34 ans, entre doutes et raison

9 minutes

J’ai appris à être fière de l’âge que j’ai. 

Après des années de questionnement et d’auto-apitoiement, j’ai appris que chacun a son parcours et je ne peux me mesurer aux accomplissements des autres. La réussite de l’autre n’est pas une preuve de mon échec. Je n’échoue pas, je manque certaines opportunités ; je ne les saisis pas ou alors je ne me donne pas assez pour obtenir le résultat attendu. Les opportunités  manquées sont intimement liées à mes choix, mes décisions, mais aussi et surtout à mes actions et mes inactions.

L’un des plus grands enseignements de cette vie est l’acceptation de l’existence des sister-ships. Je ne me souviens plus de la revue dans laquelle j’ai lu cet article, il s’agissait de la section courrier des lecteurs. Un lecteur a partagé sa peur de passer à côté d’une vie potentiellement  meilleure à cause des choix qu’il (ou elle ?) a fait.

La personne qui a répondu au courrier a dit ceci en substance : la vie n’est qu’un jeu de possibilités. Chaque décision prise change le cours des choses. Ce qui aurait pu être ne sera plus jamais, mais est-ce une fatalité ? La réalité manquée n’est que l’une des infinies possibilités de la vie qu’on aurait pu avoir. C’est un sister-ship parmi tant d’autres de la vie qu’on a aujourd’hui, et contempler la possibilité perdue de ce sister-ship c’est passer à côté de la vie qu’on a aujourd’hui. 

Faire de ma vie la meilleure version du ship dans lequel je me suis embarquée est l’une des missions que je me donne.

Make the most of what you have.


J’ai eu 34 ans tout récemment.

Je ne célèbre pas mes anniversaires. Je n’en fais pas un moment d’évaluation ou d’introspection. Je ne peux empêcher le temps de passer et je ne suis pas responsable des attentes du monde par rapport à un humain de mon âge. Je ne peux que vivre ma vie et la modeler selon mes envies personnelles, selon ce que je juge utile et bon pour moi. Chaque jour est un nouveau jour, un jour où je peux faire mieux, où je dois faire mieux.

Pourtant quelques semaines (ou mois ?) avant mon anniversaire j’ai commencé à me sentir lourde. Ma vie professionnelle est au cœur de ma réflexion, j’en ai longuement parlé dans l’article Peut-on exceller en trahissant sa personnalité. Tous mes choix ont été faits sur la base de l’individualisme, d’une personne sans enfant et qui n’avait aucune intention d’en avoir. Le travail n’est pas pour moi quelque chose de statique. Je ne pense pas en termes de carrière, mais d’expériences vécues et de connaissances acquises.

Je me demande aujourd’hui si mes choix n’ont pas été mauvais. Je me demande si mon parcours n’a pas été une succession d’erreurs. Je me demande si ces décisions prises il y a 6, 4, 3 ou 2 ans ne me mettent pas aujourd’hui dans une situation de précarité professionnelle. Je questionne la multitude de compétences acquises et avérées et je me demande si je n’aurais pas mieux fait d’opter pour une « carrière », des compétences figées dans un seul domaine afin de me mettre à l’abri du stress que fait naître la matérialisation du cadre éducatif que je souhaite pour mon enfant.

Aurais-je dû faire des choix différents ?

Ce ship-ci est-il merdique par rapport à tous ces autres auxquels j’ai volontairement tourné le dos ?

Lorsque je fais face à une réflexion lourde, j’interdis à mon cerveau de s’activer. C’est mon mécanisme de défense. Je fais des gâteaux en regardant The Big Bang Theory. Je regarde des chaînes de gossip sur YouTube. Je me convaincs qu’au final, ma vie est bien meilleure que celle de ces personnes qu’on éventre pour des like et des partage. Je m’évade. Je disparais de mon propre questionnement.

J’ai réussi à fuir ma réalité grâce à une léthargie savamment orchestrée. Ma vérité m’a pourtant rattrapée, et ce à un moment où je ne m’y attendais pas du tout. J’écoute depuis 5 jours déjà le livre Born A Crime de Trevor Noah. L’histoire est aussi inspirante que tragique, mais ce n’est pas ce qui m’a secoué. L’année de naissance de l’auteur m’a porté un coup au cœur. 1984. 

Il est né en 1984 et il a accompli tout cela ? Il n’a que 2 ans de plus que moi et il en est déjà là ? C’est officiel, je ne suis qu’une merde.

L’enfer de la comparaison.

Je ne me suis pas retrouvée dans cette spirale depuis des années. J’ai tellement bien intégré les concepts d’individualité des opportunités et des accomplissements que ce volet ne m’affecte plus. Il ne m’affectait plus jusqu’à ce que la perspective de mes 34 ans sonne à ma porte. Tout y passe, et en particulier mon travail, c’est-à-dire mon activité génératrice de revenu mais aussi mon activité autour du déchaînement de l’humain que je suis, et par ricochet des humains que vous qui consommez mon contenu êtes.

Est-ce que ça a du sens ? Dois-je tout arrêter ? Est-ce que je m’éloigne encore plus de la vie que je dois avoir en accordant du temps à mon amour inconditionnel pour l’écriture et la création d’un contenu qui documente mon parcours sur cette terre ? Ne serait-il pas mieux de m’enterrer dans un bureau, de penser carrière et de mettre mon enfant à  l’abri de ce que je ne souhaite pas pour lui ?


C’est avec ce questionnement que je me suis réveillée ce jour marquant ma naissance.

– Comment te sens tu ? (m’a demandé le papa du petit humain)

– Je pense que je comprends enfin ces gens qui pensent ne pas en avoir assez accompli à leur âge, d’être bien loin de là où ils devraient être en réalité. (ai-je répondu)

Puis le flot de messages a commencé. 

Ces personnes qui sont chères à mon cœur qui m’ont rappelée ce par quoi je suis passée et la raison pour laquelle je suis dans ce ship-ci et non dans un autre qui lui serait sister.  Ces parfaits inconnus dans la vie « réelle » qui ont créé autour de moi un monde de bienveillance, de partage et d’authenticité. Ces témoignages sur les changements enregistrés grâce à la documentation de mon parcours de vie, ce parcours que j’ai questionné, que j’ai osé mépriser dans les moments de grand doute. 

Je ne suis pas de ceux qui s’auto-congratulent, et cet égoïsme que j’ai cultivé pour m’en sortir parallèlement à ce sens du partage afin que nous définissions tous ensemble les bases de ce monde que nous souhaitons pour nous m’empêche très souvent de regarder en arrière. Avancer est le maître-mot. Sauf que ne pas regarder derrière m’emmène à penser que non seulement je ne sais pas où je vais, mais en plus je ne viens de nulle part.

Chacun des messages reçus a été source de réveil pour moi. Toutes ces personnes aux côtés desquelles je chemine m’ont rappelée pourquoi j’ai fait les choix que j’ai fait, et pourquoi là où je suis aujourd’hui n’est que logique. 

Je suis exactement où je dois être.

Au lieu de m’apitoyer sur ce qui n’est pas, je me dois de définir ce qui sera. 


La cerise sur le gâteau ? Cette vidéo que j’ai reçue de ces personnes qui sont au cœur d’un de mes plus gros doutes : ma capacité à transmettre mes connaissances dans un cadre peut-être pas formel, mais formalisé au possible.

Adelphe, Manouchka, Kiyani, Marie-Noelle et Abdul ont participé à la toute première session de mon atelier d’écriture. Nous avons passé 2 mois à travailler et retravailler notre écriture, mais aussi à polir qui nous sommes et ce que nous souhaitons pour nous dans notre vie dans un sens général. Un lien inqualifiable est né de cette proximité. 

En gros ? Je les adore autant individuellement qu’ensemble.

Je me suis réveillée le lendemain de mon anniversaire en me disant « Rien ne se fera si je ne fais rien. »  La présence du petit humain reste ma force, pourtant sa place au centre de mon questionnement me donne parfois l’impression de manquer à mes devoirs envers lui. Le soutien de son papa reste mon pilier, pourtant ma peur de tout laisser reposer sur ses épaules et de n’être qu’un poids me pèse.

J’ai commencé à regarder cette vidéo avec comme seul intérêt les éléments de l’enregistrement qui me permettraient de les taquiner, de les charrier pendant des années. Je ne m’attendais pas du tout à la révélation que j’ai eue, cette révélation qui me rend certaine aujourd’hui que tout va bien et tout ira bien. Mon temps n’est pas perdu, mes décisions ne m’ont pas fait passer à côté d’une vie que j’aurais pu avoir. Cette réalité-ci est meilleure que toutes celles qui auraient pu être parce que c’est dans celle-ci que je vis.

Je ne suis pas ailleurs et je ne saurais être ailleurs.

Je suis exactement là où je dois être.

Je suis seule maîtresse à bord de ce ship.

Si je ne fais rien, rien ne se fera.

La vidéo ? Vous pouvez la voir ici :

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10 comments
  1. Hi @Befoune

    Happy belated birthday.

    “je ne suis pas responsable des attentes du monde par rapport à un humain de mon âge” Priceless 👌🏾👌🏾👌🏾 . Complètement, mais alors entièrement d’accord.

    Je ne sais pas quelles sont les attentes que le monde a par rapport à quelqu’un de ton âge, mais je suis convaincu qu’il y’a vraiment une foultitude de raisons d’être impressionné par ce que tu as fait, par ce que tu as traversé, par ce que tu fais, et donc d’ être foncièrement optimiste quant à l’avenir et à ton impact positif sur une multitude.

    Perso, j’ai le souvent dire que je ne suis ni en avance, ni en retard, je suis là où je suis, je savoure ce que je traverse, je capitalise sur ce qu’il y’a à capitaliser, en regardant devant.

    Bonne semaine

  2. Hi Befoune, je vous souhaite un happy birthday et je me joins à vos élèves pour vous dire un grand merci. MERCI de partager vos expériences avec nous, de nous aider à comprendre ce que nous traversons, de trouver et de mettre les mots sur nos différents états d’âme. Si il t’arrive de douter de l’importance de ce que tu fais et de l’impact qu’il a, souvient toi qu’elle aide beaucoup une jeune femme quelque part dans ce monde🙂. Une fois encore, merci beaucoup pour tout.

  3. 《Je ne suis pas responsable des attentes du monde par rapport à un humain de mon âge》. I would not have said it better👌🏾. We always put pressure on ourselves because we always try fit in what the society dictates we should be or have at certain period of life or even by comparing ourselves to our peers but it indeed a big mistake because everyone of us is following his own path and we neither too late or too early. We just reap the results of the decisions, opportunities we took at a certain moments of our life. 《Je ne suis pas ailleurs, je ne saurai être ailleurs, je suis exactement là où je dois》. This sentence pretty much sums what I usually tell myself when I feel maybe my life would have been better if I chose another “ship”. Thanks for this C. BEFOUNE

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