“Tu as beaucoup changé !”
J’ai beaucoup entendu cette phrase lors de mon récent séjour (éclair) au Cameroun. Elle est souvent venue d’une personne qui m’est proche, une personne qui a le même âge que moi, avec qui j’ai grandi et qui a été aux premières loges alors que je vivais mes frasques d’adolescente et de jeune adulte. Elle est souvent venue d’autres gens également, et le dénominateur commun à toutes ces personnes est que nous ne nous étions pas vus depuis longtemps.
Ce « Tu as beaucoup changé » n’avait pas toujours une connotation positive. Je semblais parfois ne plus être celle qu’on s’attendait à voir, celle avec qui on avait du fun, celle avec qui on pouvait rire de tout partout. Le peu de fois où une appréciation sous-tendait cette phrase venait comme un rafraichissement.
J’ai souvent écrit sur le changement, et le propos central à ces textes a pratiquement toujours été ma peur du changement, ma peur de l’inconnu, ma peur de ne plus être la Moi à laquelle je m’accroche pour me rassurer, surtout dans les moments de grands doutes où un changement est souvent la seule issue positive. Il y a quelques années encore, me dire que j’avais changé resonnais à mes oreilles comme une insulte, une critique négative, une accusation. Je n’étais plus celle qu’on connaissait et qu’on appréciait, et je me suis longtemps empêchée d’évoluer pour ne pas « décevoir », pour toujours fit in, pour continuer de faire partie du groupe même si je savais ne plus y avoir ma place. La peur d’en créer une autre quelque part était paralysante.
J’ai beaucoup réfléchi au changement ces derniers mois alors que je me trouvais au cœur d’un tumulte professionnel. Pour la première fois de ma vie il m’a fallu penser carrière, quelque chose que j’ai toujours rejeté pour garder ma liberté, pour n’avoir aucun ancrage, pour garder la possibilité d’une mobilité à toute épreuve. J’ai réfléchi aux dernières années, à tout ce qui m’a menée où je suis aujourd’hui. Je regarde la date sur l’ordinateur duquel j’écris ce texte et je m’aperçois qu’hier a marqué la quatrième année de ma rencontre avec mon compagnon. J’en parle parce qu’il est l’un des principaux acteurs des grands changements dans ma vie ces dernières années.
Exactement 7 mois avant de le rencontrer j’ai décidé de prendre ma vie en main, de me donner l’espace et surtout les moyens d’être au contrôle de mon existence. J’en ai souvent parlé sur le blog, ceux qui sont des lecteurs de la première heure s’en souviendront certainement. J’ai quitté le cocon familial que j’avais rejoint une fois de plus après les frasques universitaires. J’ai cherché et trouvé un emploi stable pour me prendre en charge, j’ai repensé mon rapport à l’emploi : un poste à mi-temps qui couvre mes charges et des contrats ponctuels qui maintiennent ma mobilité et mon refus d’ancrage. Mon compagnon est entré dans ma vie et tout est allé très vite. Vie ensemble, bébé, famille. Les décisions ont été prises sans grandes difficultés parce qu’elles semblaient évidentes, parce qu’il était et reste pour moi une évidence.
Pour offrir à mon enfant, à notre enfant la vie que je souhaitais pour elle, j’ai repensé une fois de plus mon rapport au travail. Il m’a fallu trouver un boulot solide, avec une rémunération digne de ce nom, ce que le cabinet de ressources humaines Jobbox (dont j’ai souvent parlé) m’a permis de réaliser. Je dois avouer que n’ayant jamais eu de fibre carriériste, je n’ai pas souvent pensé à l’après, ce qui adviendrait après ce poste. Il a fallu le faire très vite, moins de 2 ans après avoir signé mon contrat. Il m’a fallu penser à mon évolution au sein de l’organisation, à la place que je souhaitais y occuper, à ce que je pouvais lui apporter et à ce que je souhaitais en tirer.
Cette réflexion qui semblait se limiter à l’aspect professionnel de ma vie concernait en réalité toute ma vie et ce qu’elle était devenue en moins de 3 ans. La réflexion s’étendait à ma trentaine, ce que j’en avais fait, ce que j’en faisais et ce que je continuerai d’en faire pendant les prochaines années. Je l’ai souvent écrit, je n’avais pas prévu d’avoir 30 ans. Lorsque j’étais plus jeune, je me voyais à 40 ans, étonnamment vieille (je me rends compte aujourd’hui que cette masse de cheveux blancs dans mon imagination est totalement irréaliste !) et apaisée. Je ne sais par quoi ni pourquoi, mais j’ai toujours été assise dans une position confortable et apaisée.
