Août 2019 : mon année est-elle partie en fumée ?

14 minutes

Août 2019.

Le 7e mois de l’année.

Sur Instagram je vois de nombreux messages supposés être motivants, des messages qui nous rappellent depuis juin que nous avons traversé la moitié de l’année. Des messages qui nous demandent de nous reprendre en main si nous en avons besoin afin que la deuxième partie de l’année ou les mois restants ne s’en aillent pas vainement.

L’initiative peut se résumer à une seule et unique question : qu’as tu fais de ta vie en 2019 ?

Certes, ces visuels colorés me rappellent ma situation actuelle, mais je ne les ai pas attendus pour me faire un sang d’encre. Qu’ai-je fait de mon année ? Où est-elle passée ? Que puis-je montrer au monde, quels sont les résultats de mes actions, qu’ai-je créé ou nourri d’utile de janvier à août 2019 ?


Je n’ai jamais été quelqu’un de très anxieux. Je n’en ai pas le souvenir en tout cas. Pourtant ces derniers temps j’ai l’impression de suffoquer en moi. J’ai l’impression de porter sur les épaules un poids égal à celui de mon propre corps. Je ne sais comment l’expliquer. C’est la seule image qui me vient : moi, me portant moi-même sur mes épaules. Mes réflexions ne sont que questionnement, des questions sous lesquelles j’ai l’impression de me noyer.

Cette situation entraîne des crises de colère noire. Tout ce que je déteste. Je passe de l’apaisement à l’énervement en 3 secondes. Le seul moyen de me calmer est de dormir. Sinon je cesse de parler, je me ferme complètement, je rejette toute personne autour de moi et je rumine mes pensées noires. Dormir me calme. Je me réveille plus lucide, à même de relativiser et de me poser les bonnes questions.

Depuis le début de l’année je vais d’un grand changement à l’autre sans transition. Un mec, un petit humain, moi femme (bien que je rejette cette idée), un déménagement, une nouvelle base, une nouvelle vie. Beaucoup de choses se passent en même temps, et c’est lourd à porter. M’installer dans ma nouvelle vie est difficile sur le plan personnel.

Il ne s’agit pas forcément de grands événements. Certains peuvent même sembler dérisoires parfois. Prenons comme exemple le nouvel appartement. Lorsque je me suis installée dans mon appartement précédent en juin 2018, je l’avais pensé, je l’avais rêvé, je l’avais planifié. Je savais exactement quel esprit je voulais dans chaque pièce, quelle couleur dominerait la décoration de chaque espace. Je suis une férue de décoration, comprenez-moi.

Cette fois-ci tout est différent. Je n’ai pas eu le temps d’y penser, alors j’ai l’impression de vivre dans le chaos. J’ai l’impression que rien n’est en accord avec rien, que tout, bien que neuf, est à l’abandon. L’aménagement n’est pas terminé, mais j’en suis déjà à me dire que ça n’ira jamais, que si le salon est encore plein de sacs pas défaits c’est parce que je suis une incapable, incapable de faire de sa maison un lieu d’habitation digne de ce nom.

Cet espace est tout nouveau pour moi et j’ai l’impression de ne pas arriver à me l’approprier. Je passe de 0 employé de maison à 3, et ça me hante. Ma femme de ménage n’arrive pas toujours à nettoyer aussi bien que je le veux et voir des traces de poussière me met en rogne. Ces traces me rappellent ma condition actuelle, celle d’une femme sans énergie incapable de faire son propre ménage et obligée de se reposer sur des gens qui ne le font pas aussi bien qu’il le faut.

Je fais des crises d’anxiété et je rêve de poussière dans la nuit.  Je n’en peux juste plus. 

Nouvelle maison. Vie de famille. Je comprends enfin ce qu’est la charge mentale et je la déteste du plus profond de mon être. Je déteste me réveiller le matin avec comme première pensée « Qu’est-ce qu’on mange aujourd’hui ? » Je déteste passer 3 heures en cuisine plus souvent qu’il le faut. Je ne veux pas de cette vie de femme. Elle est triste et me déprime.

Je veux créer. Je veux travailler sans relâche comme avant. Je veux me réveiller, attraper mon ordinateur et ne passer la journée qu’avec lui et une tablette de chocolat. Je ne veux pas me soucier du monde. Je ne veux pas que mon estomac brûle parce qu’il est l’heure de manger alors que je n’ai pas faim. Je ne veux pas me soucier de l’absence de la femme de ménage parce qu’elle va faire la fête dans son village. Je ne veux pas qu’une employée de maison me parle de ses problèmes de transport. Je ne veux rien savoir de ces gens. Je veux mon ordinateur et ma tablette de chocolat.

D’un autre côté je veux que tout se passe bien. Que tout soit parfait. Que tout soit fait comme il faut et que tout soit à sa place. Je suis une control freak  et jusqu’ici ça m’a toujours bien réussi. J’ai toujours eu le contrôle sur tout et j’ai toujours su comment gérer. C’était plus simple avant parce que la charge était minime. Petit appartement d’une seule personne dont les besoins se résumaient à très, très peu de choses : une connexion internet fiable pour travailler toute la journée.

