Overnight Success : la porte ouverte vers l’échec

31 minutes

Le plus gros scam des années 2010 à mon avis est la phrase « Si Bill Gates et Mark Zuckerberg ont pu accomplir ce qu’ils ont accompli sans terminer leurs études à l’université, alors vous aussi vous pouvez y arriver. »

J’ai publié un épisode de podcast hier intitulé Naviguer au boulot comme il faut, la non-binarité, Love Don’t JudgeDans cet épisode je parle entre autres des manières d’acquérir le savoir sans avoir à retourner à l’école. J’ai bien dit « retourner ». Ça veut dire qu’il y a déjà une base de connaissances. Alors je n’autorise personne qui lira ce texte à venir me jeter au visage un triste Oui, mais n’est-ce pas tu avais dit que… Si vous en aviez l’intention, je vous prie de vous taire à tout jamais.

Ne digressons pas.

Je m’intéresse beaucoup aux modèles de réussite des gens de notre génération, et je me rends tous les jours compte, et ce avec une horrible tristesse, que la majorité d’entre nous n’a rien compris à la réussite. Beaucoup pensent que reproduire une pâle copie de l’existant est ce qui leur ouvrira la porte du paradis. D’autres pensent que marcher dans les pas exacts de ceux qu’ils admirent les mènera vers la lumière.

Et jusqu’ici, nombre d’entre eux se cassent lamentablement la gueule. Comme le mec sur la photo d’illustration de l’article.

Prenons le cas de Gates et Zuckerberg mentionnés précédemment. Combien de fois avez-vous lu sur les réseaux sociaux (je préfère me dire que ces gens ne sont pas vos amis et que vous ne les fréquentez pas au quotidien) l’incongruité suivante « Si Bill Gates l’a fait, moi aussi je peux ! » Combien de personnes ont tout laissé tomber, encouragés dans leur lubie par les pseudos coaches qui pullulent aujourd’hui, parce qu’ils se sont dit « Si Jeff Bezos a commencé avec Amazon dans un garage et qu’il est aujourd’hui l’homme le plus riche du monde, alors j’ai une chance ! »

Si ces gens sont vos amis, demandez-leur d’arrêter la folie parce qu’ils n’y arriveront jamais. Que les petits articles de BBC et RFI sur l’euphorie autour des emojis noirs et autres inutilités ne les bernent pas : il s’agit juste d’avoir de l’audience, et par la même occasion, de faire croire à un mec qu’il a de l’avenir sur un chemin qui n’est pas destiné à être le sien.

Vous me trouverez dure, mais je n’en ai rien à foutre. Ces situations m’horripilent et je déverse ici ma rage. Comme a dit Mobutu en s’épongeant les yeux lors d’un de ses discours : « Comprenez mon émotion. »


J’ai lu le livre Outliers, The Story Of Success, de Malcolm Gladwell.

Vous vous souvenez de lui ? Le mec dont le livre The Tipping Point m’a permis de partager ici même ma frustration autour du mythe de l’influenceur dans l’article Influenceur : célèbre et inutile ? Oui, c’est bien lui. Une fois de plus il a réussi à me faire sortir de mes gonds.

Donc… Outliers.

Si je devais résumer en une seule et unique phrase ce que j’ai appris de ce livre, je dirais ceci : le succès en toute chose est prédestiné. Oui, le succès est le résultat d’une combinaison de phénomènes précis, soit savamment pensés, soit inconsciemment hérités, soit laborieusement provoqués, soit innocemment créés. Une chose est claire en tout cas, les raisons de tout succès peuvent être retracées de manière limpide.

On ne se lève pas un matin et on perce. Si c’était le cas, moi-même j’aurais déjà percé.

Outliers m’a permis d’approfondir ma réflexion sur la notion de succès. Plus important encore, le livre m’a permis d’entrevoir une nouvelle manière de penser le succès. Je ne vais pas vous fatiguer ici avec un résumé détaillé du livre. Je ne lui ferai pas honneur, et ça vous assommera d’ennui à coup sûr. Je me limiterai à partager avec vous certains phénomènes précis qui mènent au succès, des phénomènes qui m’ont particulièrement marquée.

