S’en aller, oui, mais comment ?

26 minutes

Deux décès m’ont été annoncés hier.

 

Je pense souvent à la mort. Apparemment plus souvent que la normale, car chaque fois que j’aborde ce sujet avec les membres de ma famille, je suis immédiatement censurée.

On ne parle pas de ces choses-là. On n’attire pas le malheur sur soi. Si on en parle trop, alors elle peut survenir à tout moment.

Qu’on en parle ou pas, la mort survient à tout moment. Taire mes pensées, mes réflexions et mes mots n’éloignent pas la mort. Au contraire, les taire la rapproche. Pourquoi ? Parce que si je cesse d’y penser, je cesse de me préparer, et elle sera soudaine en tout temps. Demain ou dans 50 ans.

Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas de vie après la mort. Tout s’arrête au moment où la vie quitte le corps, tout comme tout commence quand elle le rejoint. Je ne crois pas en un au-delà rose et fruité. Je ne crois pas en un paradis ou un enfer. Je pense que tout se vit, se récompense et se paye ici-bas. Si ça ne passe pas par nous, ça passera par notre descendance. 

J’ai la certitude que toute cette chance dont je jouis ne me vient pas d’une bonne étoile. Elle est la somme des actions positives et des prières de mes parents, de leurs parents, et de tous ceux qui me portent dans leur cœur. Je bénéficie de leur récompense ici-bas. 

Et Dieu dans tout ça, me demanderez-vous. Je n’aborderai pas ce sujet. Un jour peut-être, je présenterai en long et en large ce que j’en pense. Mais ce jour n’est pas aujourd’hui.


Je n’ai pas peur de la mort.

Elle m’angoisse parfois. L’inexistence m’angoisse parfois. Je me demande souvent où j’étais en 1500 quand tel ou tel fait historique a eu lieu. Je n’existais pas. Mon seul réconfort à ces moments-là est de savoir que je peux m’informer sur ces époques où je n’étais pas là. Je peux apprendre d’elles. Je peux les vivre à travers les écrits.

Mais où serais-je en 4523 ? Dans le néant une fois de plus. J’en viens, j’y retourne. Sauf que ce sera pour toujours. Le néant d’avant la vie est différent de celui d’après la vie. Celui d’après ne peut être brisé car je ne reviendrai plus. Je n’ai pas peur de la mort. L’inexistence m’angoisse.

Pourquoi est-ce que je pense aussi souvent à la mort ? Parce que je ne vais pas y échapper. Alors il est préférable pour moi de la planifier. Exactement comme je planifierais ma journée de demain ou ce que je veux pour ma vie pour 2020.


Un de mes grands-pères est décédé il y a quelques années. 

C’était un homme que tout le monde jugeait froid. Je le pensais aussi à l’époque. Il était très riche, et sa famille ne comprenait pas pourquoi il ne leur distribuait pas son argent. « Cet homme n’aide pas les gens ! » C’est ainsi qu’il était décrit.

Beaucoup ont estimé que ce grand-père n’avait pas élevé ses enfants de manière soudée. Il en avait beaucoup, et chacun savait exactement ce qui lui reviendrait à la mort de son père. Il a même vendu certaines de ses maisons à ses enfants. Oui, vendu, ce qui  a été critiqué avec véhémence. Un père ne vend rien à ses enfants. Tout ce qu’il a leur appartient. Il doit leur laisser son héritage et ils décident entre eux à qui va quoi. 

C’est l’usage.

Avant sa mort, mon grand-père (qui n’est ni le père de mon père, ni le père de ma mère, mais un oncle par alliance à ma mère) a rédigé un document clair. Il a préparé ses funérailles. Il avait fait creuser sa tombe dans la fleur de l’âge. Tout le monde savait donc où il souhaitait être enterré, chose qu’il a rappelée dans son document. Il a dressé le programme de ses obsèques, a précisé qui devait lui rendre hommage à travers un discours et quand. L’homme a attribué des places précises à chaque membre de sa famille durant la cérémonie, cérémonie qu’il a budgétisée, budget qu’il a mis à disposition.

Tout ceci a été pris comme un affront par les personnes n’appartenant pas au cercle fermé de mon grand-père. Pour qui se prenait-il ? Où se croyait-il ? Et, surtout, depuis quand les morts décident-il ? 

