Réalité, entre impressions et certitudes

11 minutes

Le chat de Shrödinger.

Depuis 4 semaines déjà, Digressions a lancé son premier atelier d’écriture Lire utile pour écrire utile (et interagir utile pour ceux qui veulent la version longue de l’intitulé).

L’atelier réunit pendant 8 semaines 5 participants qui souhaitent écrire utile, chacun pour des raisons diverses (écriture prochaine d’un livre, un blog nettement plus pertinent, un message plus structuré, un poste dans une entreprise de renom…).

Etant donné que je suis une amoureuse du travail pertinent et bien fait, l’atelier n’est pas toujours une partie de plaisir. On passe par des questionnements, des envies de se barrer et des changements de style et de contenu à 180°.

Mais ce n’est pas pour ça que je suis ici aujourd’hui.

Dans le cadre de l’atelier j’ai donné un exercice aux participants, et je suis tenue de me plier à l’activité moi aussi. Il s’agit pour nous de lire un texte qui n’a absolument rien à voir avec nos centres d’intérêts (texte ici) et de rédiger un article pertinent pour notre audience à partir de ce texte. Oui, c’est ça aussi lire utile. Analyser et trouver des similarités utiles à des concepts qui semblent parfois ne rien à voir ensemble.

C’est donc la raison pour laquelle je vous parle aujourd’hui du chat de Shrödinger. 

Je sais, après le cerveau reptilien ça fait beaucoup, mais ne vous en faites pas : Digressions ne devient pas un laboratoire scientifique !


Je vous passe les détails et je vais droit au but.

Un chat est enfermé dans une boîte avec un dispositif supposé le tuer. Il est clair que le chat a été enfermé dans la boîte vivant, et il est clair que le dispositif est hautement mortel. Pourtant l’expérience scientifique ne peut être considérée comme accomplie que si la boîte est ouverte et l’état du chat est visuellement constaté.

Tant que la boîte reste fermée, le chat n’est ni mort, ni vivant.

Tant que la boîte reste fermée le chat est mort et vivant à la fois.

Oui, c’est bien ça. On ne sait absolument rien de son état alors tout est possible.  Les impressions ne comptent pas dans le milieu scientifique. Seules les preuves comptent. Ce qui n’a pas été prouvé ne compte pas et parfois n’existe pas.


« J’ai l’impression que… »

Chaque fois qu’une personne vient vers moi avec cette introduction à ce qu’elle considère être un problème, je n’écoute pas la suite. Ça m’évite de perdre du temps. On ne peut baser toute une conversation et toute une analyse sur une impression. Que se passera-t-il lorsqu’on aura toutes les 2 conclu que ton mec te trompe parce qu’il prend des distances, qu’il serait préférable de repenser la relation et qu’on découvrira qu’en fait il a des problèmes d’argent et ne savait pas comment t’en parler ?

Quelle que soit la situation, feelings are not facts. 

J’ai longtemps cru le contraire avant d’arriver à cette conclusion. Je ne vous dis pas le nombre de fois où j’ai pensé qu’une personne  ne m’appréciait pas parce que j’avais l’impression que, ou qu’une autre était comme ci ou comme ça parce que j’avais l’impression que

Le véritable problème n’est pas d’avoir une impression. Ça c’est normal, on a tous des impressions, nous sommes paramétrés comme ça. Le problème est la réflexion que crée l’impression, et la conclusion tirée qui finit par faire de l’impression un pseudo-fait auquel on s’accroche mordicus.

Avez-vous déjà écouté une discussion entre 2 commères du début à la fin ? Voici un exemple, qui vous permettra de peindre un tableau plus ou moins fidèle à ma pensée :

– J’ai vu Axelle sortir hier, elle portait une robe très très courte.

– Hum ! C’est sûr qu’elle allait voir un homme !

– Je t’assure. Je ne la vois qu’avec des vêtements moulants, je suis certaine que c’est une aguicheuse.