 
 
 
 
 
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Lecture terminée. Je dois avouer que j’ai mis nettement plus de temps que prévu à lire ce chef d’œuvre, et ce pour une raison très, très simple : chaque phrase est une mine d’or d’informations. Il me fallait prendre mon temps pour digérer. . Je prépare un article sur mes réflexions autour de ce livre pour le blog. On parlera de réussite. J’en profiterai pour parler de l’héritage générationnel non pecunier. Gladwell le montre à travers ce livre, cet héritage à une place indéniable dans la réussite de nombre de personnes, qu’il s’agisse de lui-même, de Bill Gates ou même de Donald Trump (je parle ici de l’homme d’affaires). J’ai longuement parlé en stories il y a quelques mois de l’héritage générationnel non pecunier, et @benabdul225 m’a demandé d’en faire un article. Il sera servi. . En attendant de lire ce que je dirai de ce livre, je recommande l’article de @loukigirl qui a publié sur son blog une revue de Outliers. Profitez-en pour demander à @myleneflicka ce qu’elle a pensé du contenu du livre. Elle l’a lu elle aussi et en a dit beaucoup de bien. . Blog : mesdigressions.com . #Blog #Blogger #Book #BooksOfInstagram #Bookstagram #Book #Books #MalcolmGladwell

A post shared by C. Befoune (@c_befoune) on Dec 16, 2019 at 5:35am PST

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1- La règle des 10 000 heures

Lorsque la blogueuse beauté française d’origine malienne Fatou N’diaye plus connue sous le nom de Black Beauty Bag a percé, beaucoup de commentaires sur internet saluaient « sa chance ». Elle était sollicitée par les plus grandes marques de cosmétiques telles que L’Oréal ou Mac. Elle a même collaboré avec de grands noms de la haute couture.

Si vous la suivez sur Instagram, vous verrez que Fatou enchaîne les voyages et les événements les uns après les autres, tous sponsorisés et payés. Je ne parle pas d’événements de bas quartiers. Je parle de tapis rouge au festival de Cannes. Fatou est aujourd’hui créatrice de contenu beauté à temps plein. Evitons ici le mot Influenceuse. Vous savez tous qu’il m’horripile.

Depuis le phénomène Fatou, de plus en plus de jeunes filles noires françaises et francophones se lancent dans le milieu de la création de contenu beauté dans l’espoir d’être elles aussi repérées. Si Fatou l’a fait, elles peuvent elles aussi y arriver. Fatou n’est pas si spéciale que ça ! Il y en a de plus belles et certainement de plus attrayantes pour les marques de fringues et de produits de beauté de luxe ou non. De plus, elle n’est pas la seule à savoir écrire sur un blog, et il en existe plein d’autres bien plus soignés. N’est-ce pas ?

Sauf que…

Fatou N’diaye n’a pas été chanceuse. 

Les marques ne se sont pas levées un matin et sont tombées sur sa photo sur Instagram par le plus grand des hasards. Elle n’a pas été choisie parce qu’elle est spéciale. Elle a été choisie parce qu’elle l’a mérité. Vous me direz que je suis certainement une fan de Fatou. Je vous dirais que je suis la dernière personne intéressée par le contenu beauté. Par contre je sais de source certaine qu’il faut rendre à César ce qui appartient à César.

Fatou N’diaye blogue sur la beauté noire depuis plus de 10 ans. Elle en a 40 aujourd’hui, donc elle a eu le temps de se faire la main, mais surtout de tester de nombreuses choses sur le plan des soins. Son blog Black Beauty Bag a été créé à l’époque où les Noirs ne comptaient pas dans le monde de la beauté. Ils n’étaient pas un marché.

Fatou a parlé cheveux naturels avant qu’ils ne soient à la mode. Elle s’est plainte du manque de choix pour les Noirs au niveau des produits de beauté avant que les lamentations sur Twitter ne deviennent la norme. Pendant des années elle a « inutilement » documenté son parcours de femme noire aux cheveux naturels passionnée de beauté mais qui ne se sent jamais valorisée et a milité pour être prise en compte. Inutilement parce que, comme je l’ai dit, tout le monde s’en tamponnait.

La blogueuse a partagé ses astuces pour aider les personnes aussi mal servies qu’elle. Elle a fait des revues de produits. Elle partagé ses routines. Elles les a modifiées au fil du temps et au fil de la venue de nouveaux produits sur le marché. En gros, pendant plus de 10 ans elle a affiné son contenu dans le milieu de la beauté et elle a acquis des compétences dans le domaine des besoins des femmes noires sur ce plan. Elle ne l’a pas fait parce qu’elle attendait quoi que ce soit de qui que ce soit. Les marques n’en avaient rien à foutre.

Elle l’a fait parce qu’elle aimait ça et qu’elle s’est donnée corps et âme à sa passion (on ne parle pas ici de la passion comme expliquée par les coaches de motivation. Restons concentrés !). Il ne s’agissait pas d’une ou 2 photos sur Instagram. Le réseau n’existait même pas. Il s’agissait d’articles ou de vidéos savamment élaborés.

Pendant 10 ans, Fatou a produit du contenu. Elle avait une notoriété dans le milieu fermé parce que peu intéressant de la beauté noire, et lorsque les marques se sont (enfin) intéressées à ce pan-là, elle était en poste, toute prête. Elle avait fait le tour de la question et savait exactement ce qu’il fallait aux marques pour satisfaire leur nouvelle cible. Et toutes les marques se sont intéressées au marché de la femme noire au même moment.

Beaucoup de gens qui ont vu Fatou dans des pubs de L’Oréal et autres se sont dit « Mais qui est cette meuf ? Elle est partout du jour au lendemain, elle doit être chanceuse d’avoir percé aussi vite ! » Fatou n’a pas percé aussi vite. Elle a travaillé plus de 10 ans pour percer du jour au lendemain.

Dans son livre, Malcolm Gladwell parle de la règle des 10 000 heures, et à ce propos il dit ceci : « Practice isn’t the thing you do once you’re good. It’s the thing you do that makes you good. » Selon cette règle, il faut s’exercer 10 000 heures pour maîtriser un art, quel qu’il soit. Toute personne qui s’exerce 10 000 heures en apprend tellement qu’elle ne peut qu’être brillante dans ce qu’elle entreprend. Selon Gladwell, il faut s’activer au moins 20 heures par semaine pendant 10 ans pour atteindre les 10 000 heures.

Passons à présent au cas très intéressant de Bill Gates. Il a quitté Harvard en deuxième année (en 1975, il avait 20 ans) pour créer Microsoft avec son ami Paul Allen. 5 ans plus tard, l’entreprise faisait plus que boom. Un mec qui n’a même pas terminé son éducation dans le domaine de la tech a eu « la chance » d’avoir une idée de génie et a percé. Ça c’est le story telling officiel.

Mais…

Dès son plus jeune âge, Bill Gates a montré un intérêt pour la tech. Il était précoce et s’ennuyait à l’école, donc très tôt il a fréquenté une école privée à même de répondre à ses besoins. Alors qu’il avait 13 ans en 1968, son école (une des seules de l’époque) s’est dotée d’un ordinateur. Dès ce moment, Gates s’est quasiment installé dans la salle abritant cet ordinateur. Il programmait à 13 ans et faisait partie du computer club de son école… computer club qui a accepté de tester les ordinateurs d’une entreprise de l’époque, C-Cubed.

Au final, contre des heures d’utilisation gratuite de leurs ordis performants, C-Cubed a demandé à Gates et certains des membres du club  de programmer des logiciels pour eux. Il passait près de 8 heures par jour devant un ordinateur. Fast forward pour que nous ne passions pas la nuit ici. Au collège Bill Gates créait des logiciels pour des sociétés tant publiques que privées. Il a établi pour son école le programme le plus élaboré de gestion de l’emploi du temps de toutes les classes et donc tous les élèves. 

En gros ? Avant ses 20 ans il avait déjà rempli son quota de 10 000 heures. Il ne s’est pas réveillé un matin avec une idée lumineuse. Pour être honnête, l’université n’avait rien à lui apprendre. Il avait fait à 14-15 ans des boulots que ceux assis en salle rêvaient de faire une fois leur diplôme en poche. Ils n’avaient pas son niveau.

Bill Gates n’a pas quitté l’école pour son idée. Il l’a quittée parce qu’elle le ralentissait dans ses réalisations. Ce que le story telling ne dit pas. Non. Il est plus sexy de dire jeune mec quitte l’université et crée entreprise valant des milliards de dollars. Je tiens juste à préciser que l’histoire de Paul Allen, co-fondateur de Microsoft, n’est pas très différente en termes de quota des 10 000 heures. Il en va de même pour celle de Mark Zuckerberg qui créait des réseaux sociaux pour échanger en famille à l’âge de 12 ans.

Tous ces gens ne se sont pas limités à leurs 10 000 heures. Fatou ne se contente pas des photos sur les réseaux sociaux. Elle continue de se perfectionner, et aujourd’hui à une échelle supérieure grâce aux opportunités qui lui sont offertes. On la voit très souvent dans des laboratoires de création de parfums et de produits de beauté. Bill Gates se balade avec un sac de livres. Il s’informe sur tout et partout. Zuckerberg ne se contente pas d’encaisser ses milliards.

Dans son livre Ego Is The Enemy, Ryan Holiday dit ceci : « Is it ten thousand hours or twenty thousand hours to mastery ? The answer is that is does not matter. There is no end zone. » Certains diront que ces gens ont travaillé d’arrache-pied sans aucune perspective. Vrai. Fatou N’diaye s’activait dans un domaine obscur et Bill Gates dans un autre quasiment inconnu et pratiquement inaccessible. A ce propos, Ryan Holiday dit : « Do de love practice the way great athletes do ? Or do we chase short term attention or validation… »

Donc avant de vous dire que votre triste application va faire boom en une nuit au point d’être utilisée  chez les Lapons, posez-vous les bonnes questions.

2- Terre d’opportunités

J’ai écouté il y a peu le podcast Making Oprah (qui s’appelle aujourd’hui Making Beyonce après avoir porté le nom Making Obama). Bien que je ne la suive plus partout tout le temps, je reste obsédée par son succès. Dans le podcast il est clairement dit qu’elle n’avait aucune chance de s’en sortir. Pourtant un mec l’a repérée et l’a sélectionnée comme présentatrice d’un talkshow à une heure de grande écoute dans les années 1980. Une femme noire et en surpoids. A une époque où les canons de beauté étaient totalement contraires à ce qu’elle représentait.

Mais Oprah a fait boom ! Boom de chez boom.

Pourquoi ? 

Quand on écoute le podcast on se rend compte que la raison est toute simple. Le mec qui a sélectionné Oprah avait très bien compris les tendances. Les femmes voulaient voir à la télé plus de femmes qui leur ressemblaient. Elles voulaient s’identifier à ces femmes, cesser de se sentir marginalisées parce que tout ce qui leur était présentait était des femmes à qui elles ne ressembleront jamais.

Par ailleurs, les femmes (la grande majorité de l’audience d’Oprah) voulaient des histoires réalistes du quotidien, un vécu qui pouvait être le leur. Outre le fait d’avoir apporté la réalité de toutes ces femmes à la télé, Oprah a humanisé les célébrités. Elles venaient sur son plateau pour s’expliquer après des scandales, pleurer quand elles avaient mal et sauter sur les fauteuils comme Tom Cruise l’a fait quand elles étaient heureuses. Personne n’arrivait à rivaliser avec Oprah. Elle a explosé tous les compteurs.

Oprah aurait lancé son show 10 ans plus tôt qu’elle n’aurait eu aucune audience. Personne n’aurait voulu s’identifier à une femme noire. Et en surpoids qui plus est. Elle l’aurait lancée 10 ans plus tard qu’elle n’aurait pas eu une grande audience. La femme noire était déjà mainstream. Plus besoin d’en faire trop. Elle se voyait et se reconnaissait pratiquement partout. Je ne dis pas ici que la marginalisation n’existe plus. Restons concentrés. On parle de représentation.

Opportunité.

Oprah a été sur le bon lieu au bon moment. Idem pour Fatou N’diaye. Les marques se seraient intéressées à la beauté noire 10 ans plus tôt qu’elle n’aurait eu aucune expérience. Elles s’y seraient intéressées 10 ans plus tard que Fatou N’diaye aurait eu 50 ans et n’aurait pas pu représenter la cible moyenne visée. Je tiens à préciser qu’on donnerait facilement 26 ans à Fatou, ce qui est plutôt commode pour elle.

Revenons un peu sur la règle des 10 000 heures pour illustrer celle des opportunités. Bill Gates n’aurait pas pu boucler ses 10 000 heures s’il n’était pas né dans une famille riche qui lui donnait accès à des milieux fermés. Son école était privée et il y a rencontré les parents de camarades qui lui ont offert des opportunités, comme par exemple avec C-Cubed dont on a parlé. 

Il serait né 10 ans plus tard qu’il aurait manqué l’explosion de la tech et des entreprises dot com. Il aurait certainement accumulé ces connaissances, mais à un âge avancé il aurait été plutôt difficile pour lui de tout laisser tomber pour se lancer dans cet univers de jeunes inconscients. Il serait né 10 ans plus tôt qu’il aurait été trop jeune pour vivre cette période. Il aurait eu 10 ans  en 1975.