Pourtant ses enfants ont scrupuleusement suivi ses instructions, et tout s’est bien passé.

Je n’ai compris que bien plus tard la profondeur, mais surtout l’affection derrière ce comportement. Je ne l’ai compris que lorsque j’ai vraiment commencé à penser à la mort.


La mort est un poids lorsqu’on en a peur ou lorsqu’on pense qu’elle fauche la vie. Pourquoi ne pleure-t-on pas face à un plat de nourriture vide, nourriture qu’on vient de manger ? Au contraire, on regarde le plat avec satisfaction et on se dit qu’on a fait du beau boulot, surtout si la nourriture a été bonne. Parfois même on ne termine pas ce plat, parce qu’on en a assez. On n’en veut juste plus.

Ceux qui pleurent face à un plat de nourriture vide sont ceux qui n’ont pas l’occasion de manger à leur faim. Ceux qui pleurent face à leur mort sont ceux qui pensent qu’ils n’ont pas pleinement consommé leur vie, qu’ils n’en ont pas eu assez.

Un livre m’a permis de mettre en mots de manière structurée mes réflexions à propos de la mort. Vous savez, les pensées ne se traduisent pas toujours par un langage qui peut être compris des autres. On sait ce qu’on pense sans pouvoir l’exprimer. J’ai fait face à cette limite jusqu’à ce que je lise le livre de Viktor E. Frankl, Man’s Search for Meaning. Je vous en ai longuement parlé dans 2 articles : le premier porte sur l’action de chercher en soi le sens de ses souffrances afin de les vivre pleinement et ainsi en accepter le poids, et le second parle de la responsabilité de chacun par rapport à chaque événement dans sa propre vie. J’ai même envoyé une copie électronique du livre aux abonnés du blog il y a quelques mois.

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Dans son livre, Frankl dit ceci :

« I quoted a poet — to avoid sounding like a preacher myself — « What you have experienced, no power on earth can take from you ». Not only our experiences, but all we have done, whatever great thoughts we may have had, and all we have suffered, all this is not lost, though it is past; we have brought it into being. Having been is also a kind of being and perhaps the surest kind. »

Je crois fermement que quel que soit l’âge auquel on meurt, on a eu une vie remplie. Un enfant qui a pris vie et est mort dans le ventre de sa mère n’est pas un être qui n’a jamais vécu. Il a fait l’expérience d’une vie avec celle qui l’a porté. Il a vécu leur communion. Il a mangé et respiré à travers elle. Il a entendu son cœur battre, il a senti sa main sur son ventre et il a l’a écouté lui parler. Il a entendu les bruits autour d’elle et a appris à les reconnaître. Il a adopté un rythme de vie : il a dormi lorsqu’elle était en mouvement et est resté en éveil quand elle était calmement posée dans son lit ou dans un fauteuil, pour lui aussi profiter de ce moment de calme.

Cet enfant a été, et c’est la raison pour laquelle je ne parle pas de fausse-couche. Ce n’est pas une fausse-couche. Cet enfant n’a pas été accouché, mais il a vécu une vie pleine. Sa vie n’a pas moins de sens parce qu’il ne connaîtra pas ce que ceux qui le plaignent ont connu. La vie d’un Indonésien n’est pas vide de sens parce qu’il n’a jamais mangé le Ndole, plat jugé incontournable dans certaines contrées du Cameroun. Cet Indonésien peut vire 100 ans sans que le fait de n’avoir jamais connu le Ndole marque sa vie. Il n’en a rien à foutre du Ndole. Il se concentre sur ses expériences de vie à lui et ne découvrira que ce qu’il peut découvrir selon les moyens dont il dispose et les opportunités qui s’offrent à lui.

Parfois je regarde le petit humain et je me dis que s’il mourrait aujourd’hui, il aurait eu une vie remplie. Il a bravé les contraceptifs et s’est implanté coûte que vaille. Il a grandi dans mon ventre, un endroit hostile à son développement. Il ne s’est pas laissé faire et a continué son bonhomme de chemin malgré la souffrance que lui faisaient vivre les nombreux fibromes, ainsi que l’état de santé tant physique que mental de celle qui l’a porté.