Beaucoup d’entre vous ont eu des plans de vie dès le jeune âge. Ce que je dis souvent est que me trentaine est un pur freestyle car rien n’était prévu. La force de cet état de fait est que tout est à faire, ce qui reste également la grande faiblesse de cette décennie de ma vie. J’ai parfois l’impression de ne savoir ni où je suis, ni où je vais. Alors en toute inconscience je me suis posée et j’ai réfléchi. Je dis en toute inconscience parce qu’en ce qui me concerne ces moments de réflexion viennent avec une vague triste et dépressive, un état que je ne prévois pas et qui affecte profondément ma vie sans que je n’en aie la maitrise. Je vais mal sans souvent trop savoir pourquoi, et mon cerveau se met en marche sans me laisser le temps de comprendre et d’intégrer ce qui se passe.
Changer ma conception du travail signifiait changer ma conception de ma vie. Le travail sous toutes ses formes est au centre de ma vie et mon rapport au travail est directement lié aux autres aspects de cette vie, notamment le Moi, la parentalité ou encore la vie en couple. Me poser professionnellement signifiait penser long terme, prévoir, mais aussi revoir. Comment ne pas vivre l’étouffement a été un point central de cette réflexion. Dans l’article intitulé Comment prendre soin de son enfant j’évoque longuement cette sensation d’enfermement vécue par une personne qui a longtemps été centrée sur elle-même pour se trouver, mais aussi se retrouver (tout ce processus est documenté sur mon Medium). M’ancrer dans une organisation me faisait peur, parce que j’avais l’impression que je perdrais définitivement la part de liberté qui rendait le travail fun et participait à mon bonheur.
Que voulais-je pour moi, que souhaitais-je pour ma famille, et comment est-ce que je voyais cette famille, comment la configurer pour qu’elle soit adaptée aux besoins des 3 membres qui la composent sont des questions qui m’ont tenue éveillée la nuit et conservée en mode zombie le jour. Comment ne pas perdre mon individualité et respecter celle des autres était à la base de tout ceci. Je peux le dire aujourd’hui avec clarté car j’ai traversé cette phase, mais tout n’a pas toujours été aussi limpide. Après une longue réflexion et une longue discussion avec mon compagnon nous avons compris qu’il nous fallait changer notre manière de vivre notre vie de famille. Le modèle classique ne nous allait pas, il nous fallait nous focaliser sur notre épanouissement individuel et ensemble, laisser à chacun l’espace et le temps d’être lui ou elle, d’être compagnon ou compagne, d’être parent ou enfant, d’être seul, d’être 2, d’être 3.
Selon le modèle de famille classique on est ensemble tout le temps et toute idée de départ est vu comme un abandon, une trahison. Ce qui marche pour nous est le fait d’embrasser ces départs et d’en tirer le maximum. Le temps passé seul avec soi-même est important pour nos réalisations personnelles, pour une réflexion individuelle sans distraction, pour des accomplissements qui nous servent à nous pour nous. Le temps passé rien que tous les deux solidifie notre relation. Nous ne sommes pas que des parents, nous sommes deux personnes qui ont fait le choix d’être ensemble et ce pour une raison précise, une raison souvent dissoute par les réalités du quotidien familial. Le temps passé seul, chacun avec notre enfant nous permet de tisser un lien spécial avec lui sans je dirais l’intrusion de l’autre parent, un moment de vie à deux pour apprendre à se connaitre sur une base individuelle. Le temps passé hors de la maison par l’enfant lui permet d’apprendre et de comprendre qu’il est un individu à part entière, une personne mobile qui peut tisser des liens ailleurs et prendre du bon temps avec d’autres gens que ceux avec qui il vit au quotidien. Je supplie Bébé Caramel de rentrer à la maison après quelque temps ailleurs sans succès. Je suis heureuse de la voir épanouie ailleurs qu’avec moi, qu’avec nous.
Quand je vais la voir je remarque des traits de caractère que je ne lui connaissais pas. Elle est très affirmée, et j’ai aujourd’hui l’assurance qu’elle sait se battre pour elle-même, qu’elle sait se faire entendre, qu’elle sait se défendre. Je ne la savais pas bagarreuse et je suis fière de la voir réclamer ce qu’elle estime être à elle.
Vous me demanderez ce que tout ceci a à voir avec le tumulte professionnel vécu. C’est très simple. La sensation d’enfermement ne tire quasiment jamais ses sources d’où on pense. La restructuration de ma famille m’a donné l’occasion de me développer, de changer, d’en vouloir davantage pour moi-même. Elle a renouvelé ma rage d’accomplir de grandes choses, d’être là pour moi en étant là pour ma famille, et cette évolution professionnelle qui semblait si effrayante fait sens aujourd’hui. Le désir de liberté quelque part compense toujours une sensation d’enfermement autre part. Il m’a fallu trouver un équilibre, me redéfinir, redéfinir ma perception de ce que je veux pour moi et pour les membres de ma famille restreinte pour comprendre qu’au lieu d’être vu comme une prison l’avancement professionnel peut être perçu comme un défi personnel, une opportunité d’en donner plus et d’en demander plus. Je sais que ce ne sera pas facile, mais je n’y vais plus le dos courbé. J’ai la tête haute et le cœur palpitant d’impatience.
