Je ferai vivre le temps qu’il faudra

8 minutes

« I believe the most valuable gift you can give yourself is time. »

Oprah Winfrey dit cette phrase au début de chacun des épisodes de son podcast Oprah’s Super Soul Conversation.

Au départ, je dois avouer que je n’aimais pas le fait d’avoir une introduction figée pour un podcast. Ce n’était pas très plaisant d’écouter des épisodes d’affilée qui commencent tous de la même manière. Jusqu’à ce que je découvre la valeur du temps, l’importance du fait de se donner du temps.

J’ai appris la valeur du temps de la manière la moins douce. Je l’ai écrit dans l’article Oui je tomberai autant qu’il le faudra, il ne m’a pas été facile de constater après mon dernier épisode dépressif que nombre de mes facultés étaient perdues. Mes capacités à lire, écrire et réfléchir étaient grandement altérées. Je n’avais plus, et je n’ai toujours plus les mêmes aptitudes. J’ai du mal à être aussi productive qu’avant, je réfléchis à deux fois avant de me lever à 5 heures du matin, je n’ai plus le même désir, la même volonté d’être « présente » dans des cercles de discussion qui étaient pour moi cruciaux il y a encore quelques mois.

Il a été difficile pour moi de l’accepter. Je ne suis toujours pas pleinement en phase avec ma situation. Ma « faim » me manque. Tout comme ma « rage ». Elles existent toujours, mais sous une forme bien moins violente, plus passive, mais aussi plus observatrice et plus critique. Je ne me reconnais pas. Je suis émotionnellement lassée par des combats pour lesquels je n’aurais pas hésité à marcher en première ligne. Aujourd’hui tout cela n’a que peu de sens. Je préfère décortiquer, penser et repenser les systèmes, une activité bien moins bruyante, plus satisfaisante, mais parfois douloureuse. Je ne fais plus partie de la conversation, et ça me manque parfois. Sauf que chaque fois que j’ai essayé de rentrer dans la danse, j’ai été profondément déçue du niveau des débats, de la qualité des arguments, mais surtout de la subjectivité des points de vue. La passion ne devrait pas être au fondement de la réflexion, sinon cette dernière est biaisée dès le départ.

Il m’a fallu du temps pour passer de la revendication à une réflexion profonde. Il m’a fallu du temps pour constater et accepter que je ne suis plus la Befoune-va-t’en-guerre que j’ai été. Et il me faudra du temps, beaucoup de temps pour me tracer une nouvelle voie, me construire un équilibre solide. J’ai l’impression aujourd’hui d’être totalement inutile, tant à moi qu’aux autres. Je ne sais où je vais. En fait si, mais la route est tellement différente que celle que j’ai eu l’habitude d’emprunter que la plupart du temps je me crois perdue. Je me sens perdue.

Cette période est très difficile pour moi. La seule chose qui me permet de tenir est l’article Alive Time VS Dead Time: Which Are You In de Ryan Holiday. Oui, celui qui a écrit Ego Is The Enemy, le livre dont je parle dans l’article publié hier. La question que pose l’auteur est très simple : durant les périodes de doute, de vide, préfères-tu passer du temps à t’apitoyer sur ton sort ou choisis-tu plutôt de te préparer pour l’après ? En d’autres termes, te mettras-tu dans des conditions qui te permettent d’anticiper l’après afin qu’il soit bien meilleur qu’il aurait pu l’être ?

Cette question se rapproche du discours de Viktor E. Frankl dont je parle dans l’article Trouver un sens à sa souffrance. Comment vivre cette période durant laquelle on n’a le contrôle sur rien, cette période durant laquelle on a le sentiment d’aller à la dérive ? Bien que je sois très souvent tentée de le faire, je refuse de vivre un Dead Time, une période où j’attends patiemment que la providence fasse son travail. Je ne suis pas une feuille qui se balance au gré du vent. Malgré les nombreux doutes et une appréhension pour un après qui ne semble pas se profiler, malgré tous les signaux lumineux qui m’incitent, me poussent, exigent de moi que je revienne sur mes pas et que je redevienne l’ancienne moi en faisant fi de l’envie de vomir qui me tenaille lorsque je me retrouve dans des situations qui me rappellent l’activiste passionnée que j’étais, je refuse de me laisser diriger.