Prenons le cas de Malala Yousafzai, l’une des histoires les plus sexy de la décennie passée : jeune fille, 14 ans, prix Nobel de la paix, s’est battue contre les talibans pour continuer l’école au Pakistan.

La triste réalité s’est révélée à moi lorsque j’ai lu son livre Moi, Malala, je lutte pour l’éducation et je résiste aux talibans. Après lecture, je me suis dit une seule chose : « Ils se sont bien foutus de notre gueule les mecs ! ». Je vous fais la version courte. Malala est née dans une famille où l’éducation occupe une place de choix. Son grand-père est éducateur, et son père est enseignant. Il a toujours été pour l’éducation des filles et a toujours poussé sa fille à aller le plus loin possible à l’école.

Le père de Malala a ouvert une école, école qu’il a refusé de fermer lorsque les talibans ont envahi la région. Il a mis sa vie en danger pour garder son école ouverte, école que fréquentait sa fille. Donc non, elle ne s’est pas battue contre les talibans pour aller à l’école. Son père aurait fermé son école comme tous les autres qu’elle n’aurait eu nulle part où aller.

La résistance du père de Malala l’a mis sous les feux des projecteurs. Il est devenu la voix des sans voix au péril de sa vie. L’histoire de sa fille est devenue sexy à travers la sienne. Je suis désolée mais d’autres filles continuaient à aller dans cette école. Elle n’était pas la seule élève fille du coin. Donc les médias ont commencé à s’intéresser à Malala, and the rest is history. Oui, on lui a tiré dessus, mais bien que l’attentat la visait clairement, elle n’a pas été la seule personne touchée. D’autres filles toujours scolarisées malgré la présence des talibans l’ont été elles aussi.

L’attentat arrivait à un moment plus qu’opportun. La stigmatisation de la religion musulmane était à son apogée. Toutes les ONG étaient (et sont toujours) focalisées sur l’égalité des genres. L’éducation est un des piliers de leurs efforts. Éduquer la femme et la fille était le focus, et des milliards de dollars étaient (et sont toujours) investis dans ce volet. Le terrorisme était lui aussi à son apogée. Malala tombait à point nommé. Jeune fille musulmane se bat contre les talibans pour poursuivre ses études.

Je ne vais pas épiloguer. Je dirais juste que son père est celui qui méritait ce prix Nobel. Mais un homme dans un village perdu du Pakistan qui se bat pour l’éducation en général malgré les talibans qui lui pourrissent la vie est nettement moins sexy.

3- L’héritage générationnel non-pécunier

J’ai parlé il y a quelques mois sur Instagram de l’héritage générationnel. J’ai pris l’exemple de ma famille. Je vais faire un petit résumé pour ceux qui n’avaient pas écouté. Le grand-oncle de ma mère a quitté son pays pour le Cameroun. Comme c’était l’usage à l’époque, il a pris avec lui un de ses neveux, qui est le père de ma mère. L’idée était d’accéder à de meilleures opportunités.

Le père de ma mère a été très actif dans le domaine de l’administration publique et a occupé de nombreux postes à responsabilité dans ce domaine au Cameroun. Il a installé sa base familiale dans une petite ville du pays et lui faisait le tour, mais retournait très fréquemment dans cette petite ville pour de longs mois.

La fille aînée de mon grand-père a quitté cette petite ville pour Douala où il y avait de meilleures opportunités d’emploi. Elle y a trouvé du travail et en a sécurisé pour ses sœurs. C’est ainsi qu’après ses études, ma mère s’est retrouvée à Douala pour y travailler. L’idée de ma tante n’était pas d’héberger ses sœurs. Chacune devait s’en sortir à son niveau. Après quelques mois, ma mère a trouvé une maison et a continué son chemin.

Le fait d’avoir vécu au Cameroun et de s’être installée à Douala a ouvert de nombreuses portes à ma mère, notamment celle d’une meilleure éducation pour ses enfants. Aucun d’entre nous n’a fréquenté d’école publique. L’idée de ma mère était que ses enfants fassent les meilleures études et aillent bien plus loin qu’elle dans leur cursus scolaire, tout comme elle était allée plus loin que ses parents. Aujourd’hui tous les enfants de ma mère ont au moins une licence. Pratiquement tous ont un master et au-delà.

Après ses études secondaires ma sœur a décidé de s’installer à Dakar. Elle y a fait ses études et a pu trouver du travail. Elle a regardé autour d’elle et a remarqué que les opportunités étaient bien meilleures au Sénégal. Alors après mes études, elle m’a fait venir à Dakar où j’ai presque immédiatement trouvé du travail.

Aujourd’hui les  enfants de ma sœur fréquentent des écoles qui leur ouvre encore plus de portes que ne nous ont ouvertes celles que nous avons fréquentées. J’ai déjà à mon niveau sélectionné avec minutie l’école que fréquentera le petit humain afin qu’il puisse bénéficier du meilleur encadrement que les moyens de ses parents puissent lui offrir. Tous ces enfants sont exposés à des expériences qui leur ouvrent l’esprit, qui nourrissent leur curiosité et les incitent à toujours aller plus loin. Les barrières qui ont été les nôtres ne seront pas les leurs, tout comme les barrières qui ont été celles de nos parents n’ont pas été nôtres.

Si tout se passe bien, dans 30 ans les enfants des enfants de ma mère auront de bien meilleures positions que leurs parents. Je ne parle pas seulement du volet financier. Je parle également de leur qualité de vie. 

En 5 générations, nous sommes passés d’une relative pauvreté à une certaine aisance. Et tout cela parce que l’oncle de ma mère a quitté son pays pour trouver de meilleures opportunités et a appris aux membres de sa famille à faire pareil. 3 personnes clé de la famille sont parties et ont ouvert les portes aux autres, et chacune des portes a bénéficié à des générations entières, bien au-delà de la petite personne de ceux qui se sont déplacés.

Tout le monde a pu faire de meilleures études et a eu accès à de meilleures opportunités parce que ceux qui sont partis n’ont pas seulement aidé ceux qu’ils ont fait venir avec ou auprès d’eux. Ils ont également été et sont toujours d’une grande assistance pour ceux qu’ils ont laissé derrière eux. Des voyages dans d’autres pays sont nés de ces déplacements initiaux.

Le but ici n’est pas de vous raconter ma vie. Le but est de vous montrer, comme l’a fait Gladwell d’une bien meilleure manière dans son livre, que la position sociale dans laquelle je me trouve aujourd’hui et mon addiction à la connaissance n’est pas un hasard. L’origine date d’avant la deuxième guerre mondiale. Si l’un de nos descendants est milliardaire en dollars un jour, ce ne sera pas un overnight success.

L’origine de sa richesse pourra être retracée jusqu’au départ de mon arrière-grand-père, qui a instauré une stratégie de développement dans sa famille : ceux qui le peuvent s’en vont vers des terres plus fertiles et font venir les autres afin qu’une génération après l’autre, la qualité de la vie s’améliore. Il est même possible que cette stratégie date de bien avant mon arrière-grand-père.

L’héritage générationnel de ce type est tout aussi important qu’une fortune qui se transmet de générations en générations. Il est malheureusement très peu pris en compte lorsqu’on parle des « self-made men ». Après lecture d’Outliers, je me demande s’ils sont vraiment self-made.

4- Combien d’Elon Musk avons nous perdus ?

Une histoire m’a brisé le cœur dans le livre de Gladwell. Celle d’un des hommes au QI le plus élevé au monde, estimé entre 195 et 210, sachant que celui d’Enstein est estimé entre 160 et 190. Cet homme est Chris Langan. Aujourd’hui (du moins le temps présent par rapport à la période de publication d’Outliers) Chris Langan vit dans un petit ranch avec sa femme. Les documents synthétisant ses réflexions n’ont jamais été exploités et son nom est inconnu. 

Pourtant son QI est supérieur à celui d’Albert Einstein.

Chris Langan est l’aîné de 4 enfants d’une famille pauvre. Malgré son grand éveil à son plus jeune âge, il n’a pas eu accès aux livres et à une éducation de qualité. Les aptitudes sociales ne lui ont pas été inculquées à la maison et il n’a pas été exposé à des activités qui poussent à aller vers les autres, alors il ne savait pas comment communiquer, et encore moins comment défendre son cas quand il en a eu besoin.

A cause de sa situation financière, il n’a pu suivre des études supérieures. Il s’est auto-formé grâce aux livres et a rédigé des documents de recherche pointus qu’aucun universitaire n’a pris le temps de lire parce que les écrits de Chris n’étaient appuyés d’aucun diplôme supérieur. Ils les considéraient comme les élucubrations d’un mec qui se veut savant. Rappelez-vous, Chris Langan n’a jamais su comment argumenter pour sa propre cause. Au final il a laissé tomber et s’est installé dans son petit ranch entouré de chevaux.