– Elle sera enceinte très prochainement. Les petites filles d’aujourd’hui ne savent pas que le sexe c’est pour les grands.

– Et c’est comme ça qu’elles arrachent nos maris ! Ça me rappelle que j’ai vu cette même Axelle discuter hier soir avec le mari de… Je l’ai même vu lui donner de l’argent.

– Voilà ! C’est exactement ce que je disais. Elles détournent et ruinent les maris des gens ! Et quand elle sera enceinte de lui elle jouera à l’étonnée.

– En tout cas nous sommes ici. Attendons seulement de voir le ventre ! C’est pour bientôt.

Et chaque fois qu’Axelle passe devant l’une ou l’autre de ces 2 personnes, elles regardent attentivement son ventre attendant patiemment que le mari de… tombe dans le fameux piège : faire un bébé à l’arracheuse d’époux.

Axelle porte des robes courtes parce que c’est son style, mais personne ne lui a posé de question à ce sujet. Axelle n’a aucune volonté d’attirer un quelconque mec car elle est lesbienne, mais personne ne s’y est intéressé. Le mari de… devait de l’argent à Axelle. Elle a payé pour lui au super marché parce qu’il avait oublié son portefeuille.  Et Axelle ne peut avoir d’enfant car elle est stérile et le sait depuis 2 ans déjà. 

Le chat de Schrödinger.

Tant qu’on n’a aucune preuve qu’elle soit matérielle ou immatérielle, cette réalité à laquelle on croit croire doit être questionnée, surtout lorsqu’on part d’une impression. Les 2 commères qui se sont créés une réalité attendent un bébé qui ne viendra jamais. Aucune certitude ne doit être adoptée sans preuve concrète car au final…  on ne sait pas.

Je parle d’Axelle et de ses robes et certains d’entre vous rient certainement. Oui, ces commères ! Elles sont de véritables fléaux ! Pourtant ce phénomène est bien plus profond, surtout sur le plan de la réflexion personnelle.


Je prépare un épisode de podcast sur la dépression. Je dois avouer que j’ai beaucoup de mal parce qu’étant plus ou moins saine d’esprit ces derniers mois, je dois fouiller dans mes moments les plus sombres pour expliquer clairement non seulement ce qui m’est arrivé durant ces périodes-là, mais surtout ce que j’en pense.

Parmi les nombreuses raisons pour lesquelles j’ai souvent sombré, considérer mes feelings comme des facts occupe une place de choix. Ça peut partir d’une phrase lancée par quelqu’un sans vraiment y réfléchir, ou d’une pensée qui me traverse l’esprit comme 5 000 autres le font par minute.

Très certainement parce que cette phrase ou cette pensée coïncide avec un doute que j’ai, je tombe dans une spirale de réflexion noire. Effectivement ma vie n’a absolument aucune chance de décoller (pourtant je n’ai aucune boule de cristal à consulter). C’est bien vrai, je ne serai toujours qu’une merde (aucune formule mathématique ne permet de le prouver). Tout à fait, je ne suis pas aussi aimable qu’il le faut et mes amis ne m’apprécient certainement pas autant qu’ils le prétendent… ils font peut-être même des commérages dans mon dos (pourtant je ne suis pas là quand ils ne sont pas avec moi (tautologie) du coup je ne peux pas savoir).

Il en va de même lorsque mon travail est engagé. Ma newsletter My Little Monde existe depuis 1 mois déjà. Elle rassemble aujourd’hui bien plus d’une centaine de personnes ce qui me ravit. Sauf que 2 personnes se sont désabonnées, dont une que je connais personnellement. J’ai senti la vague gagner en force, prête à tout balayer sur son passage.

Ça signifie que ma newsletter n’a aucun sens ? Si même cette personne que je connais s’est désabonnée est-ce que ça signifie qu’elle ne m’apprécie plus ? Ai-je dit quelque chose d’offensant qui les a poussées à s’en aller ? 