Je sais consciemment que je ne peux appliquer d’anciennes méthodes à de nouvelles situations. C’est de là que viennent mes crises d’anxiété. Je me sens incapable parce que je ne sais pas comment gérer tout ceci. Le pire dans l’histoire est que le petit humain n’est pas encore là et c’est déjà le chaos. Qu’en sera-t-il lorsqu’il apportera un nouveau type de changement, type auquel je ne suis pas du tout préparée ? J’angoisse 7 000 fois plus rien qu’à cette idée.

Il y a tellement de choses à faire, et j’ai trop peu de temps et d’énergie pour m’y consacrer. J’ai la ferme croyance que je ne m’en sortirai jamais, et ce n’est que le début. Il me faut de nouveaux systèmes, créer et huiler de nouvelles machines, déléguer au maximum ce qui peut l’être… Déléguer. Le simple fait de le dire m’angoisse. Et si ce n’est pas fait comme il faut ? Et si tout est chaotique parce que je n’ai pas tout fait moi-même ?


2019 semble être pour moi l’année de la grande dépression.

Je ne parle pas ici du fait de déprimer. Non. Je parle de l’effondrement de tout, comme à la bourse. Je parle de l’explosion à partir des bases.Je parle de tout remettre en doute et de tout recommencer à zéro.

En 2018 j’ai dit vouloir vivre une vie d’adulte. Il faut faire attention à ce pour quoi on prie. Pour moi, être adulte se limitait à m’assumer moi en tant que personne, moi toute seule. L’équilibre était trouvé. Passer de 1 à 3 sans transition…. Le plus bête dans l’histoire est que le papa du petit humain n’a nullement besoin de moi pour prendre soin de lui ou s’en sortir dans quoi que ce soit. Pourtant… ça ne m’empêche pas de culpabiliser chaque fois qu’il dit avoir faim ou soif. Ces phrases dites sans arrière-pensée aucune me donnent l’impression d’échouer lamentablement.

Anxieuse au point de devoir me couper les ongles pour ne pas les ronger, j’ai eu une discussion une nuit (il était 3 heures du matin) avec mon amie Françoise. Je vous en prie, entourez-vous de gens avec qui vous pouvez parler franchement de vos problèmes, de gens qui vous diront la vérité et qui n’auront pas peur ou honte de s’ouvrir à vous eux aussi. Je ne peux vous dire à quel point je suis bénie d’avoir ce type de personnes autour de moi. 

Mais ne digressons pas.

J’ai parlé à Françoise d’un problème très curieux auquel je fais face et qui me pousse à angoisser à mort : l’image de la maison parfaite. Outre l’obsession du rangement et de l’harmonie des couleurs, je vis très mal le fait qu’il n’y ait pas de repas cuisiné dans la maison. Je le vis très, très mal. J’ai l’impression de mesurer ma valeur à ma capacité à nourrir les personnes dans ma maison. Je passe un nombre incalculable d’heures à penser nourriture et à cuisiner lorsque je ne suis pas seule.

Le papa du petit humain me l’a dit de nombreuses fois, je ne suis pas venue sur terre pour être sa boniche et le nourrir, mais rien n’y fait. Il est 12h 19 alors que j’écris ce texte et rien n’es prêt parce qu’il m’a interdit d’allumer le moindre foyer aujourd’hui. J’en suis malade. Malade. Ma-la-de. 

Avec Françoise nous avons parlé du fait qu’on peut vouloir se débarrasser de tout ce qui nous réduit au statut de « femme de maison », mais le conditionnement est parfois tellement fort qu’il suffit de se retrouver dans une situation pour que tout le travail fait sur nous-mêmes vole en éclat. 

Je n’arrive pas à croire que moi, Befoune fille de Befoune, je m’enferme dans la cuisine des heures durant et j’angoisse quand rien n’est prêt. L’écrire me fait du bien, parce que je dois avouer qu’il a été difficile de me l’avouer à moi-même. Si j’en suis là alors que le petit humain n’est pas encore né, où serai-je une fois que je porterai la double casquette de compagne et mère ? Et là j’angoisse !


Qu’ai-je fait de mon année ?

A mon avis rien. 

Malgré tous les visuels de rappel postés sur Instagram, j’ai l’impression que 2019 est pour moi une année perdue. Je me suis posée la question de savoir pourquoi, et je me suis rendue compte que c’est parce que je définis ma valeur par rapport à mes réalisations.

Je n’ai rien réalisé sur le plan professionnel, du savoir et/ou créatif en 2019. 

Au contraire, j’ai l’impression d’avoir régressé de manière effrayante.

Je n’ai pas cherché de nouveau boulot, je n’ai pas mené une action louable, je n’ai quasiment rien lu et je n’ai jamais été aussi peu informée. Et ça ne changera pas de si tôt. J’ai un petit humain à faire venir au monde, j’aurai encore moins de temps pour tout ça. D’où la sensation de noyade. Mon unité de mesure est à l’indice zéro.

2019, année perdue.


Une petite voix me crie que ce n’est pas vrai, mais elle est tellement faible que j’ai du mal à l’entendre ou à lui donner du crédit

« You are not wasting your time if you are taking time to get your shit together. »

Je n’arrive pas à me souvenir où j’ai lu cette phrase. Certainement sur un visuel Instagram. 

En 2019 j’ai passé beaucoup plus de temps à me recréer un équilibre. Avec chaque changement je sombre puis j’essaie de me relever. Le plus grand est à venir. 

En 2019 j’ai appris à me regarder en face et à me dire « Tu ne peux pas tout faire, tu ne peux avoir la charge de tout. » Il est vrai qu’il y a un fossé entre le fait de se le dire et y croire.

En 2019 j’ai combattu jusqu’au sang la femme en moi. Je ne l’aime pas. Je ne veux pas qu’elle vive. Elle ne se laisse pas faire et veut sa part de lumière. Je la déteste pour ça. Elle a trop de limites naturelles et me ralenti. Je la déteste. Mais sans elle, tellement de choses n’auraient pas été possibles. Elle m’oblige à faire face à une part de moi que j’ai rejetée pour avancer sereinement. Elle me met à genoux devant elle et me parle comme à un enfant. Je la hais du plus profond de mon être et je refuse de lui donner la place qu’elle exige.  

En 2019 j’ai changé de vie et je me suis révélée plus que jamais à travers Digressions. J’ai partagé au grand jour des histoires personnelles, destructrices, traumatisantes. J’ai réussi à créer des discussions autour de sujets parfois tabous ou effrayants.

En 2019 je me suis mise en relation avec l’homme le plus patient et compréhensif de la terre. Sans lui, il n’y aurait tout simplement pas eu de 2019.

En 2019 mon activisme s’est concrétisé : j’ai fabriqué un petit humain. C’est bien beau de dire à des êtres sur qui on a aucune influence de devenir de meilleurs citoyens. A présent que je dois définir le cadre d’évolution d’un être humain entier, serai-je en mesure de lui inculquer toutes ces bases que je sais cruciales pour des sociétés meilleures ?

En 2019 j’ai beaucoup pleuré parce que je me suis souvent sentie perdue. J’ai été perdue. Je le suis encore et, visuel Instagram ou pas, je le serai jusqu’à la fin de l’année. Je défriche sans même m’en rendre compte un nouveau chemin dans une forêt dont la densité ne permet de voir ni le ciel, ni le sol.


La petite voix qui me souffle tout ceci ne fait pas le poids devant mon unité de mesure, une unité de mesure qui me pousse à vouloir casser mon téléphone chaque fois que ces visuels supposés être motivants apparaissent sur mon écran. 

Le grand défi de 2019 est la redéfinition de la manière dont je mesure ma vie. Ma vie professionnelle ne peut plus être toute ma vie, et je ne veux plus me sentir aussi perdue quand elle n’est pas au premier plan. Mon unité de mesure actuelle est source de mon anxiété et de mon angoisse. Mon année a été plus que riche et je n’arrive même pas à l’accepter pour la simple raison que j’ai piétiné dans le domaine professionnel.

C’est risible.

Sauf que ça ne me fait pas rire.

Aujourd’hui il n’y a plus que moi et ce que je veux. Je suis passée de 1 à 3.  Il n’y a plus que moi au contrôle. Je dois parfois accepter de lâcher la barre. Je m’y accroche malgré les horribles ampoules qu’elle me cause.

2019 c’est tout ceci en réalité. 2019 c’est moi qui me cherche et qui me trouve dans des endroits auxquels je n’aurais jamais pensé. Dans la cuisine, par exemple.

Photo : Lisa Fotios

 

PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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6 comments
  1. Meuf, je t’avoue qu’on sent vraiment perdre son année quand on est enceinte. Je peux te garantir que ça passera après 2 ans. Tu pourras te reprendre.
    Non mais sérieusement, superbe plume comme d’habitude. Courage

  2. Avant toute chose laisse moi te dire et te redire que tu racontes et écris bien!
    NEsuite, Je ne peux que te souhaiter du courage. Je suis persuadée qu’avec le temps et la qualité de compagnon que tu as, tu sauras canaliser la femme en toi. Dormir oui je faisais pareil pendant ma grossesse, elle était aussi imprévue que la tienne peut-être plus. Ce qui fait que je n’arrivais pas non plus à travailler. Avec le temps tu t’adapteras je te le promet. Force à toi.

  3. Hello Befoune, j’ai envie de te dire pour commencer…RESPIRE ET LAISSE TOI ALLER. Ce n’est jamais facile de sortir de sa zone de confort, mais ce qui est magnifique c’est que l’on se découvre de nouvelles forces et faiblesses; ah oui, on as des limites, et oui il faut déléguer (même si sa fait mal). Je t’avoue qu’il m’arrive très souvent, quand je suis en forme de tout faire moi même si cela prend des mois.
    Au coté de l’homme le plus compréhensible et patient je te souhaite tout le meilleur, sans oublier le petit humain qui arrive bientôt.
    Comme d’habitude, ta plume éveille en moi beaucoup d’ émotions, j’aime te lire et je relis toujours tes textes au moins trois fois. Courage à toi

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