Oui, je tomberai autant qu’il le faudra

9 minutes

Il est possible de mourir de nombreuses fois en une seule vie.

La croyance commune laisse penser que la mort est quelque chose de définitif. Mourir c’est partir à tout jamais. Pourtant ce n’est pas vrai. Il est possible de mourir dans sa vie, ou même de mourir de sa vie.

Je suis morte de nombreuses fois. Le plus difficile lorsqu’on meurt dans sa vie c’est de réaliser que c’est le cas, puis de l’accepter. Comment mourir et continuer d’être en vie ? Si on vit, alors on n’est pas mort, n’est-ce pas ? FAUX, comme l’aurait crié Norman Fait Des Vidéos. Faux.

 

 

Je suis morte une fois de plus.

Mon dernier épisode dépressif m’a tuée.

Complètement.

Comment je le sais ?

Je ne sais plus rien faire. J’ai perdu la majorité de mes réflexes. Mon équilibre est détruit. Sans m’en rendre compte, j’ai abandonné mes habitudes l’une après l’autre, pensant faire une “petite entorse” au quotidien. Dormir une heure de plus aujourd’hui seulement. Dormir deux heures de plus parce que je suis vraiment fatiguée. Ne pas faire de fitness aujourd’hui parce que je ne le sens pas. Ne pas écrire aujourd’hui seulement. Je serai plus inspirée demain. Demain restera toujours demain. Je le ferai demain. Demain ça changera, rien à faire. Sauf que selon les lois immuables de la nature, demain ne se matérialise jamais.

J’ai brisé mon équilibre. J’ai perdu tous les acquis accumulés en trois ans sans m’en rendre compte. De petites entorses au quotidien qu’on soignera demain.

Ne sachant pas que j’étais morte, j’ai repris le train en marche. J’ai pensé qu’à présent que j’ai identifié le fait que je sois ou que j’ai été en dépression, que j’ai identifié les potentielles causes, que j’ai eu la force d’en parler, alors il me suffirait de continuer là où je m’étais arrêtée et tout irait bien.

Faux. Double faux. Triple faux.

C’est parti de petites choses.

Je n’arrive plus à écrire comme il se doit. Je n’arrive pas à aligner mes idées de manière cohérente et je fais des fautes impensables dans mes textes. J’ai oublié comment bien écrire parce que j’en ai perdu l’habitude. Mes idées ne sont pas cohérentes parce que je ne suis plus assez informée, alors je n’ai pas de matière pour les appuyer.

J’ai du mal à faire des exercices de cardio pendant une heure d’affilée. Parce que j’en ai perdu l’habitude. Je n’arrive plus à me lever tôt où à terminer un livre sans interrompre ma lecture par ci ou par ça. Je n’arrive plus à me noyer dans un livre, à en tirer toute la substance pour en nourrir mon cerveau. J’en ai perdu l’habitude, une entorse après l’autre.

Je ne sais plus faire ce que je faisais avant, et prendre le train en marche n’a eu qu’un seul résultat : une succession d’échecs. Et sans comprendre ce qui se passait, je m’auto-flagellais. Comment puis-je être aussi nulle ? Mais je faisais tout ça les doigts dans le nez ! Pourquoi est-ce que j’ai autant besoin d’assistance, de me référer à telle ou à telle ressource pour faire des choses qui pour moi étaient plus que faciles à faire il y a encore seulement trois mois ? Pourquoi ?

La vérité est que je suis morte et il est temps pour moi de renaître une fois de plus. Et la manière dont je gérerais cette renaissance aura l’impact le plus grand sur les épisodes de ma vie à venir. Si je bâcle la chose, je suis perdue à tout jamais. Ça peut sembler fataliste, mais c’est sans appel. Si je bâcle la chose je vais tout droit vers un autre épisode dépressif dont il est possible que je ne sorte pas. L’auto-flagellation est destructrice. Je vais tellement me déprécier à mes propres yeux et me blâmer qu’au final je ne serai plus capable de rien.

Pour vivre ma renaissance de la plus belle et la plus efficace des manières, je n’ai besoin que de deux choses : l’espace et le temps. Deux choses que je me suis toujours très peu accordées. L’espace. Je n’en ai pas. Il faut tout insérer dans un petit carré et tout doit y tenir. Je dois tout encaisser. Etre capable de tout faire. Tout accumuler pour avoir les meilleurs résultats. Le temps. Tout est urgent dans mon esprit. Il faut faire ci. Puis ça. Il faut impérativement faire ci. Puis absolument faire ça. Pas le temps de… Jamais le temps de….

J’ai besoin d’espace et de temps, et je dois apprendre à m’en accorder.

Je me vois aujourd’hui comme un bébé. Je me rééduque à tellement de choses, pas pour retrouver mon équilibre, mais pour en créer un nouveau. J’ai perdu beaucoup de cet équilibre, et je m’attèle à détruire ce qu’il en reste pour ne pas construire sur du rouillé.