STOP ! C’est ce que je me dis lorsque je commence à perdre pied. Stop. Rien ne sert de spéculer parce que je ne sais absolument pas les raisons pour lesquelles elles se sont désabonnées. La seule manière pour moi de savoir est de leur poser la question, mais est-ce que ça en vaut la peine ? Si j’ai 1 000 désabonnements sur 2 ans, est-ce que j’enverrai 1 000 mails de demande d’explication ? Ça me ferait plus de mal que de bien. Dans ce cas, qu’elle soit ouverte ou fermée, ce qu’il y a dans la boîte ne vaut pas la peine que je vérifie.

J’ai appris 3 choses essentielles dans cette vie. Je me base sur des faits, je ne me penche pas sur ce qui crée du stress mais qui ne m’apporte absolument rien à la fin de la journée, et ce qui ne m’a pas été dit en face n’existe pas. J’ai déjà expliqué le 2 premiers points, permettez-moi d’expliquer le troisième. Lorsque quelqu’un me dit que quelqu’un d’autre a dit quelque chose de négatif à mon propos, cela me mettait dans une situation très inconfortable.

Premièrement je sombrais dans une tristesse profonde. A l’époque je voulais être acceptée de tous pour avoir de la valeur à mes propres yeux, alors mon insécurité et mon sentiment d’infériorité prenaient un coup dans le ventre. Cela me hantait. Qu’avais-je bien pu faire pour que cette personne pense cela de moi ?

Ensuite je ne pouvais confronter la personne. Du moins c’est ce que je pensais à l’époque. Celui ou celle qui était venu me parler l’avait implicitement fait sous le sceau du secret, alors ça aurait été très inconfortable pour lui ou elle que sa confidence soit dévoilée. J’étais donc destinée à vivre toute seule ces tourments sans aucune possibilité de savoir ce qu’il en était vraiment.

Aujourd’hui ? Les choses ont changé. Premièrement mon cercle d’amis ne comporte aucune personne qui vient me dire à moi du mal d’un ou d’une autre de nos ami(e)s. Ce qui signifie que je ne m’entoure plus de ce type de personnes. Ensuite, si la personne qui est supposée avoir parlé de moi en de méchants termes n’a jamais eu le courage de me le dire en face alors elle ne sait ni ce qu’elle veut (pourquoi me côtoyer dans ce cas ?), ni ce qu’elle fait. Alors ça n’a aucune importance pour moi.

Je n’y accorde aucun sentiment, du coup il n’y a aucune manière pour moi d’en faire consciemment ou inconsciemment un fait. Je ne crois que ce que je vois, et ce qui n’est pas assez fort pour se faire voir ne mérite pas que j’y accorde de l’attention.

Exactement comme tout passionné de science qui se retrouverait face à une boîte supposée contenir un chat un peu mort et un peu vivant à  la fois.


J’espère de tout cœur que vous vous intéresserez au chat de Shrödinger. Je vous préviens, il s’agit de physique quantique, d’atomes, de macroscopie et de microscopie, mais c’est ce qui rend la chose intéressante : découvrir quelque chose de très éloigné de notre réalité et se rendre compte que non seulement c’est intéressant, mais en plus ça fait partie de notre réalité qu’il s’agisse de science ou de faits quotidiens.


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


Digressions n’a aucun compte sur les réseaux sociaux, une situation qui n’est pas près de changer. Pour vous tenir informés des activités ici, abonnez-vous au blog, tout simplement. 

Je suis disponible par mail à l’adresse mesdigressions@gmail.com et sur Instagram à @c_befoune.

Retrouvez-moi également sur mon podcast Les Papotages de C. et rejoignez ma classe virtuelle  My Little Monde.