Le petit humain est né dans un monde où il est couvert d’amour. Tous les gens autour de lui, qu’ils l’aient déjà vus ou pas, le comblent de cadeaux et de bénédictions. Il a des parents, des grands parents, des cousins, des cousines des tantes, des oncles et tout ce que vous pouvez imaginer qui sont à son écoute et ne veulent que son bien.

Il vit pleinement, mange et dort comme bon lui semble. Il évolue dans un univers protégé où tout est mis à disposition pour un développement positif et utile pour lui. S’il partait aujourd’hui, la perte ne serait qu’au niveau de ceux qu’il laisse derrière lui. Il ne souffrira pas de ce qu’il ne sait pas. Il ne sait pas ce qu’est être adulte, alors ça ne lui manquera pas. Il ne connait pas le Ndole, et ne vit que pour le lait.

Sa vie est aussi pleine que la mienne, mais à des degrés différents. Ce qui nous contente et les combats que nous menons ne sont pas pareils mais ils existent et restent valables dans chacune de nos réalités.

Frankl m’a par contre permis d’entrevoir un pan de la mort auquel je n’avais pas pensé. Le départ des personnes âgées rend triste parce qu’on se focalise sur ce qu’on estime qu’elles ne vivront pas, faisant fi de tout ce qu’elles ont vécu. À ce propos, l’auteur dit :

« […] What will it matter to him if he notices that he is growing old ? Has he any reason to envy the young people whom he seees, or wax nostalgic over his own youth ? What reasons has he to envy a young person ? For the possibilities a young person has, the futrue which is in store for him ? « No, thank you », he will think. « Instead of possibiliteis, I have realities in my past, not only the reality of work done and of love loved, but of sufferings bravely suffered. These sufferings are even the things I am most proud, though these are things which cannot inspire envy. »

La personne âgée qui meurt n’a peut-être plus de possibilités, de futur devant elle, mais elle est forte d’une expérience de vie inqualifiable. Elle a elle aussi bénéficié de possibilités, mais à une autre époque, un autre temps. Elle a aimé, détesté, souffert, combattu. Tout ce qu’on lui souhaite est en réalité tout ce qu’elle a déjà vécu. Alors est-ce vraiment une perte pour elle si on considère que dans une certaine mesure tout n’aurait été que répétition ?

Ne nous méprenons pas. Je ne dis pas ici qu’un décès n’est pas un événement triste. Je dis encore moins qu’une personne qui s’en va devrait le faire forcément dans la joie. Ce que je dis est simple : la personne qui s’en va, quoi qu’on puisse en penser, a vécu une vie aussi riche que pleine, qu’elle ait été une vie considérée comme une vie de souffrance ou de bonheur. La personne qui s’en va part avec un bagage plein. Et n’oublions pas, nous n’avons qu’un regard externe sur sa vie.

Dans son livre, Frankl parle d’une dame qui avait 2 fils. L’un en  bonne santé, et l’autre handicapé moteur, paralysé depuis l’enfance. À la mort du fils qui jouissait pleinement de ses facultés physiques, la mère s’est retrouvée seule avec son fils handicapé. Ils n’étaient plus que 2. Pour elle, la vie ne valait plus la peine d’être vécue. Quelle joie aurait-elle à vieillir avec devant les yeux un enfant qui n’a aucune autonomie et qui en souffre très certainement ? La dame a pris la décision de tuer son fils puis de se tuer elle aussi afin que le calvaire cesse. 

Sauf que.

« But when she tried to commit suicide together with him, it was the crippled son who prevented her from doing so ; he liked living ! For him, life had remained meaningful. »

On dit très souvent que le bonheur est la chose la mieux partagée. Ce qu’on oublie par contre est que nos sources de bonheur sont différentes. La mère de cet enfant paralysé pense que pour être heureux il faut jouir d’une autonomie physique. Le fils paralysé tire sa joie d’ailleurs, d’où cette étincelle de vie dans ses yeux qui a empêché sa mère de le tuer. Il aimait vivre. À sa manière. Pour être valide, cette manière n’avait pas besoin d’être identique à celle de sa mère.

En écrivant cette partie, j’ai voulu parler de « fils invalide ». C’est la traduction qui m’est venue spontanément. Puis je me suis demandée qui j’étais pour qualifier cette personne d’invalide. Qu’est-ce qui l’invalide ? Sa différence ? Le fait que contrairement à nombre d’entre nous il soit dépendant des autres ? Est-ce que cela fait de lui un sous-homme ? Ne laissons pas nos perceptions ou ce que nous croyons savoir affecter notre considération des autres.