Je veux vivre, je vis un Alive Time. Je ne sais de quoi demain sera fait, mais je l’attends en mettant de l’ordre dans ma vie. Je me défais, un fil après l’autre, de cette part de moi que je ne reconnais plus. Je mets de l’ordre dans mes finances, parcours documenté dans le Money Series qui en est à son cinquième article. Je lis. Beaucoup. J’apprends à me connaitre à nouveau. J’ai des conversations privées avec des personnes prêtes à déconstruire les systèmes avec moi, des personnes qui me mettent sous le nez les limites de mes réflexions.

J’écris. Beaucoup pour certains, mais nettement moins que je le voudrais. J’écris pour apprendre à nouveau à écrire, mais aussi pour partager ce pan de mes réflexions/de ma vie que j’avais décidé de taire pour qu’il n’y ait aucune interférence susceptible de brouiller le message citoyen que je souhaitais faire passer. Ces réflexions longtemps tues, ces livres que je lis mais dont je ne parlais jamais en ligne sont à présent prioritaires. Je renais, et l’accouchement est très, très difficile. Malgré son agonie, l’ancienne moi s’accroche à la vie et veut rester présente, quitte à me dégoûter au quotidien.

Comme le recommande Oprah, il faut se faire le cadeau du temps. La suite de la citation mentionnée au début de l’article est « Taking time to be more fully present. » Je ne peux vivre un Dead Time, sinon je ne serai pas là. Je ne serai pas présente, et je ne peux m’offrir le luxe d’être absente de ma propre vie. J’applique avec minutie les enseignements de Frankl : je trouve un sens à ma souffrance pour trouver un sens à ma vie en ce moment. Je m’occupe. Je m’active. Je vis ce vide comme une période de temps mort durant lequel j’ai la possibilité d’accumuler des connaissances qui me serviront dans l’après. Je vis également ce temps mort comme une période durant laquelle je peux, à mon niveau, donner une forme à cet après. Je me pose au quotidien cette question que je suis très souvent tentée de fuir : Qu’est-ce que je veux, qu’est-ce que je veux vraiment ?

Je terminerai cet article avec une que j’ai reçue d’un petit ange. Il m’a demandé comment je fais pour ne jamais flancher, pour ne jamais baisser les bras, comment je fais pour rester au top toujours, tout le temps ?

La vérité est que je me laisse flancher. Très souvent. Je me laisse aller. Il ne m’est plus aussi facile qu’avant d’être très disciplinée. Alors je me laisse aller et je contemple l’étendue des conséquences de mon attitude misérable. C’est utile, ça me permet de comprendre la valeur de ce que je perds, mais aussi sa nécessité pour l’après. Je l’ai dit dans les précédents articles, en ce moment je lis Thinking in Bets: Make Smarter Decisions When You Don’t Have All The Facts d’Annie Duke. J’ai reçu une partie du livre comme une gifle. Dans cette partie, l’auteur recommande de penser chaque décision prise comme un pari sur son futur soi. En quoi dormir toute la journée par exemple aide mon futur moi ? C’est certes très agréable sur le moment, mais suis-je prête à risquer la future moi que je veux dans l’après pour une journée de sommeil ? Suis-je prête à mettre en jeu des heures de fitness dont pourrait bénéficier la future moi en buvant 3 canettes de malta d’affilée de nombreuses fois par jour ? Je l’ai fait. Au vu du résultat, un ventre nettement moins plat que d’habitude, j’ai eu pitié pour la future moi, celle pour qui j’ai fait tant d’efforts que j’ai moi-même saboté au final.

Je me fais le cadeau du temps.

Je me fais le cadeau d’une présence entière durant ce temps que je m’offre. Je me fais également le cadeau de la possibilité de flancher pendant un certain temps pour contempler les résultats désastreux qu’un mauvais choix ou une mauvaise décision peut avoir sur la future moi sur le long terme. Je m’offre le luxe de faire du temps mort que la vie m’impose un temps pour apprendre, pour observer, pour réfléchir, pour penser et repenser.

Photo : David Rockola


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