10 comments
  1. Je connaissais déjà l’expérience du chat de Shrödinger mais j’avoue que je n’avais jamais fais le parallèle avec des exemples qui m’étaient réellement arrivés. Ton analyse est très poussée et me donne à réfléchir. Surtout que pas plus tard que ce matin je me suis donné la migraine à imaginer pourquoi Mr avait l’air de m’en vouloir. Le plus simple comme tu dis c’est de poser la question directement si on estime que la réponse en vaut la peine. Merci 😊

      1. Oui oui. J’ai failli éclater de rire (ce qui m’aurait causé encore plus de problèmes) quand il m’expliquait ce qui le préoccupait en réalité. Ça n’avait absolument rien à voir avec moi 😅

  2. Euye, les gens qui aiment le congossa n’ont pas parlé ici?
    En tout cas, moi-même les « j’ai impression que » me pioncent grave.
    J’ai appris le temps de me contenter des faits plutôt que des impressions.
    La vie est simple; Notre cerveau nous joue beaucoup de tours jusqu’à nous mettre dans les problèmes.
    J’ai un balais spécial pour chasser les mauvaises pensées. Pas évident mais on va y arriver.

  3. Feelings are not facts…
    Beaucoup de choses évoquées que j’ai moi même adopté dans ma vie. Certaines situations arrivent et font parfois mal, mais a quoi bon se tracasser les nerfs à cause des insécurités des autres.
    Life is too short to stress…
    J’ai bien aimé l’histoire des deux commères et la leçon qui a suivie.
    Merci pour cet article.

  4. Hi @Befoune

    « « J’ai l’impression que… »

    Chaque fois qu’une personne vient vers moi avec cette introduction à ce qu’elle considère être un problème, je n’écoute pas la suite. » 😂😂😂 Ékié! N’est-ce pas trop dur? J’imagine un peu quelqu’un en train de s’apprêter à te dire par exemple (avec raison) « J’ai l’impression qu’il risque de pleuvoir. N’oublie pas de prendre un parapluie en sortant. »🤔

    « Tant qu’on n’a aucune preuve qu’elle soit matérielle ou immatérielle, cette réalité à laquelle on croit croire doit être questionnée, surtout lorsqu’on part d’une impression.  » Wow! Bien dit, très pertinent, merci.

    « Sauf que 2 personnes se sont désabonnées, dont une que je connais personnellement. » Ma Patronne aime souvent dire « On ne peut pas être une solution pour tout le monde ». C’est malheureusement vrai même (/surtout ?) en ce qui concerne nos proches. Donc ces désabonnements ne sont pas graves, même s’il n’est pas toujours possible d’en être complètement détaché.e émotionnellement. (Nouvel abonné) J’ai reçu et lu la Newsletter 2 fois, et franchement c’était très intéressant.👏🏾👏🏾👏🏾 Si « My Little Monde » est une solution pour au-moins UN humain sur ce plancher des vaches, c’est déjà génialissime, et c’est selon moi le plus important.

    « Feelings are not facts » 👌🏾👌🏾👌🏾

    Merci pour cet article. Un délice, avec le chat de Shrödinger habilement mis en introduction, et « l’histoire » d’Axelle – malheureusement si fréquente.

  5. Je ne suis pas encore remise de ton podcast sur le mythe de la passion, et j’ai hate de découvrir celui sur la dépression car le sujet me touche particulièrement. Pour moi la la question c’est comment déconstruire ces schémas de pensées automatiques que nous avons, cette tendance à « surpenser » et « surréflechir »?
    Et comme toujours j’apprécie ta manière méthodique de traiter tes sujets. C’est comme si tu décortiquais ton cerveau, comme si tu le passais au scalpel pour en comprendre le fonctionnement, démêler le vrai du faux, retenir le bon et t’adapter au mauvais. Ca demande un certain recul que j’espère avoir un jour.

    « Feelings are not fact! »

    1. Tu ne sais à quel point j’aimerais poser mon cerveau sur une table juste pour pouvoir l’observer Madina !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *