La culture, bien plus puissante que la religion

14 minutes

L’ombre que fait la culture à la religion dans les cercles les plus dévots est plus qu’intéressante à observer.

J’ai été introduite au féminisme sur Twitter et j’ai immédiatement détesté. Ces batailles autour de la vaisselle et du ménage me faisaient horreur. Le féminisme se résumait pour moi à des meufs qui n’avaient pas compris l’essence des relations amoureuses : si vous avez besoin de vous battre pour savoir qui fait quoi, vous n’irez pas bien loin.

Je roulais des yeux chaque fois que quelqu’un(e) se réclamait féministe, et je me souviens même avoir posé à une jeune dame la question de savoir si elle était féministe avant d’entamer toute discussion avec elle. Je ne voulais pas entendre parler de serpillière, j’en avais assez soupé ! Ma question a été révélatrice de mon ignorance et je comprends aujourd’hui le sursaut de cette personne après l’avoir entendue.

Quelque part sur le chemin de mon déchaînement en tant qu’humain, j’ai décidé de ne plus me limiter à ma vision du monde et à ce qui m’est présenté comme l’univers tout entier. La pédophilie est condamnée parce que nous pensons que cette attirance est immorale ? Oui, mais que pensent les pédophiles eux-mêmes de leur situation ? Battre une femme est un crime ? Oui, mais pourquoi certains se sentent obligés de battre ?

Cette manière d’aborder les choses m’a ouvert les yeux sur les limites de bien des codes sociaux, culturels, et même religieux. Condamner un pédophile n’est pas une limite, par contre ne pas chercher à comprendre le mécanisme de réflexion qui l’a mené à la pédophilie et les différents pans de cette « maladie » en est une. Mauvaise foi aidant, je n’ai jamais voulu me pencher sur le cas du féminisme. Il était préférable de se battre pour les droits des humains plutôt que pour les droits d’un groupe de personnes.

Deux femmes m’ont introduite au féminisme, Armelle et Françoise, et je dois avouer que c’est l’un des plus beaux voyages qu’il m’ait été donné de faire. Je ne me réclame pas féministe, mais m’instruire sur ce qu’est le féminisme et suivre de près la campagne Flip The Script organisée par Eyala (le bébé de Françoise) qui a donné la parole à des féministes des pays anglophones d’Afrique a été une révélation pour moi.

La vérité ? Les luttes entre serpillières et chiffons sont très, mais alors très propres aux pays d’Afrique francophone. Les Anglophones politisent leur combat, ce qui leur permet de voir plus grand : elles s’attaquent aux lois et œuvrent pour leur amendement. Elles ont compris et prouvé que faire la vaisselle plus ou moins que l’autre n’est pas l’essence du combat. L’institutionnalisation de l’infériorité de la femme est la barrière à faire exploser au sein des familles et sur les plans professionnel et politique.

Pourquoi je vous bassine les oreilles avec le féminisme alors que le titre et la première phrase de l’article n’annonçaient pas tout ceci ? La digression est mon art, permettez-moi de m’exprimer. J’y viens (on ne dit pas « j’en viens », parce que en venir signifie qu‘on revient de quelque part et non qu’on y va !).

Donc je disais…

Découvrir cette dimension du féminisme a été pour moi une bouffée d’air frais. Une question ne trouvait pourtant pas de réponse : pourquoi parlait-on des féminismes au lieu du féminisme ? Beaucoup de celles et ceux qui se revendiquent afroféministes font très souvent cette différence et affirment que leur féminisme est différent et doit être reconnu comme tel. J’ai écouté les féministes noir(e)s, je les ai lu(e)s, mais je n’étais pas satisfaite. Où est-ce que j’allais trouver réponse à ma question ?

Tchonte avait lancé il n’y avait pas longtemps son initiative Hijab Stories qui donne la voix aux Hijabis (ou femmes « voilées »). J’ai suivi avec attention et j’ai aimé entendre des personnes qui ont fait le choix de porter le Hijab nous dire le pourquoi de leur choix ainsi que leur quotidien de Hijabi. Non, il ne s’agit pas forcément d’oppression. Je peux vous assurer que j’ai beaucoup ri en écoutant certaines anecdotes dans les vidéos.

Voyant mon grand intérêt pour son initiative (j’ai même enregistré une vidéo sur ma première interaction avec une Hijabi), Tchonte m’a recommandé de lire le livre It Is Not About The Burqa. Je me suis dépêchée de le lire tant à cause de mon intérêt pour Hijab Stories que pour la beauté de la couverture du livre. Oui, il est possible de me convaincre de cette manière : je suis une amoureuse du beau.

Photo : While You Are Ahead

It Is Not About The Burqa est jusqu’ici le seul livre audio que j’ai lu et adoré et dont je ne souhaite pas posséder la version papier. C’est une collection d’essais rédigés par 17 femmes musulmanes qui parlent de foi, de féminisme, de sexualité et de race. Chaque essai est lu par l’auteur, ce qui lui donne une dimension que je perdrais si je lisais le livre de ma propre voix.

 

 

Photo : While You Are Ahead

Dans un des premiers essais du l’ivre, l’auteur dit que se battre pour tout le monde selon les mêmes codes est discriminatoire. Cette déclaration m’a fait l’effet d’une révélation. Sur Terre, les femmes constituent un groupe à part entière. Au sein de ce groupe il y a les Noires, les Blanches, les Asiatiques, les Eurasiennes et tout ce que vous pouvez imaginer. Chacun de ces groupes raciaux a une histoire, une culture et une manière de traiter les femmes. Ensuite nous avons les Juives, les Chrétiennes, les Musulmanes, les Nées-de-nouveau, les Luthériennes, les Scientologues et tout ce que vous voulez. Chacune de ces obédiences a des codes clairs en ce qui concerne la place, le devoir de la femme.

Comment peut-on avoir les mêmes revendications pour la femme blanche-chrétienne que pour la femme noire-chrétienne, noire musulmane, ou « colorée » juive ? Elles ne font pas face aux mêmes problèmes. La culture, la race, leur obédience et l’histoire de leur peuple ne leur permet pas d’être dans la même catégorie. Lorsqu’on décide d’uniformiser un combat, on donne généralement la précellence au sous-groupe le plus « fort », et ici il s’agit de celui de la femme blanche chrétienne.

Elle ne fait pas face au racisme, donc le racisme ne compte pas. Elle ne porte pas de Hijab, donc il doit être aboli. Elle ne fait pas face au même plafond de verre que les autres, donc les leurs n’existent pas. Elle appartient à un peuple au sein duquel le combat pour l’émancipation des femmes date d’il y a longtemps, du coup elle bénéficie de nombreux droits qui restent inaccessibles aux autres. C’est un non-événement. Son avance prévaut, donc tous ceux qui ne sont pas à son niveau… ne comptent pas.

Ceci ne se limite pas au féminisme. Je me suis aperçue après réflexion que tous les combats souffrent de cette tare. Prenez exemple sur vos combats pour l’accès à internet. Vous militez pour la baisse des coûts de connexion parce que vous avez accès à cette connexion. Qu’en est-il de ceux qui n’ont pas accès du tout à l’électricité. Vous avez dépassé leur niveau, vous pouvez brancher vos iPhones où vous voulez, et donc accéder à internet à loisir. L’électricité est l’un des prérequis à l’accès à internet. Vous en souciez-vous ?

Anyway. Il était prévu que le je parle de culture et de religion, n’est-ce pas ?


Je n’avais jamais pris le temps d’écouter des femmes musulmanes s’étendre sur leur perception de leur situation. Elles étaient bien trop loin de mon univers, tout comme l’absence d’électricité dans le vôtre. Ce que je pensais ? Femme musulmane = femme très souvent asservie en raison des nombreux codes religieux. Je me suis rendue compte que je pensais consciemment ou inconsciemment que l’Islam était une religion de brutalité et de froideur.

C’est tout le contraire.

L’essai de Saima Mir est l’un de ceux qui m’ont particulièrement touchée. je vous recommande son article Divorce, Islam and me: ‘I will for ever be the woman who left two husbands’ L’histoire de Saima illustre parfaitement cette ascendance de la culture sur la religion. Si j’ai bien compris, selon les textes une femme musulmane a le droit de quitter son mari si elle n’est pas heureuse à ses côtés.

Saima Mir a été mariée à un mec dont la mère en a fait son souffre-douleur. Elle avait 19 ans et a immigré aux Etats-Unis, loin de sa famille, pour être proche de son époux. La relation s’est très mal passée et un divorce s’en est suivi. Sa situation de divorcée ne lui a pas été présenté sur un plan social, mais sur un plan religieux. Elle était impure et souillée (pourtant ces relations sexuelles, elle les a vécues dans le cadre du mariage !). La première femme du Prophète Mahomet avait près de 15 ans de plus que lui, avait de nombreux enfants et était divorcée 4 fois.

D’où venait donc cette souillure dont semblait souffrir Saima Mir ?

Elle a cédé à un second mariage en partie parce qu’un homme voulait d’elle « malgré tout ». Il en a fait la bonne à tout faire de toute sa famille. Une bonne épouse musulmane honore sa belle-famille et lave et repasse leurs vêtements à longueur de journée. Elle était d’ailleurs déjà divorcée et devait s’estimer heureuse qu’une famille pieuse et respectable l’accepte en son sein.

La manière dont ils ont fait du repassage une manifestation du respect requis par la religion me fascine. A l’époque du Prophète, je ne pense pas que le repassage existait, donc je ne vois pas à quel moment de l’histoire il a été possible de le compter parmi les manifestations de respect.

Lorsque Saima Mir a demandé le divorce, son deuxième mari a dit devant l’autorité supposée dissoudre le mariage religieux qu’il ne l’accordait pas à sa femme. Sauf que selon les textes (que l’époux lui-même semblait mal connaitre) son aval n’était pas nécessaire. Il s’est retourné vers son père et lui a dit « Tu m’avais pourtant dit que ça n’arriverait pas ! ». De génération en génération, il est véhiculé comme message que la femme n’a pas droit au divorce… ce qui est totalement opposé aux textes.

L’essai de Jamilla Heckmoun intitulé There’s No Such Thing as a Depressed Muslim : Discussing Mental Health in the Muslim Community est une perle. Selon les textes, toute maladie doit être soignée de la manière la plus efficace qui soit. Sauf que la dépression est considérée comme de l’ingratitude (Tout ce que Dieu fait est bon) ou une routine de prières pauvre (si la personne se confiait assez à Dieu, elle n’en serait pas là !). Jamilla Heckmoun s’est aperçue que suite à ces persécutions, il lui était aisé de prendre des médicaments pour ses maux physiques, mais avaler un comprimé pour son bien-être mental lui semblait être un péché.

À quel moment le rejet populaire de la dépression et des maux mentaux a été érigé en pilier religieux ? Pour aller plus loin à ce niveau je vous recommande l’article de Khadija Yusra Sanusi intitulé Pray About It : A Civilian’s Fight Against Mental Illness in Muslim Nigeria.

Aina Khan Obe se bat depuis des années pour l’enregistrement des mariages religieux musulmans en Grande-Bretagne. Avocate expérimentée, elle révèle que de nombreux Imams ne font pas enregistrer les mariages religieux suite à la pression de la communauté : les femmes auront bien trop de droits si les mariages sont enregistrés.

En gros ? Elles sont vouées à rester assises aux pieds de leur mari et à se courber au moindre caprice car elles peuvent être jetées à la rue à tout moment sans un kopek en poche. Vu que les mariages n’ont jamais été enregistrés, elles ont le statut de petite-amie aux yeux de la loi britannique. Imaginez une petite amie qui réclame la moitié des biens suite à une rupture. N’est-ce pas risible ?


La majorité des contributrices du livre It Is Not About the Burqa soulèvent cette distinction qui n’est pas souvent faite entre la culture et la religion. Ce qui est présenté comme religion aujourd’hui (et pas seulement dans le cas de l’Islam) est un groupe de croyances populaires et d’envies de domination majoritairement culturelles associées à des textes religieux savamment sélectionnés dans le but de donner du poids à ces croyances et d’apaiser la peur selon laquelle la domination pourrait échapper à certains groupes.

Ça ne va pas plus loin que ça.

Je me souviens que lorsque j’étais à l’université, 2 personnes ont frappé à ma porte un dimanche dans le but de m’évangéliser. J’avais du temps devant moi, donc je les ai reçu. Je leur ai demandé pourquoi leur argumentaire n’était appuyé que de textes religieux préalablement surlignés ? Pourquoi étaient-ils incapables de piocher un texte au hasard et d’en faire une base pour leur message si leurs dires reposaient vraiment sur l’œuvre religieuse dans son ensemble ? Pris au dépourvu, ils m’ont bêtement répondu que c’est ce qui leur avait été enseigné.

Je vous laisse sur cette réponse. Je tiens tout de même à vous poser cette question avant de m’en aller. Vous qui condamnez les autres sur la base de vos croyances religieuses, vous êtes-vous demandé si ces croyances vont vraiment dans le sens de la paix et l’amour du prochain sur lesquelles reposent la majorité des religions existantes ?

Vous me parlerez de textes qui parlent de lapidation. Je relancerai donc avec l’alignement aux réalités contemporaines : il y a quelques temps la majorité de vos pasteurs révélés traitaient Facebook de création du diable… ils se sont retrouvés à prêcher via les réseaux sociaux suite à l’interdiction des rassemblements à cause du COVID-19.

Si vos agissements vont dans le sens de la persécution d’autrui, demandez-vous si vous marchez dans le sens de la volonté de Dieu ou si vous vous appuyez sur des déclarations de gens qui n’ont aucune preuve que leurs avis est un avis révélé.

Photo : Janko


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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13 comments
  1. J’aime tes digressions la mère. Du j’y viens/ j’en viens à la culture et passant par les féminines 😅.

    Excellent article comme toujours. Le débat sur le féminisme est tellement houleux. Ne pas être d’accord aujourd’hui nous donne tout de suite droit à une étiquette… quitte à l’assume ! Dans le cadre de mon questionnement sur ce sujet l’on m’a recommandé l’ouvrage de Françoise Vergès, le féminisme décolonial. J’espère y trouve plus de réponses en plus de ton propos.

    Sur le dernier point je retiens qu’au final ce n’est pas tant la religion en elle même qui constitue un outil de domination mais c’est bien la culture, faite de nos opinions ✅.

    1. Effectivement, c’est la culture. Elle est malheureusement quasiment indissociable aujourd’hui de la manière dont la religion est présentée.

  2. 《Ce qui est présenté comme religion aujourd’hui (et pas seulement dans le cas de l’Islam) est un groupe de croyances populaires et d’envies de domination majoritairement culturelles associées à des textes religieux savamment sélectionnés dans le but de donner du poids à ces croyances et d’apaiser la peur selon laquelle la domination pourrait échapper à certains groupes.》
    Je pense que tout est dit!

  3. Hi @Befoune

    Édifié à plus d’un titre par ton texte. (Et content d’être de retour ici☺️)

    “L’institutionnalisation de l’infériorité de la femme est la barrière à faire exploser au sein des familles et sur les plans professionnel et politique.” Que dire? Si bien formulé, si pertinent. You nailed it! 👌🏾👌🏾👌🏾

    La route pour faire tomber cette barrière est longue, mais quand la barrière est si bien identifiée, il y’a de quoi être optimiste.

    “Les Anglophones politisent leur combat, ce qui leur permet de voir plus grand : elles s’attaquent aux lois et œuvrent pour leur amendement. ” S’attaquer aux lois, the way to go. C’est vraiment ce qui nous manque de ce côté…

    “J’y viens (on ne dit pas « j’en viens », parce que en venir signifie qu‘on revient de quelque part et non qu’on y va !).” Sacrée @Befoune 😂👌🏾👌🏾👌🏾 #Merci

    “Lorsqu’on décide d’uniformiser un combat, on donne généralement la précellence au sous-groupe le plus « fort »,” That’s quite an eye-opener, Thanks. La manière de combattre doit en effet être adaptée aux us, coutumes, à l’environnement particulier de chaque sous-groupe. Le copy-paste s’appuyant sur ce qui convient à un groupe dominant est de nature à générer blocages et frustrations; bref n’est ni efficace ni efficient.

    Merci pour tes exemples qui viennent rappeler à quel point dans la pratique, les textes et leur esprit peuvent être volontairement travestis pour servir les intérêts des “plus forts” (du moins de ceux qui veulent garder les autres sous leur contrôle, via des dogmes qui n’ont rien à voir avec l’amour du prochain). Cas du repassage et de la conception même des “impuretés”

    Admiratif devant la persévérance dont tu fais preuve pour assouvir ta curiosité, pour aller au-delà des idées préconçues – en creusant, en lisant / te documentant – puis par ton sens du partage et de la pédagogie. Mais ça tu le sais déjà😊.

    Un régal… as usual.

      1. 🙈🙈🙈
        En forme, merci.

        Disons que je faisais quelques digressions loin du navigateur Internet. Mais je suis de retour à la maison😊

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