Cette histoire me rappelle une question que le papa du petit humain me pose souvent : « Combien d’Elon Musk avons-nous perdus ? »

Revenons une fois de plus sur le cas de Bill Gates. Son QI est estimé à 160, donc nettement inférieur à celui de Langan. Pourtant Bill Gates est né dans une famille riche. Ses parents l’ont inscrit dans les meilleures écoles. Sa mère, inquiète du fait que son fils passait des jours entiers enfermés à lire dans sa chambre sans jamais parler à personne, a œuvré à développer ses capacités à communiquer avec d’autres personnes, qu’elles soient plus jeunes ou plus âgées que lui.

Elle l’emmenait avec elle aux nombreux événements caritatifs et autres auxquels elle participait (on voit clairement ici d’où vient la passion de Gates pour les œuvres caritatives auxquelles il a consacré une grande partie de sa fortune à travers la fondation Bill et Melinda Gates, rien n’est le fruit du hasard !), lui présentait les gens (de la haute société) qui y participaient aussi et avec qui, très jeune, Bill a appris à échanger et donc à développer ses talents d’orateur (ce qui a cruellement manqué à Chris Langan).

Les parents de Bill Gates avaient à cœur son éducation et leur position sociale a permis à leur fils de fréquenter des gens qu’on qualifierait de « biens » sous nos cieux. Son école a été une des premières des Etats-Unis à se doter d’un ordinateur. Il y a rencontré des enfants dont les parents lui ont ouvert certaines portes, des enfants qui avaient aussi un background intéressant dont il s’est enrichi.

C’est par exemple le cas de son meilleur ami au collège Kent Evans qui l’a introduit au monde du business et de la finance et lui a transmis sa passion pour la lecture de magazines, revues et documents de recherche focalisés sur les entreprises les plus cotées de l’époque. Jusqu’à aujourd’hui, Bill Gates dévore ces documents au quotidien. J’en ai parlé ici.

Grâce à cette combinaison de phénomènes, Bill Gates a percé dans sa vingtaine. Il était prédestiné à percer d’une manière ou d’une autre. Pourtant il aurait été totalement inconnu s’il était né dans la famille de Chris Langan. 

A ce niveau, Gladwell pose une question intéressante : réussit-on grâce à son QI ou grâce au milieu dans lequel on évolue ? La seconde option semble être la bonne étant donné Chris Langan n’a rien pu faire de son QI car le milieu dans lequel il a évolué n’a pas participé à son épanouissement. Au contraire, il l’a en quelque sorte tué.

On ne peut connaitre une aptitude que lorsqu’on est exposé à une situation qui requiert une action de notre part. Je ne saurais par exemple jamais si je suis une experte en ouverture d’huîtres parce que je n’ai jamais eu à ouvrir d’huître de ma vie. Combien de violonistes, de mathématiciens, d’écrivains ou de cameramen perdons-nous au quotidien dans les villages ou dans les régions/milieux défavorisés parce qu’ils n’auront jamais accès à un violon, aux mathématiques, à une machine à écrire ou à une caméra ? 

Maya Angelou aurait-elle écrit tous ces livres si sa grand-mère ne l’avait pas convaincue de la force de voix ?

Vous me direz que Chris Langan s’est auto-formé d’arrache-pied et a certainement atteint son quota de 10 000 heures. Je vous demanderais de ne pas négliger le volet opportunités. Si Langan avait tourné autour de 15-20 ans à partir du milieu des années 1990 , c’est-à-dire lorsqu’internet a commencé à faire du bruit, ou même autour des années 2000-2010 avec les réseaux sociaux, il aurait pu se mettre en avant par ses propres moyens. Malheureusement, à son époque il fallait absolument être adoubé par les universitaires pour promouvoir son travail.


Le livre Outliers, The Story Of Success de Malcolm Gladwell permet de comprendre le succès de ceux qui l’ont atteint. Après lecture, on peut dégager aisément les phénomènes qui ont contribué à leur percée, et il ne se résume que très, très rarement, voire jamais à l’enfermement dans une chambre pour coder une application.

Ce livre permet également d’élaborer les stratégies à mettre en place pour s’en sortir à son niveau, mais aussi pour s’assurer que ceux que nous laisserons derrière nous s’en sortent bien mieux encore. Il est vrai qu’il existe toujours des exceptions et que ce livre peut être questionné, mais personnellement il est l’un des livres dont j’ai été le plus convaincu du contenu. 

Je tiens à préciser que mon point de vue n’est pas celui selon lequel toutes ces personnes qui rêvent d’être des overnight success échoueront toute leur vie. Non. Si elles tiennent compte du quota de 10 000 heures et qu’elles s’aiment assez pour ne se mettre que dans des conditions qui bénéficieraient à leur succès, alors tout est possible.

Malcolm Gladwell a demandé une fois à Bill Gates ce qu’il pensait de la chance. Je vais paraphraser sa réponse : la chance c’est d’être né dans un milieu où les meilleures opportunités nous sont offertes ; le reste n’est que dur labeur.

La preuve ? Donald Trump a reçu 1 prêt d’1 million de dollars de son père pour se lancer dans les affaires. Aujourd’hui sa fortune est estimée à plus de 3 milliards de dollars. On est loin du million initial. Pareillement, les parents de Jeff Bezos ont investi 245 573 dollars dans Amazon en 1995. Même Elon Musk a reçu de l’argent de son père.

S’ils s’en étaient tous tenus à cette « chance », où seraient-ils aujourd’hui ?

Pour poursuivre la réflexion je recommande cette interview de Ray Dalio par P. Diddy. Oui, vous ne direz pas que je me suis limitée à un certain type de personnes considérées comme ayant réussi. De nombreuses perles sur le succès sont partagées dans cette interview. J’en suis à plus de 5 000 mots pour cet article, donc je n’étaierai pas davantage. Regardez l’interview et donnez-moi votre avis en commentaire.

[youtube https://www.youtube.com/watch?v=SCCfk2a2O5o?version=3&rel=1&fs=1&autohide=2&showsearch=0&showinfo=1&iv_load_policy=1&wmode=transparent&w=1170&h=659]


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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18 comments
  1. Quel bel article! Tu m’as vraiment donné envie de lire ce livre.
    J’ai toujours soupçonné que le overnight success était un mythe, et que derrière des succès apparemment fulgurants, il y avait des années de travail dans l’ombre, une capacité aussi à transformer les opportunités offertes par le milieu où on est né.
    J’ai souvent été agacée par les gens autour de moi qui se disaient self made (il y avait certainement un peu d’envie derrière cet agacement 😅) . Agacée parce que j’observais qu’ils ne reconnaissaient pas cet héritage générationnel non pécunier qu’ils avaient reçu (et dont ils n’étaient pas conscients), qui a été la première marche vers leur succès.
    En les observant, je me suis fait la promesse que je me battrais pour que la génération après la mienne fasse de meilleures écoles, rencontre des opportunités encore plus intéressantes. Ça aide beaucoup pour réussir dans la vie.
    Si tu permets que je te pose une question, penses tu que la discipline qu’il faut pour se consacrer 10 000 heures minimum à une activité vient du penchant naturel qu’on a pour cette activité ou d’un effort conscient sur soi?
    Je pose la question parce qu’après des années très laborieuses et studieuses à l’université j’ai connu un relâchement de trois ans due à une longue période de chômage. Moi qui travaillait spontanément et naturellement, je dois maintenant cravacher pour rester concentrée.
    Merci pour tes articles si bien étayés, j’apprends énormément en te lisant.❤

    1. Je suis contente que tu apprécies les articles Lady. Ca me touche vraiment. Pour ce qui est du penchant naturel, personne n’a envie de travailler tous les jours à tout moment. Quand on sait ce qu’on veut on s’impose une discipline. Une discipline à laquelle on s’accroche quoi qu’il arrive, pour être sûr qu’à la fin de la journée on a les résultats désirés.

  2. Merci pour cet article qui met à nu plusieurs omission de certains “lnfluenceurs” contemporain. Le succès se crée par l’environnent, les predisposition et les dispositions et c’est un facteur important. Merci aussi pour la vidéo j’ai adoré

  3. Je parle?
    en tout cas, j’ai toujours dit qur e savoir saisir les opportunités c’est 2 choses : savoir et opportunités.
    Overnight suces my foot, ca existe mais il y a toujours une petite ou grande historie derrière et ils ont combien dans le overnight? merci de me rappeler que je dois encore travailler et bien plus !

  4. bonjour
    J’ai decouvert ton blog via manouschka (tantine metiss) que je suis sur insta et j’ai tout lu en 1 nuit
    wwooooowwww la claque sur tout
    la gestion des finances, la parentalité , les grossesses surprises j’admire l’apparente facilité avec laquelle tu décris ton ressenti
    Merci pr tes ecrits….

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