ma vie, et elle passe par des étapes qui me brisent de l’intérieur pour continuellement donner lieu à une nouvelle naissance.
La première étape a été celle de définir qui je souhaite être à mes propres yeux. Lu comme ça cela peu sembler extrêmement simple, pourtant ceci implique de se suicider intérieurement pour accoucher d’une autre personne. Cette culpabilité que je portais, et qu’il m’arrive encore parfois de porter a une origine : mon désir d’être acceptée par l’autre qui, finalement, fait de moi celle que je suis selon ce qu’il me dit et la manière dont il me perçoit. La source ? Naitre et grandir dans un environnement où aucune place ne m’a été donnée et où je me suis toujours battue pour être acceptée, ou ne serait-ce que vue.
Ma validation venait de l’appréciation de l’autre, un autre qui est passé des membres de ma famille, à mes camarades, à mes collègues, ou encore mes amoureux. Je n’étais que celle que je pensais que ceux en face de moi auraient voulu que je sois pour satisfaire leurs besoins, les rendre heureux. Leur satisfaction permanente semblait reposer sur mes épaules, raison pour laquelle des éléments tels que la pluie ou l’absence d’une réponse, sur lesquels je n’avais absolument aucune incidence et aucun contrôle, étaient quand même perçus comme des échecs, les miens.
La nature a horreur du vide. Ne pas savoir qui on est c’est remplir cette ignorance de tout ce que l’on peut trouver et qui n’a très souvent aucun rapport avec nous. Quel type de personne souhaitais-je être pour moi, pas pour le reste du monde ? Qui devais-je être pour arriver à m’aimer ? Quel type de valeur devais-je avoir en tant que personne pour pouvoir me respecter ?
Respect. On en parle beaucoup, mais pas toujours de la bonne manière. On exige le respect des autres mais on se demande très peu si nous nous respectons nous-mêmes. Sommes-nous le type de personne à qui nous pourrions accorder notre respect ? Je ne peux apprécier un T-shirt si je l’utilise pour nettoyer mes chaussures sales. L’exemple peut sembler tiré par les cheveux pourtant je parle exactement de la même chose : il est impossible de chérir, ou d’avoir de la considération pour ce qu’on ne respecte pas. Je devais arriver à me respecter pour m’aimer.
Le travail sur mon rapport à moi-même devait commencer par là. J’en ris alors que j’écris cet article, mais lorsque j’ai commencé à me considérer comme une personne digne de respect, j’ai immédiatement cessé d’accepter certains comportements des autres envers moi. Des limites se sont créées, certaines naturellement, d’autres parce que je les ai érigées. Mon « nouveau » comportement n’a pas plus au grand nombre, habitué à me piétiner, mais ceci est un tout autre débat.
Le plus difficile a été de changer mon rapport aux autres dans la mesure où chacun de leur mot me poussait à remettre toute ma vie en question. L’un des éléments qui m’a aidée a été la réalisation de mon manque d’importance. Ceci peut sembler contradictoire à mon propos précédent, pourtant ce n’est pas le cas. Lorsque je parle de manque d’importance ici, je parle du fait de se dire que les gens autour de nous n’ont rien d’autre à faire que vouloir nous blesser par leurs mots. Certains useront de sous-entendus, et nous savons souvent qui sont ces gens, mais qu’en est-il des autres ? Que se passerait-il si ce qu’ils voulaient dire n’était rien d’autre que ce qu’ils ont dit ?
J’ai appris à détacher ma personne des mots des autres. L’explication que mon être donne aux mots n’a pas pour origine ces mots, mais tout un bagage de ressentis qui n’a souvent rien à voir la personne en face de moi. Ses propos ne sont pas analysés sur la base de ses mots, mais plutôt de mon histoire et de mes ressentis, et comme je le dis toujours, feelings are not facts.
Je ne sais malheureusement la traduction la plus fidèle du mot Trigger. Déclencher n’est pas assez puissant. Habituée à être négativement critiquée quand j’étais enfant rend ma perception des questions sur mes actions assez particulière. Elles « déclenchent » quelque chose de profond en moi et me ramènent à la peur de ne pas être « assez » pour être aimée ou acceptée. Ce n’est pas l’intention de l’autre qui est en cause, mais mon vécu.