Pour en revenir au changement, sujet principal de cet article, ce qui est perçu et rejeté par les autres est le résultat d’un processus dont ils ne connaissent ni les tenants, ni les aboutissants, un processus profondément personnel qui ne peut qu’être vécu seul, un combat d’un Soi contre un autre qui donne naissance à une version de nous qui nous convient selon le moment que l’on traverse. Refuser de faire face à ce processus pour continuer d’être apprécié des autres c’est refuser d’être là pour soi et de donner la priorité aux personnes étrangères à notre monde intérieur, monde qui définit et oriente nos rapports à l’extérieur.
Cette dernière phrase marque le retour du blog, un changement majeur après plus d’une année de présence plus teintée d’absence qu’autre chose. La plateforme telle qu’elle était sous sa forme et dans son fond n’était plus en accord avec qui je suis aujourd’hui et où je me vois. J’avais la sensation que les sujets abordés n’étaient plus alignés à mon évolution personnelle. A mon âge et selon mon statut (membre de ma famille et parent de mon enfant) l’humain ne se définit plus que par sa vie à lui tout seul. Bien que son individualité reste ma priorité, il fait partie d’un tout social sur lequel je souhaite également réfléchir. J’ai commencé cette réflexion sur la newsletter Par C. Befoune, et je souhaite la poursuivre ici. Je sais aujourd’hui que mener la réflexion sur moi et sur les autres de manière séparée c’est affaiblir mon processus de réflexion et donc les résultats partagés avec vous. Vous l’avez certainement compris, la newsletter n’existera plus et je n’ai pour le moment pas l’intention de la relancer. La réflexion menée là-bas sera menée ici, sur ma plateforme principale d’expression.
Je remercie ceux qui m’ont apporté leur soutien et avec qui j’ai vécu l’aventure de la newsletter. Merci du fond du cœur. Entrtenir 3 plateformes n’est pas facile, alors je préfère me focaliser sur les 2 principales, à savoir le blog et le podcast. Si vous souhaitez continuer de soutenir le blog et le podcast en me payant des « cafés » ou en sponsorisant l’achat de livres parce que vous estimez que ce que je partage ici en vaut la peine, je vous en serai reconnaissante.
En parlant du podcast, je profite également de ce moment pour annoncer le retour de Les Papotages de C.. Comme le blog, le podcast est différent par sa forme et par son fond. Dans la même lancée que le blog qui lui a donné naissance, il a été redéfini, s’est plus professionnalisé (oui il y a un jingle et une intro à présent, ce qui en étonnera plus d’un) et est nettement plus centré, ce qui est en droite ligne avec la manière dont je vois évoluer mes plateformes d’expression. Ces changements ne plairont pas à tous, j’en ai conscience, mais comme je l’ai toujours dit j’ai besoin d’être en accord avec ce que je produis pour que cette obsession du partage ne me quitte pas. Vous le savez déjà, je me donne le droit de changer d’avis, ce qui fait partie de mon évolution (que ceux qui se souviendront de mon rejet de musique sur le podcast le gardent à l’esprit).
Demain sera publié l’épisode 38 qui porte sur un grand changement dans ma vie : le renouement d’une relation avec mon petit frère après 10 ans sans se parler. Je partage dans cet épisode les raisons de son éviction de mon univers, mais aussi et surtout pourquoi je suis retournée vers lui et comment s’est passé notre première discussion après une décennie de silence et d’effacement de l’un dans la vie de l’autre. En attendant je vous laisse voir en avant-première le nouveau visuel du podcast à droite de l’écran si vous etes sur ordinateur ou tout en bas de la page si vous etes sur téléphone.. Je dois avouer que je l’adore, comme tout ce qui suivra en termes de contenu partagé.
Digressions n’a aucun compte sur les réseaux sociaux, alors pour suivre les activités de Befoune, qu’il s’agisse de ses publications sur le blog Digressions et le podcast Les Papotages de C.,ou les événements qu’elle organise, abonne-toi à sa newsletter sur Caramel & CO.
4 comments
Je me suis reconnue dans tes écrits. Bon retour !
Bienvenue dans notre monde !
Welcome back, si tu voyais le sourire sur mes lèvres en ce moment. L’une des choses les plus difficiles pour moi c’est d’admettre que j’ai changé et l’autre c’est d’accepter que ça change ma relation avec mon entourage et qu’il a le droit de ne pas aimer et de partir. Je sens que je vais adorer la suite.
PS je n’aime toujours pas les intros de podcast mais j’écoute quand même 🤣🤣🤣🤣
Le changement reste dans ma vie l’une des choses les plus effrayantes.
Pour l’intro j’espere que tu vas apprecier !