J’ai  essayé de parler de ma mort à mes proches de nombreuses fois. J’ai essayé de leur partager mes dernières volontés, mais absolument personne ne veut m’écouter, si ce n’est mon grand-frère.

Il est pour moi encore plus important aujourd’hui de communiquer mes dernières volontés. J’ai un enfant, et ce que je veux pour lui est clair.

Je vis dans un pays autre que mon pays d’origine. Je ne veux pas que qui ce soit se ruine en frais de rapatriement. Je ne parle pas de corps ou de cadavre. C’est dévalorisant. Je ne serai plus présente, alors dépenser des millions qui pourraient servir autrement serait stupide.

Je ne veux pas être enterrée. Je ne veux pas être mise en terre et abandonnée toute seule. J’aime la solitude, mais pas à ce point. Je veux que tous mes organes soient donnés si utiles, puis je veux être brûlée. Le sort de mes biens matériels est clairement défini. Tout ira aux 3 enfants : le petit humain, ma nièce et mon neveu. J’ai clairement ventilé à qui va quoi.

Vous vous souvenez de mon grand-père dont j’ai parlé il n’y pas longtemps ? Je vous ai dit qu’il m’a fallu du temps pour comprendre son geste.

Vendre certains de ses biens à ses enfants n’a rien de méchant. Tout dépend de l’état d’esprit dans lequel on se trouve. Il peut s’agir de montrer aux enfants que tout ne leur est pas acquis dans cette vie, et que toute chose convoitée doit être acquise par ses propres moyens. Ses enfants ont certainement exprimé l’envie de posséder ses biens de son vivant. Chacun définit comment il apprend quoi à ses enfants, et la méthode reste valide tant qu’elle ne les met pas en danger.

« Cet homme n’aide pas les gens ! »

Mon grand-père avait une grande famille à charge et avait travaillé toute sa vie pour la mettre à l’abri du besoin. Pourquoi devait-il partager sa richesse avec des gens qui n’étaient souvent prêts à rien pour eux-mêmes, comptant calmement sur la richesse de l’autre ? Je vous l’ai dit dans le Money Series #8, mon argent ne servira pas à alimenter les désirs de grandeurs de ceux qui ne veulent pas respecter leur niveau de vie. Il ne servira pas non plus à soustraire qui que ce soit de ses obligations. Ce n’est pas parce que j’en ai (je suis encore loin d’être milliardaire, mais je me bats comme je peux) que le peuple doit s’asseoir et attendre que je donne. Je n’attends pas qu’on me donne, moi. Je travaille.

Le testament rédigé avant la mort a permis à mon grand-père d’éviter tout déchirement familial. Ce sont ses biens et c’est lui qui décide. Ce qui a été vendu reste en possession de l’acheteur. Le reste est réparti selon le bon vouloir du possesseur, et cela a été clairement dit à chacun avant le grand départ. Il était hors de question de découvrir ses volontés après son décès. Tout devait être clair pour éviter toute incompréhension ou toute injustice.

La budgétisation de son deuil a été une des marques les plus affectueuses à mon avis. La mort n’est jamais prévue. On ne sait qui aura de l’argent disponible à ce moment-là, et plutôt que de compter sur ce hasard, mon grand-père a alloué une partie de son argent à son propre deuil. Il ne voulait être un poids pour personne. Il ne voulait pas ajouter la pression à la douleur.

Mon grand-père savait exactement comment il voulait partir. Il ne comptait laisser personne décider pour lui. Je ne compte laisser personne décider pour moi. Pas de grande fête et de maison à repeindre ou à reconstruire. Tout devra se faire dans le calme afin que la routine des uns et des autres ne soit pas perturbée. Je ne suis pas une bête de foire. Je ne veux pas être exposée dans une salle triste, habillée de façon ridicule pour qu’on puisse me « voir » une dernière fois. On m’a assez vue. Donnez les organes, brûlez le reste, puis lisez mes écrits quand vous voulez vous souvenir de moi. Ma mort ne doit pas  coûter un centimètre d’espace ou un centime d’argent à qui que ce soit.


Je trouve dommage que beaucoup refusent de penser à leur mort. Je trouve encore plus dommage qu’ils soient prêts, de manière consciente ou inconsciente, à laisser un sombre chaos derrière eux ou à être source de grosses dépenses inutiles.

Je n’ai jamais compris le sens de « grand deuil », ou de la phrase « Ses proches lui ont fait honneur hein ! La maison a été reconstruite et tout le monde a eu à boire et à manger ! ». L’honneur se résume-t-il à nourri le peuple alors que, peut-être de son vivant, la personne décédée n’a pas eu accès à tout cet argent pour ses soins ?

La mort comme la vie est une question de priorités, tant pour ceux qui partent que pour ceux qu’ils laissent derrière eux.


Pour rester approfondir mon rapport à la mort, je vous recommande vivement le texte Ma grand-mère est morte et j’ai ri !

Photo : Matthew T.


PS : peu de gens le savent, mais il est possible de surligner des passages des articles, comme c’est le cas sur Medium. Ce serait bien d’utiliser cette fonctionnalité pour que je sache quelles sont les parties du texte qui ont retenu votre attention. Et puis, il faut bien que mon argent serve à quelque chose puisque j’ai payé pour cette fonctionnalité !


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9 comments
  1. J’ai lu tout jusqu’au bout, je pensais être la seule à souvent penser à la mort et la manière dont j’aimerai que les choses se passent.
    Plus je te lis moins je me sens seule dans certaines de mes pensées.
    Toujours un plaisir de te lire.

  2. Ton billet est profond!
    Moi aussi parfois je dis des choses par rapport à ma mort. Comme le fait de vouloir que tout le monde porte des couleurs vives à mon enterrement, parce que j’aime la couleur!
    Mais à chaque fois, on me ferme la bouche en disant que ça porte malheur d’en parler lol.
    En tout cas, ce que je retiens, c’est que ce qui importe, c’est la vie qu’on a vécu, alors je peux conclure en disant que te lire m’a simplement donné envie de profiter de la vie, de vivre.
    Merci beaucoup.

  3. C’est vrai, qu’on se sens moins seule à chaque fois qu’on fait un petit saut ici et c’est tellement apaisant !
    J’avais un petit frère, il est décédé à l’âge de trois ans et moi j’en avais cinq, j’ai pas trop de souvenir de lui mais à chaque fois quand je pense à lui, quand je vois les photos, ça me fait beaucoup de peine, surtout après avoir appris que c’était suite à une erreur médicale, je me suis toujours dit que c’était pas juste et qu’il est partie bien trop tôt, mais enfin de compte il à vécu sa vie, aussi courte que cela à pu être selon moi, sa vie à bien compté et là juste suis ravie de l’avoir eu comme petit frère pendant un moment..il était un enfant très joviale et à partir de maintenant c’est la seule chose que je vais retenir de lui ! Merci befoune

    1. “C’est vrai, qu’on se sens moins seule à chaque fois qu’on fait un petit saut ici et c’est tellement apaisant !” Cette phrase est le meilleur compliment reçu depuis que j’ai créé ce blog. Merci beaucoup Salma. Je suis vraiment contente de t’être utile. Je ferai de mon mieux pour continuer de l’être.

  4. “Je pense souvent à la mort. Apparemment plus souvent que la normale, car chaque fois que j’aborde ce sujet avec les membres de ma famille, je suis immédiatement censurée.”
    Je vis la même situation avec ma famille, plus précisément avec mon conjoint. comme tu dis, les gens ne veulent pas en entendre parler de peur que cela ne se produise alors que pour moi, cela doit se planifier car de toute façon, nous sommes amener à mourir. combien de famille j’ai vu se déchirer à la suite de la mort d’un des membres dit riche? tout ca parce que de son vivant cette personne n’a pas pensé planifier et dire concrètement ce qu’il aimerait.
    Il y a aussi ceux qui planifient mais qui gardent secret jusqu’à leurs morts; avec sensiblement les mêmes résultats.
    Bref, j’ai aime lire ton article car il rejoint ce que je pense et pour le coup je vais le faire lire à mon mari et partager à mon entourage
    Merci.

    1. J’espère que la lecture leur permettra de mieux te comprendre Sonia. J’ai essayé il y a quelques jours encore, et une fois de plus on m’a fait taire.

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