J’ai appris et continue d’apprendre à n’accorder aux propos que leur premier degré. Pourquoi ce jean ? Parce que je le préfère. Pourquoi le coussin est ici ? Cette question peut être rhétorique, rien ne me force à y répondre. Pourquoi le document est en format PDF ? Si tu le préfères en format Word tu peux le convertir ou je peux le faire et te le renvoyer si ça te facilite la vie. Pourquoi le partenaire n’a pas répondu ? Je peux le relancer si nécessaire, le choix des canaux est large : un autre mail, un appel, un message WhatsApp, une visite dans ses bureaux…
La difficulté jusqu’ici est lorsque je suis en tort, lorsque j’ai commis une erreur et elle est relevée. Mon envie de m’enterrer vivante revient immédiatement. Les 3 phrases suivantes me permettent de garder la tête hors de l’eau :
Je ne suis pas la somme de mes erreurs.
Une erreur peut être rattrapée, si elle ne le peut pas alors je dois rester sur mes gardes pour ne pas la reproduire. Il n’y a absolument rien d’autre à faire.
Ce loupé est une occasion d’apprendre, je ne peux réussir ce que je ne sais pas faire.
Cette semaine au bureau a failli avoir raison de moi, et ces phrases m’ont permis de tenir. J’aurais sombré depuis longtemps si je ne les avais pas imprimées en moi. L’épisode de ce matin s’inscrit dans cette semaine difficile, raison pour laquelle les vieux démons étaient en surface, prêts à bondir à la moindre occasion. J’ai pensé que mon cœur allait s’arrêter ! Qu’avais-je encore fait de mal ou loupé ?
“Please can you explain what you mean by the formatting of the document.” Telle était la phrase complète. Qu’entends-tu par le formatage du document. J’ai eu peur. Très peur. Je me suis forcée à me calmer et à mettre les choses en perspective :
Je suis la spécialiste en communication dans cet échange, je comprends mieux ce qu’est un formatage, peut-être que ce n’est pas le cas pour lui. Il me suffit donc d’expliquer ce que j’entends par formatage.
Peut-être que ce qu’il souhaitait n’était pas le formatage du document mais quelque chose d’autre (ce qui s’est finalement avéré être le cas !).
Peut-être que c’est à moi de lui demander ce qu’il entend par ‘ce que j’entends par formatage’ pour que nous soyons alignés dans cette tâche.
J’ai également appris qu’il faut savoir faire la différence entre être coupable et se sentir coupable. Je ne suis pas coupable, parce que je n’ai finalement rien fait, mais je me sens coupable. L’origine de ce sentiment est la clé vers l’amorçage du processus de guérison.
Zaddy, qui est mon compagnon, est celui en face de qui ces mécanismes que j’ai mis en place ne marchent pas la plupart du temps. L’amour que je lui porte me comble tout autant qu’il rend les choses difficiles. Quand je suis avec lui je ne suis pas sur mes gardes, qu’il s’agisse de gardes positives ou négatives, alors je suis perméable à absolument toutes les distorsions que mon être donne à ses mots.
Il m’arrive d’être profondément blessée par des propos qui, dans un cadre normal sont légers et drôles, surtout lorsqu’ils portent sur qui je suis ou ce que je fais. Il m’a fallu beaucoup de travail sur moi pour cesser de percevoir les désaccords comme des affronts ou des accusations, et je dois avouer que le réflexe premier reste celui de me sentir négativement critiquée.
Effectuer un travail sur soi ne signifie pas annuler ses ressentis. Ils ont une origine qui fait partie de notre histoire et donc de nous. Ce travail est beaucoup plus focalisé sur la gestion de ces ressentis et de l’acceptation de la réalité qu’ils ne sont pas des faits, mais des ressentis. Ce sont des réactions qui ont des origines et non des vérités.
Photo : Hannah Bickmore
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