Il n’y a pas de “re”. “Re” fait place à la répétition. Je ne recrée pas. Je crée.

Je crée des habitudes. Les habitudes ont une très grande place dans mon équilibre. J’ai une nouvelle routine matinale. Différente de celle d’avant. Le but n’est pas d’être aussi bien qu’avant. Le but est de m’adapter à la nouvelle moi, celle post-dépression. Le but est d’identifier ce dont j’ai besoin maintenant, et c’est fou comme c’est parfois à l’opposé de ce qui m’était vital autrefois.

J’apprends la discipline, et je définis où et quand j’en ai besoin. J’apprends à lire d’une manière qui me sera utile aujourd’hui. Différente de celle qui m’était utile hier. J’apprends à penser. J’apprends à réfléchir pour produire. Et, par-dessus tout, j’apprends à écrire. J’apprends à informer de manière utile. J’apprends à produire un contenu attrayant et profitable. J’apprends le français. La conjugaison, les accords, les synonymes. J’apprends.

Je me donne de l’espace et du temps.

Je ne me presse pas. Si je me presse, mes acquis ne seront pas solides. J’y vais doucement. Je me permets de trébucher. Je ne m’en veux pas pour les ratés. Je les identifie et je les rattrape. Calmement. Sans me mettre aucune pression.

La chose la plus importante que je fais est l’appropriation de mon espace. J’ai travaillé sur cet espace pendant trois longues années et il n’a fallu que quelques mois pour qu’il se retrouve plus pollué que jamais. Je me l’approprie à nouveau. J’apprends à être là pour moi. A ne pas laisser les gens s’imposer et passer avant moi. J’apprends à dire non. A foutre dehors ceux qui ont franchi sans que je ne le réalise les frontières que je leur avais imposées. J’apprends à prendre ma défense. A ne pas me contenter de sourire quand je me fais marcher dessus. A dire “Je ne veux pas”. “Je n’aime pas ça”. “Ne refais jamais ça”. J’apprends à dire la vérité. A ne pas faire d’euphémisme pour ne pas fâcher. A faire confiance à mon ressenti et à poser immédiatement une barrière lorsqu’il me dit que le camp d’en face va trop loin.

J’apprends à me connaitre. A ne pas avancer selon ce que j’avais l’habitude d’accepter, mais plutôt selon ce que j’accepte aujourd’hui. J’apprends à me priver. A ne pas chercher de satisfaction immédiate dans l’inutile. J’apprends à ne pas compenser. A chercher en moi la source du problème et à le régler plutôt qu’à me dire “Allons faire les magasins, ça nous rendra plus heureux.” J’apprends à rejeter l’éphémère pour ne miser que sur du long-terme. Et j’apprends à dire au revoir à ceux à qui je m’étais attachée dans mes moments sombres, ceux entre les mains de qui j’ai inconsciemment mis le pouvoir de l’approbation, ceux dont le oui et le non ont compté à un moment plus que mes propres volontés.

J’apprends à m’entourer de positivité. Le domaine de l’information n’est pas le meilleur dans ce cas. Quelque chose va toujours atrocement mal quelque part. Alors j’apprends à consommer l’information d’une manière qui ne me noie pas dans le désespoir. Je sélectionne le contenu que je consomme. J’apprends à reconnaître les signes rouges et à changer de cap quand il le faut. J’apprends à ne pas me laisser envahir par la misère du monde. J’apprends à positiver.

J’apprends à apprendre. Je me tourne vers toutes ces sources qui m’ont nourrie aux premiers jours. Je me tourne vers ceux qui m’ont appris à être qui je suis, à m’affranchir, à être meilleure, à faire mieux, à n’avoir que mes propres résultats comme seul baromètre, à ne pas m’encombrer de compétitions inutiles.

J’apprends à vaincre mes peurs. A plonger pour accomplir. A ne pas “talk myself into giving up” ce que je veux réaliser. J’apprends à créer de zéro. A tirer satisfaction non pas du résultat, mais plutôt du processus. A le vivre pleinement pour de meilleurs acquis.

Un équilibre se crée. Il n’apparait pas. Je suis morte tellement de fois. Cette certitude s’est renforcée à chaque renaissance. Un équilibre se crée. Je ne suis pas équilibrée quand je m’appuie sur des épaules pour me lever. Je ne suis pas équilibrée quand je tiens un bras pour avancer. Je ne suis pas équilibrée quand je m’’accroche pour ne pas chanceler. Je me laisserai tomber le nombre de fois qu’il faudra, jusqu’à ce que je puisse avancer sans trébucher.

J’ai assez d’espace et de temps pour le faire.

J’y arriverai.

Pas pour le plaisir du monde.

Pour moi. Et pour personne d’autre.

Photo : USA Today

Hello, mon nom est Befoune et j’apprends pour parfaire ma renaissance. Partagez cette histoire si vous l’avez aimée. Partagez-la quand même si ce n’est pas le cas. J’ai besoin d’encouragements. Vraiment.

4 comments
Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *